DÉCOUVERTE SRI LANKA INTIME
Les plus belles merveilles de l’île, entre nature, culture et patrimoine
PLANTATIONS DE THÉ ET STUPA. ÉLÉPHANTS ET PALAIS. COCOTIERS ET ÉPICES. MAIS ENCORE TAMBOURS, TUK-TUK ET NOIX DE BÉTEL, PÊCHEURS ET RIZIÈRES : TOUT AUTOUR DE L’ÎLE, DE SES CÔTES À SES MONTAGNES, LES COULEURS ET LES MONDES DU SRI LANKA SONT AUSSI SUBTILS QU’UN MÉLANGE D’ÉPICES ET DE FRUITS TROPICAUX… RÉCIT.
Au crépuscule, dans une ferveur rare, les lumières douces accompagnent moines et pèlerins au son des tambours, au coeur symbolique du Sri Lanka…
Kandy est un petit bonheur pour le voyageur, au gré des jardins et des façades coloniales qui émergent d’un flot de tuk-tuk et de scooters
VESAK, LA NUIT DE BOUDDHA
Ce soir, dans le petit village de Yagoba, comme dans tout le Sri Lanka, l’attente de la pleine lune a des airs de fête. Ce soir, c’est la nuit la plus auspicieuse de Vesak. Avec le Nouvel An cingalais (Aurudu), le triple anniversaire de la naissance, de l’illumination et de la mort de Siddhartha Gautama est l’une de plus grandes fêtes bouddhistes de l’île. Partager alors une boddhi pooja (célébration à Bouddha) avec nos hôtes? De la préparation des mets offerts à tous les voisins et passants à la confection des grands lampions de papier multicolores et des lampes qui vont orner terrasses et jardins, toute la famille d’Asanka s’est activée durant la journée. À la nuit venant, la remontée des ruelles et des sentiers vers le temple est un chemin de lumières sous les frondaisons. Porches des maisons, auvents de boutiques, petits autels ou fenêtres : partout, les lumières brillent. Devant la dagoba (stupa) du temple du village, l’atmosphère est autant au recueillement et aux prières qu’aux discussions en voisins et amis. Lumière jaune d’orage sur les frondaisons du grand pipal. Foule vêtue de blanc. Fumées d’encens. Lucioles des lampes à huile. Une poignée d’heures de paix, quelques jours des attentats de Pâques : dans une infinie douceur offerte à la nuit, l’univers entier, ce soir-là, semblait converger vers le grand diadème de leds d’un bouddha luminescent assis sous les étoiles…
LES DEMOISELLES DE SIGIRIYA
Un palais royal du Ve siècle, flottant sur son bastion de gneiss, dominant plaine, lacs et rizières. Le site de Sigiriya hésite entre parfums de cité perdue ou Versailles médiéval: occupé par des renonçants dès le IIIe siècle avant notre ère, le rocher est l’un de sites historiques les plus courus du Sri Lanka. C’est là que Kassapa, roi aussi esthète que parricide, y établit sa résidence. Une nouvelle capitale raffinée pour le royaume d’Anuradhapura et la dynastie des Moryia, toute de jardins et de bassins, dominée par le palais-citadelle. La balade dans les jardins de blocs, au fils des remparts et des bassins, est une splendeur. Géométrie des lignes au sol contre douceur des blocs gigantesques. Bassins de lotus et grottes ornées. Le site se révèle au fur et à mesure de l’ascension du Rocher, au fil d’échelles vertigineuses et d’escaliers métalliques suspendus dans le vide jonglant entre vires et falaises. Les pattes d’un lion gigantesque, sur une ultime plateforme où jouent les singes, annoncent l’arrivée au sommet. Vent chaud, selfies familiaux, grands rapaces, piscines et vue imprenable sur les plaines: trois cents mètres au-dessus du monde, le palais et ses dépendances s’étendent autour d’un vaste bassin,
alimenté à l’époque par de complexes systèmes hydrauliques actionnés par des moulins à vent. La capitale ne dura que le temps du règne de Kassapa le mal aimé. Elle a laissé à l’histoire les plus extraordinaires peintures du Sri Lanka. Abritées sous un auvent de pierre au beau milieu de l’immense falaise, le style et la sensualité troublante des demoiselles de Sigiriya (cinq cents apsaras, dont vous ne verrez que quelques beautés « seulement »), si loin des codifications classiques du bouddhisme, sont le trésor de Sigiriya. Un trésor srilankais relié à Ajanta et aux splendeurs de l’Inde gupta par la grâce des artistes et des peintres voyageurs du Ve siècle de notre ère…
LES ÉLÉPHANTS DE LA MARAWELI
