Trek

Cordillère Blanche

UNE BLANCHE, SANS FAUX COLS

-

Il faut pourtant bien un jour que les choses « sérieuses » commencent ? Ce soir, à Huaraz, à portée de vue du Huascaran (6 768 m, et plus haut sommet du Pérou), l’acte II du grand voyage flotte dans les étoiles au-dessus de nous. Sur le papier : cinq jours chrono pour se faufiler, via trois hauts cols au-dessus de 5 000 mètres plus ou moins délestés de leurs gangues de glace et de neige par les grâces paradoxale­s du réchauffem­ent climatique, au ras des moustaches de quelques solides sommets de l’immense cordillère Blanche. En vingt-quatre heures, la transition de monde est massive ? Les ambiances de sables et de brumes claires de la côte péruvienne, en remontant plein nord depuis Lima sur la Panamérica­ine. Puis le serpent de la route qui grignote la vallée de Fortaleza, vers les lumières d’altitude de la région de l’Ancash. La lumière du couchant et la dimension réelle de ce qui nous attendait nous ont épinglés un peu au-dessus de 4 000 mètres. La plaine d’altitude, à l’est du col Conococha, y séparait très exactement les horizons de Huayhuash à la cordillère Blanche, rosissant des dernières lueurs venues du Pacifique.

Le lendemain, l’équipe est parée pour le vrai décollage. Le bus qui stoppe net dans un champ, au bout de la piste, au-dessus du petit village de Joncopampa. Les arrieros (muletiers) tout sourire face à d’anciens tombeaux pré-incas. Un

pur ciel bleu en compagnon de marche, dans les forêts de quenuales torturées, pour la remontée du long canyon d’Akilpo. En quelques heures de beauté simple, se glisser déjà sous les crêtes. Loin encore au-dessus de nous, la blancheur et les verticales des ice flutes et des séracs commencent à s’emparer du décor. Un cam- pement posé sous la longue moraine, à 4 350 mètres d’altitude. Les secondes d’éternité du pâlissemen­t du sommet du Tocllaraju (6 032 m), alors que le camp a déjà basculé depuis longtemps dans l’ombre, précédent de peu le cadeau nocturne de la Croix du Sud et de la Voie lactée…

17 juin. Un bol de souffle court, en hommage à la beauté et à la très légère démesure de nos horizons du jour : le col du Tocllaraju, à 5 050 mètres, est derrière nous. Un « premier 5 000 » pour pas mal d’entre nous ? Cette marche vers une altitude enfin acceptable, face aux cataractes de séracs qui dégringole­nt l’Akilpo et l’élégant Tocllaraju nous laisse (déjà) sans voix. Lagune et petit hors-piste aux cairns trompeurs à la montée. Bonbons et éblouissem­ent d’altitude au col : il nous aura fallu un pas ou deux dans la neige avant d’entamer une vaste plongée entre dalles et petits blocs noyés de végétation rase vers le poêle et le top 10 musical (chanson italienne sinon rien…) du refuge Ishinca. Le lendemain ? Un air d’Himalaya flotte presque sur notre nouvelle bambée au ras des moustaches du glacier du Palcaraju. Le col éponyme signe la « grosse étape » de notre trek. Sous le passage lui-même, notre petite caravane, pas à pas dans le blanc des névés, avait presque des airs d’expé andine. Après ? La dent blanche du Nevado Ranrapalca, les faces du Palcaraju explosent sous le bleu. Nous tombons dans la Quebrada de Coljup et ses immenses alpages. Nos muletiers, qui ont contourné tout le secteur d’Urus et du Ranrapalca ces deux derniers jours, nous attendent. Le dix-neuf juin ? Nous saluons du regard les faces du Palcaraju, du Pucaranra et du Ranrapalca depuis le col Choco (5 020 m), avant de retomber sur les lagunes, face au Chinchey, au Tullaparu et au Chopiraru. Mais autant que l’écrin d’altitude, savourer encore pas à pas les 1 000 mètres de descente sur la vallée de Quilcayhua­nca. Des mondes « intermédia­ires », immenses, tout de pâturages et plateaux, de lagunas et de zones humides. Fracas de blocs et d’éboulis, puis minuscule sente : le chemin des bêtes convient parfaiteme­nt aux marcheurs. S’il ne devait rester qu’une mémoire de ce jour, ce serait celle du très ancien sentier d’alpage parfait qui nous a ramenés in fine jusqu’au camp, en fond de vallée. Un groupe heureux ? Demain, pas de col. La porte de sortie vers Huaraz, via la Quebrada Quilcayhua­nca nous attend. Relâchemen­t du corps et de l’esprit sous la barre des 4 000, une fois passées les questions et les incertitud­es du « là-haut » ? Après ces doses d’altitude, la fin de notre second round (le retour aux troupeaux, aux oiseaux et aux couleurs des champs de lupins), ne devrait être qu’une (magnifique) formalité, dans la densité retrouvée de l’air et de la lumière.

 ??  ?? Trois cols retirés. Une guirlande de passage à plus de 5 000 m pour « coller » au plus près des sommets. Rien de mieux pour approcher l’ambiance « ice flutes » et fracas glaciaires de la Blanche. Ici, le Palcaraju, vu du troisième bivouac (vallée de...
Trois cols retirés. Une guirlande de passage à plus de 5 000 m pour « coller » au plus près des sommets. Rien de mieux pour approcher l’ambiance « ice flutes » et fracas glaciaires de la Blanche. Ici, le Palcaraju, vu du troisième bivouac (vallée de...
 ??  ?? Remontée au petit matin, entre givre et lumière d’altitude, sous les derniers plateaux de la Quebrada (vallée) d’Ishinca.
Remontée au petit matin, entre givre et lumière d’altitude, sous les derniers plateaux de la Quebrada (vallée) d’Ishinca.

Newspapers in French

Newspapers from France