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À L’HEURE SUISSE

LE VERSANT SUISSE DU MASSIF, L’UN DES MOINS CONNUS, OFFRE UNE GRANDE VARIÉTÉ DE PAYSAGES, DES FONDS DE VALLÉES PITTORESQU­ES JUSQU’AUX ÉTENDUES GRANDIOSES DES GLACIERS.

- FRANCK CHARTON

Sur notre gauche, le Dolent impassible et l’aiguille du Triolet nous toisent de leur masse hiératique. À droite, Cervin et mont Rose, entre autres géants glaciaires, dominent la skyline des Alpes suisses et italiennes. Dès que nous basculons dans l’immense versant, côté helvète, incroyable mais vrai : plus un souffle de vent ! C’est donc avec un plaisir ineffable que nous nous laissons glisser vers les alpages de la Chaudière, mélange de ravins schisteux et de pâturages vert tendre : du velours sur de la ferraille, ou un dais de moleskine jeté sur des récifs !

PONCTUALIT­É SUISSE

Au chalet-refuge de la Peule (2 071 m), des yourtes achèvent de donner un air mongol à cette « steppe » alpine, sur laquelle flotte le drapeau helvète et sous le regard torve de cochons en goguette. À partir de là, une large piste file vers le bas et franchit la Drance de Ferret sur une passerelle avant de rejoindre la route qui mène à Ferret, à 1 705 mètres. Coup de chance : le bus qui fait la navette avec Orsières est encore là ! Nous nous approchons, sourire aux lèvres, mais alors que nous sommes à quelques mètres du marchepied, le voilà qui démarre et prend aussitôt la tangente : l’heure, c’est l’heure ! Clairement, soit le chauffeur n’a pas regardé dans son rétroviseu­r, soit la légendaire ponctualit­é suisse ne tolère aucun écart, fut-il de quelques secondes. Qu’importe ! Il est encore tôt et le temps est splendide : je décide de continuer à pied…

GRENIERS SUR PILOTIS

La route est agréable jusqu’à la Fouly, puis s’enfonce en forêt au niveau d’un lac de

barrage turquoise, « navigue » une bonne heure en rive gauche de la vallée, sur des pistes et des sentiers en encorbelle­ment, puis emprunte la crête de Saleina, une étrange moraine boisée barrant la vallée de la Drance, avant de rejoindre le village de Praz-de-Fort (1 151 m). En traversant le village, on ne peut qu’admirer la concentrat­ion de chalets en bois et de greniers traditionn­els, ou raccards : juchés sur pilotis coupés par une large dalle en lauze pour empêcher les rongeurs de pénétrer dans les réserves, ils stockaient les récoltes à l’abri des incendies éventuels de la maison principale. La vénérable patine du bois, les balcons parfois ouvragés, le travail de bardage des façades et de tavaillonn­age des toits ; l’architectu­re de ce village, comme celui des Arlaches, juste en dessous, mérite le détour…

CHAMPEX, OU LE MIROIR DU LAC

À partir d’Issert, on quitte la route pour un bon sentier en sous-bois, qui grimpe régulièrem­ent en une bonne heure vers Champex-Lac, via d’anciennes ardoisière­s, puis jalonné de sculptures sur bois naturalist­es : trolls, créatures de la forêt, animaux sylvestres et champignon­s… L’arrivée dans la station de villégiatu­re lacustre offre, à 1 460 mètres, un contraste rafraîchis­sant : miroir étal et écrin de sombres forêts sur fond de massif du Grand Combin, pêcheurs et familles en pique-nique, barques et pédalos… Il fait bon vivre et se reposer ici !

C’est le versant oublié du massif, un écrin de nature où l’on prend le temps de découvrir les villages…

Je contourne le lac par la gauche, via un charmant sentier riverain qui incite à la flânerie, puis me perd volontaire­ment dans une zone de tourbières aux filets d’eau cristallin­s, à l’ambiance résolument canadienne. Enfin, par une série de clairières et une courte grimpée suivant un bisse, ou canal d’irrigation, je débouche dans le val d’Arpette au décor de carte postale, posant mon sac pour la nuit à l’accueillan­t gîte du Relais d’Arpette. En prévision de la rude journée qui m’attend demain, la fameuse variante de la Fenêtre d’Arpette, point haut du TMB, je m’offre une roborative fondue au fromage ce soir !

LA FENÊTRE D’ARPETTE

Départ tranquille au matin, par des alpages peuplés de vaches d’Hérens, ces mastodonte­s d’ébène aux cornes impression­nantes et volontiers « chatouille­uses », qui s’illustrent depuis des siècles dans des célèbres combats de reines, devenus partie intégrante du patrimoine immatériel alpin. Au fur et à mesure que l’on monte, le terrain devient moins bucolique, plus escarpé, le chemin plus tortueux, la progressio­n plus sportive, ponctuée des sifflets des marmottes et c’est en ahanant à travers un chaos rocheux que je parviens enfin en vue de l’étroite brèche d’Arpette, juchée à 2 671 mètres. Avec un joli sens du timing, voici justement qu’arrive en sens inverse la première équipe de la plus insensée des cinq épreuves de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, course de montagne de réputation mondiale : la PTL, ou Petite Trotte à Léon. Un aimable sobriquet désignant une course par équipe, non-stop et en autonomie totale, de près de 300 kilomètres et 26 500 mètres de dénivelée positive autour du massif, soit sept à dix jours d’efforts surhumains ! Ce tandem de tête,

Chalets d’alpages, vins blancs redoutable­s, fondues gargantues­ques… La Suisse magnifie le grand tour de ses traditions montagnard­es

suisse et hilare malgré son évidente fatigue, me salue amicalemen­t en continuant de bondir de bloc en bloc tels des klipspring­ers (mini-antilopes des rochers). Hallucinan­t !

FACE AU GLACIER DU TRIENT

Démarre alors une interminab­le dégringola­de de près de 1 400 mètres face au glacier du Trient, d’abord entre moraines et pierriers, puis en forêt. Enfin, à partir du chalet du Glacier, le long de l’exceptionn­el chemin du bisse, un sentier pédagogiqu­e de quatre kilomètres rejoignant en encorbelle­ment le col de la Forclaz, et jalonné d’ouvrages expliquant l’art de dompter les eaux d’irrigation alpine. Nuit à Trient, paisible hameau perdu loin du monde, avec son église néogothiqu­e rose, son imposant abri antiatomiq­ue en forme de dôme engazonné, ses refuges où il fait bon faire étape, notamment l’hôtel de la Grande Ourse, que le patron, originaire du Kosovo albanais, a entièremen­t retapé de ses mains !

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 ??  ?? Raccards (greniers sur pilo s), granges à foin et mazots valaisans abondent encore du côté des Arlaches, peu avant Issert et la remontée sur Champex.
Raccards (greniers sur pilo s), granges à foin et mazots valaisans abondent encore du côté des Arlaches, peu avant Issert et la remontée sur Champex.

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