Pas de Sri Lanka sans éléphant ? La version locale de l’éléphant d’Asie (plus petite, et se distinguant de ses cousins par une absence de défenses chez les femelles) a encore sa toute place sur l’île, aussi bien apprivoisée, pour les travaux de force ou les cérémonies religieuses que… sauvage. Mais sa situation n’est pas simple. Une population divisée par deux en un siècle (7000 têtes estimées aujourd’hui). Et surtout, une cohabitation devenue difficile avec les autochtones: dans les campagnes, la densité grandissante et l’extension des zones cultivées ont rendu tendues les relations avec ces pachydermes en voie de dispari
tion. Si le braconnage pour les défenses, malgré la sanction de peine de mort prévue pour ces faits, se perpétue toujours, il arrive encore aussi que des paysans empoisonnent des groupes d’éléphants qui dévastent leurs cultures, malgré les innombrables clôtures électrifiées. Et si tous les enfants ou presque ici connaissent Gemunu, l’icône du parc national de Yala (spécialisé dans le vol malicieux de sandwich dans les véhicules…), personne ici n’oublie que ces mêmes éléphants sont responsables d’une cinquantaine de morts chaque année dans l’île. « Nos éléphants », nous les avons rencontrés dans le parc national de Wasgamuwa. Le coin est nettement moins fréquenté que les must do des parcs de Yala ou d’Uda Walave. Ici, le safari a encore des goûts de seul au monde. Et rien n’est garanti. Il nous faudra plusieurs heures d’attente pour apercevoir, très loin dans les marais, nos premières silhouettes. Diversions ? Les ibis, aigles, guêpiers et tisserins nous occupent aux jumelles, le temps d’une baignade dans les eaux de la Marawelli, le plus grand fleuve de l’île. Chaleurs et cris des singes contre fraîcheur et murmure des rapides. Ce n’est qu’en sortant du parc, sous les lumières folles de l’orage arrivant, que plusieurs familles, éléphanteaux compris, viendront nous saluer. Un grand mâle, à quelques mètres de notre véhicule, barrera longtemps la piste. Routine? Il n’y a pas que les éléphants dans la vie. En lisière de forêt, une panthère de Ceylan (ou léopard du Sri Lanka), animal rarissime, traversera juste pour nous et nos rangers (surexcités pour le coup…), les solitudes de Wasgamuwa…
LES TRÉSORS DE LA SUDU GANGA
Fêtes de Vesak. Ce soir-là, le monde semblait converger vers le grand diadème de leds d’un bouddha luminescent assis sous les étoiles…
Sous le grand tamarin, les marches de béton simple accueillent, sous le vol des aigrettes, les couleurs vives des lavandières et les rires des mômes à la baignade. Un fragment de vie en pleine campagne? Deux tuk-tuk rouge vif près des manguiers. Le pont de câbles qui file vers la rive opposée. Les remous des nasses des pêcheurs. Bienvenue pour une pause méritée sur les rives de la Sudu Ganga, la rivière rouge. Nous sommes à quelques kilomètres à vol d’oiseau de Kandy. Parcelles et jardins, motoculteurs et buffles, chercheurs de pierres précieuses… La balade est tout à la fois calme et… remuante. Mahinda, notre guide du jour, n’a pas raté un rendez-vous, sur le sentier entre forêt et rives, pour nous projeter dans son monde à lui. Son quotidien, ici, est celui de la forêt et des plantes? Reprendre mes notes et mon souffle. Nous avons croisé (et goûté sou
vent…) aux saveurs et aux fruits des manguiers, des jacquiers, des tikuls (le palmier à sucre…), des palmiers à bétel, des cocotiers, bien sûr, et aussi des ébéniers, des citronniers, des pamplemoussiers, des hévéas (l’arbre à caoutchouc), des cacaotiers, des caféiers, des caramboliers, des poivriers, des anacardiers (cajou), des bambous, des piments sauvages, des curcumas, des girofliers, des cannelliers, des hibiscus, sans oublier les champs de gombo, d’ignames, de patates douces et d’aubergines, de haricots, de chou et de tomates… Chercher des yeux une rizière. Tout est là. Ce midi, dans la petite maison de Mahinda, la question du bio et des circuits courts ne se posera pas. Tous nos plats et assiettes (grande feuille de palme comprise) sont là, sur les rives de la Sudu Ganga.
