VOIE LEMOSHO
La plus belle route, progressive et esthé que, pour mul plier vos chances d’aller au sommet.
Les trois heures de route depuis Arusha, entassés dans un minibus avec notre vingtaine de porteurs, guides et cuisinier semblent interminables. Soleil de plomb, pas un brin d’ombre à l’horizon, jusqu’à ce la végétation apparaisse au pied du massif. Un soulagement ! La route devient piste et bientôt apparaissent sur le bas-côté quelques troupeaux de zèbres et de girafes. La porte de Londorossi n’est plus bien loin. Située à 2 250 mètres d’altitude, à l’ouest du massif, elle est le point de départ des voies Lemosho et Shira, où débarquent chaque jour des groupes entiers de trekkeurs de toutes les nationalités. Tous avec le même objectif : gravir le mythique toit de l’Afrique par une voie moins fréquentée que les autres.
TOP DÉPART !
Mais c’est la haute saison, il y a quand même du monde. Sur un terrain vague, en plein cagnard, sont minutieusement réparties les charges que vont se partager les porteurs. L’air est lourd et moite, et on cherche l’ombre tandis que les Tanzaniens font sagement la queue pour la pesée de leur sac. Pas plus de vingt-deux kilos par personne, soit douze kilos pour son client, le reste pour ses affaires personnelles, le matériel logistique et la nourriture pour sept jours en autonomie. Un poids qui sera vérifié soir et matin à chaque campement et jusqu’à l’arrivée, pour éviter que certains ne se débarrassent des poubelles dans la nature. Une fois les passeports enregistrés, il reste quinze minutes en bus pour rejoindre la porte
Lemosho (2 250 m) un peu à l’écart du départ de la voie Shira. Rebelote pour la pesée des sacs et l’enregistrement des numéros de passeport, sauf que cette fois nous sommes seuls. Du moins pour le moment.
Les quatre cents mètres de dénivelée jusqu’au premier campement se font dans la luxuriante forêt pluviale. Un plongeon dans le grand vert, sous les grands arbres où quelques bruits inconnus indiquent qu’en dépit de la fréquentation saisonnière, la forêt reste habitée. Quelle que soit la voie empruntée pour gravir le Kili, on démarre des tropiques pour finir en « Arctique » ! Ou presque. Car les neiges du Kilimandjaro ont quasiment disparu. Pour l’heure, le short est encore de rigueur sous les fougères arborescentes et autres falcatus abritant des singes colobes, à peine troublés par le passage des randonneurs.
PANORAMA IMPRENABLE
Mti Mkunwa Camp, à 2 650 mètres, est déjà occupé par une bonne centaine de tentes montées les unes contre les autres. On repassera pour le côté intimiste garanti sur cet itinéraire. Dans la tente mess, le guide sort son oxymètre de pouls qu’il place à tour de rôle sur l’index de chacun d’entre nous. Chaque soir, il relèvera nos fréquences cardiaques et notre saturation en oxygène ; seul moyen de savoir si tout le monde s’acclimate à l’altitude correctement.
On quitte le sous-bois qui peu à peu devient moins dense. Les étages successifs de la forêt, pluviale, humide et de nuages, laissent place à une zone de lande parsemée de bruyères arborescentes sous laquelle se faufile le sentier. Par une raide montée, on rejoint le col du Dos d’Éléphant en haut duquel le point de vue offre un panorama imprenable sur l’immense plateau Shira, ancienne caldeira qui se serait effondrée puis érodée il y a plus de deux millions d’années, aujourd’hui parsemé de lobélies et au-dessus duquel trône le Kilimandjaro. Quand il veut bien se montrer. Car pour le moment, il préfère se vautrer derrière un amas de nuages noirs épais n’augurant rien d’engageant. L’après-midi est consacré au repos dans les tentes et à boire le plus possible. S’hydrater étant la clé de la réussite au sommet. Les porteurs, eux, n’ont pas le temps de s’offrir ce luxe, occupés à préparer le repas et à remplir des jerricans à l’unique source du secteur, cinq cents mètres plus loin.
L’air est lourd et moite ; on cherche l’ombre tandis que les Tanzaniens font sagement la queue pour la pesée de leur sac
QUAND LEMOSHO DEVIENT SHIRA
À la tombée du jour, la danse des nuages a cessé, sans même nous affubler d’une averse. Le ciel s’est dégagé, dévoilant de tout son long le sommet tant convoité. Vu d’ici, il n’a rien de très impressionnant. Plus massive qu’acérée, sa silhouette sombre, barrant l’horizon à la nuit tombée, a l’allure d’une grosse baleine échouée. On quitte Shira Camp 1 pour Shira Camp 2 en passant par Cathedral Point, point culminant de ce qu’il reste du volcan Shira, le plus ancien des trois qui formèrent le massif volcanique du Kilimandjaro : Shira, Mawenzi et Kibo. Une variante nécessaire à l’acclimatation consistant à monter à 3 872 mètres pour redescendre dormir plus bas. La traversée des aiguilles de Shira, pour rejoindre Shira Camp 2, nous rapproche nettement de la base du sommet, à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau. La végétation s’est encore raréfiée, laissant place à quelques graminées, mousses et lichens.