LES TAMBOURS DE KANDY
Il en faut plus que la relique d’une dent du Bouddha arrivée en catimini d’Inde dans la chevelure d’une princesse… Mais quand même. Isolée dans le centre de l’île dans un écrin de collines à quelque cinq cents mètres d’altitude,
Kandy est une vraie beauté. Les eaux et les îles temples de son lac artificiel, ciselé de balustrades blanches. Son jardin botanique mondialement célébré. À l’évidence, la dernière capitale indépendante des royaumes srilankais avant le protectorat britannique (1815!), est un petit bonheur pour le voyageur. La mosquée rouge et les bains royaux, les façades coloniales et les enseignes ultramodernes des Samsung ou Nike : il faut y prendre un peu de temps, à la fois urbain et rêveur, pour s’imprégner de son actualité toute d’embouteillages, de hordes de tuk-tuk et de scooters. Et de ses havres de paix, des orchidées du jardin botanique de Peradeniya au parc du Palais royal. La ville au coeur de l’île, célébré pour son esprit d’indépendance et de résistance, fut aussi bien l’alliée des royaumes du nord (Jaffna) ou du lointain Madurai indien que l’habile partenaire des Portugais et des Hollandais, avant de résister farouchement aux Anglais. Mais la cité, avant tout, est surtout nimbée de l’aura du Dalada Maligawa, le temple de la Dent. Une relique arrachée au bûcher funéraire de l’Éveillé ? Depuis six siècles à Kandy, les tambours doubles résonnent
Dans les plantations, le va-et-vient des gestes des cueilleuses, à l’ombre d’immenses paysages de beauté régulière et calme…
Des langues de sable posées comme des lames de couteau le long de la côte. Un petit paradis pour les pêcheurs, à quelques poignées d’heures de navigation des villages
trois fois par jour devant le sanctuaire vénéré dans toute l’Asie, dans l’enceinte blanche du Palais royal. Au crépuscule, les lumières douces accompagnent moines, pèlerins et curieux dans une ferveur rare. Vous ne verrez pas la dent du Bouddha, bien sûr. Mais le son des tambours vous portera au coeur symbolique du Sri Lanka…
LE TRAIN DU THÉ
Une famille tamoule penchée à la fenêtre. Le bercement régulier des rails. À plus de 2000 m d’altitude, il fait… presque frais. Un train pour rejoindre le ciel de l’île? Tunnels et nuages. Précipices et lenteur. Trois heures de « voyage » au meilleur sens du terme, entre Watagoba et Haputale, via Namaya: le travelling de beauté offert par la ligne principale du Sri Lanka (Colombo-Badulla) est juste bluffant… Dehors, le paysage est presque entièrement dessiné par l’agencement scrupuleux des plantations avalant quasiment tous les reliefs. Les alignements d’acacias, les mille nuances vertes des courbes de niveaux des théiers accrochés aux pentes. Les oasis des villages d’ouvriers, aux toits de tôle. Les bâtisses des estates (domaines). Les silhouettes des grandes usines de séchage au fond des vallées. La grande histoire du thé au Sri Lanka est un paysage ? Pas seulement. À pied, prendre le temps de découvrir ces mondes fermés, autonomes, infiniment affairés par la cueillette des feuilles du camélia chinois. Un souvenir? Un marché dans les hautes terres d’Horton Place. Il suffit de se laisser descendre dans les pentes : pour traverser les plantations, les sentiers tombent sur près de mille mètres vers les plaines. Partout, les groupes de cueilleuses. Le va-et-vient des gestes des femmes, arrachant sans fin les plus jeunes feuilles. L’atmosphère des villages des ouvriers tamouls. L’odeur des séchoirs dans les usines. Les scènes de pesée des sacs… Depuis son introduction au milieu du XIXe siècle par les Anglais, le thé a dessiné les montagnes et l’histoire du Sri Lanka. Dans le coeur de l’île, le train du thé en est la clef…
LA MOUSSON DE BELIHUL OYA
Sur les cartes, le hameau dispersé est difficile à trouver. Nous sommes sous les hauteurs de Horton Place, à quelque trente kilomètres du pic
d’Adam. Les sentes et les petits chemins d’où surgissent les tuk-tuk poussifs nous ont amenés dans la maison isolée de notre hôte. Hier, il a plu. Beaucoup. Premier vrai jour de mousson? Sous le soleil revenu, les torrents qui descendent des plateaux se divisent désormais en mille canaux scintillants. Les étagements des rizières du village se remplissent, au fur et à mesure de l’ouverture des murets de drainage et le dédale des courbes de niveau se fracture en autant de miroirs d’argent. Un homme mène l’araire d’un buffle dans la boue. D’autres nivellements scrupuleusement une parcelle. Cigognes et épouvantails dans les bosquets et les jardins. L’harmonie de l’eau cisaille les rangées de cocotiers, les ombres des arbres enserrent le stupa du temple.
LE COUCHANT DE GALLE
Le ressac de la houle sur les grands blocs sombres. L’enchevêtrement des maisons coloniales néerlandaises ou anglaises, d’où émergent le dôme d’un stupa ou les flèches d’une église. Le balancement des cocotiers en enfilade vers le vieux phare blanc. Les cerfs-volants et les familles nonchalantes arpentant les larges chemins de verdure ceinturant les murs de granit de Rempart Street. Le fort de Galle en impose: deux kilomètres de murailles, édifiées par les Hollandais, protégeant massivement ce qui fut le principal port de commerce de Ceylan : son histoire et celle de la ville de Galle sont un trait d’union un peu nostalgique reliant les commerces millénaires des épices et des pierres précieuses sur les routes maritimes de l’océan Indien aux conquêtes portugaises. Ou aux grandes heures de la VOC, la compagnie néerlandaise des Indes orientales. Church Street, la maison du Gouvernement, le New Oriental Hôtel, sans doute l’un des premiers hôtels de l’île… Il y a de quoi se perdre avec bonheur dans ses ruelles, lorsque le soleil tombe, le soir, vers l’ouest. Trop calme, le fort de Galle? À quelques kilomètres à vol d’oiseau, Moon Party et sports de glisse: les surfeurs du monde entier se retrouvent depuis les années 1960, sur la plage mythique d’Hikkadua. Trop de monde ? Il vous reste à embarquer sur une barque, à la découverte des canaux et des mangroves du lac de Koggola. À l’envers de l’océan Indien, ces backwaters ont des airs de Kerala perdus…
À partir de Negombo, les alizés, les cocotiers et la mer enserrent une lagune immense, territoire quasi exclusif des pêcheurs
LES PÊCHEURS DE KALPITIYA
Eaux turquoise, dauphins ou tortues? Cocotiers, mangroves et plages infinies ? District de Puttalam, côte nord-ouest du Sri Lanka. Sous les vents de l’océan Indien, quatorze îles basses, toutes de sable et de cocotiers, dessinent du nord au sud un vaste un lagon de quelque soixante kilomètres le long de l’île. De minuscules villages chrétiens ou musulmans. Des maisons simples, toutes de charpentes et de tresses de cocotiers parfois, regroupées près des barques de pêche remontées sur les plages. À partir de Negombo, passé les grandes salines et les fermes éoliennes, les alizés et la mer enserrant la lagune sont le territoire quasi exclusif des pêcheurs. Leurs mondes? Des langues de sable posées comme des lames de couteau le long de la côte, où ils se regroupent dans des campements minimalistes, le temps d’une campagne de pêche, isolés à quelques poignées d’heures de navigation des villages. Pas d’électricité. Des puits minimalistes d’eau souvent saumâtre. Juste le vent et la mer, les dunes à l’altitude zéro ou presque… On pêche au filet, dans les passes. Ou au lamparo, de nuit, à la poursuite des bancs de calamars. Les seuls visiteurs ? Quelques kitesurfeurs privilégiés, venus du monde entier pour profiter des conditions exceptionnelles des plans d’eau. Voiles multicolores en cohabitation avec les filets et les barques : pour l’instant, et malgré de lourds projets d’aménagements hôteliers, la péninsule est restée très à l’écart des « plus belles plages » de l’île, comme Mirissa ou d’Hikkaduwa…