L’aire de bivouac de Shira Camp 2 est plus étendue que le campement précédent, mais ici arrivent directement les trekkeurs partis de Londorossi ce matin en empruntant la piste qui monte jusqu’à 2 600 mètres par la voie Shira. Une piste servant essentiellement pour les secours en montagne, mais qui permet de gagner une journée de marche. À Shira Camp 2, les routes de Lemosho et Shira ne font plus qu’une.
LE DÉSERT DU KILI
La soirée se prolonge sous la tente mess, à pronostiquer sur nos chances de réussite. Mais pour l’heure, les étoiles, une à une,
Quelle que soit la voie empruntée pour gravir le volcan, on démarre des tropiques pour finir en Arctique !
apparaissent dans le ciel couleur encre, offrant telles des torches funèbres, un scintillement inouï au-dessus du Kili. L’itinéraire pour rejoindre Moir Hut, notre prochain campement, est relativement court ; à peine deux heures et demie de marche, plein ouest, dans un paysage volcanique parsemé de basalte et de roches pyroclastiques. À 4 050 mètres, nous empruntons le sentier à gauche pour rejoindre le cirque de Moir Hut, tandis que l’itinéraire classique qui s’en va sur la droite, rejoint la voie Machame et redescend vers Barranco Hut. C’est la voie Lemosho « classique » : l’emprunter permet une acclimatation plus longue, d’autant plus si l’on choisit de passer encore une nuit supplémentaire à Karanga Camp puis une autre à Barafu Camp avant d’attaquer le sommet. En direction de Moir Hut, l’itinéraire se faufile au milieu d’une étendue minérale et lunaire, mélange de bombes de lave noire et de moraines érodées. Et dans le cirque dominé par le Kibo, le plus haut et le plus jeune des trois volcans du massif, le nombre de tentes a considérablement diminué, la plupart des groupes ayant rejoint la voie
normale. Moir Hut marque également l’arrivée d’un autre itinéraire encore plus rarement parcouru : le circuit Nord, qui contourne le sommet par le nord entre les voies Lemosho et Rongai (voir pages 40 à 43).
CAISSON HYPERBARE
L’après-midi est consacré à une démonstration qui met dans l’ambiance : L’utilisation du caisson hyperbare en cas de mal aigu des montagnes, un mal lié à un défaut d’oxygénation du cerveau consécutif à une mauvaise acclimatation (voir page 20). Nos deux guides francophones, formés par l’Ifremmont (Institut de formation et de recherche en médecine de montagne), nous expliquent comment et dans quel cas utiliser le caisson. Ce type d’équipement est loin d’être systématique au sein des groupes, même s’ils intègrent peu à peu l’équipement de base des agences sérieuses. Dernière étape avant le sommet, l’itinéraire qui monte au camp d’Arrow Glacier s’élève dans un chaos minéral à perte de vue. Amas de blocs échoués jonchant d’anciennes moraines glaciaires. Et sur l’une d’elles, une ribambelle de minuscules silhouettes en contre-jour rejoignant Lava Tower, immense tour de lave noire visible des kilomètres à la ronde, tel un phare perdu au milieu d’un océan minéral, et que l’on garde en ligne de mire durant presque toute l’ascension. Ces silhouettes sont celles des trekkeurs de la voie Machame, en route eux aussi pour Lava Tower. Pour mieux s’acclimater, ils remontent jusqu’à elle avant de plonger sur Barranco Camp.
L’ULTIME ASSAUT
Une pluie givrante suivie d’un épais brouillard ont d’un seul coup tout recouvert. Des blocs de glace dégringolent du mont Kibo dans un vacarme assourdissant, sans même que l’on puisse les voir. La voie ShiraLemosho « officielle » continue vers le sommet en empruntant la Western Breach (voir page 60), même si la plupart des randonneurs qui la parcourent optent souvent, désormais, pour le circuit sud (voir itinéraires page 40 à 43). Coincé à 4 871 mètres, à l’altitude du mont Blanc, face à l’obstacle à franchir au petit matin, on croise les doigts pour que le beau temps revienne. Un peu comme par enchantement, au bout d’une heure, l’averse a lavé le ciel, laissant apparaître la redoutable brèche qui hante depuis des jours notre imaginaire. On devine l’itinéraire à emprunter, d’abord dans le pierrier puis entre les rochers qui, tout en haut, se dressent tels des tours de guet. C’est elle, ouverte, dit-on, il y a cent mille ans à l’issue d’un glissement de terrain sous le Kibo, qui nous mènera jusqu’au sommet.