Trek

3 JOURS DANS LES MONTS KNUCKLES

Un itinéraire de toute beauté en forêt primaire...

- TEXTE ET PHOTOS : JEAN-MARC PORTE

Finalement, nous n’aurons pas croisé le méditant, ce moine isolé dont tous les villageois ou presque nous ont parlé, du côté des forêts de Puwakpitiy­a. Une ombre de regret ? Pas vraiment. Sur la route minuscule qui remonte vers le col, il est encore tôt, mais entre deux trouées de la forêt qui nous avale en direction de Matale et Kandy, le tableau d’ensemble des lieux où nous avons marché ces trois derniers jours est juste. Une splendeur vivante et simple. Un arrêt entre deux kapokiers et trois papillons ? En embrassant enfin d’« en haut » les harmonies des hameaux et des campagnes, des vallées et des falaises, le regard se perd à 180° vers les crêtes vert sombre et les sommets bleuissant sous les premières brumes. En prenant une dernière photo des Knuckles, se laisser juste envahir de mémoires simples et précieuses ? L’aventure a commencé au bout d’une piste de jungle, noyée sous les brumes d’orages et de pluie. Clichés de montagnes tropicales? L’eau jaune pâle qui court partout au sol. Les lacs enserrés de pentes sombres. Les végétaux luisants sous le vernis de la pluie.

SARONG ET MACHETTE

À la toute fin de la route, je me souviens d’un thé rare, partagé dans le fouillis multicolor­e d’une petite échoppe. Étagères pleines de babioles et régimes de bananes suspendus à l’entrée, face à une volée de marches à la verticale, tombant sur trois chiens, deux vieux Ashok Leyland et une jeep Mahindra. Être nulle part, être bien? Dans cette déglingue magnifique, les locaux curieux sourient devant nos sacs à dos. Achat de parapluies et de bétel: tout de sarong, de jambes d’allumettes et de machette, notre guide local s’enfonce déjà sur les minuscules sentiers. Pour un détour vers les cascades de Serra Ella. Sous le vaste bassin, dans le chaos de blocs, des mamans sont à la lessive. Rires et enfants endormis dans des châles. Fin de la pause. Le ciel c’est dégagé d’un coup. Passé les murs bleus du post office de Puwakpitiy­a et le temple rongé de mousses, au-delà des rizières, les sentiers se font bien plus discrets encore. Nous remontons vers Redwana. La promesse de notre nuit ? Une famille qui continue d’habiter ici, isolée sur ce bout de plateau, bien avant la vallée d’Attenwila. Au bout d’une petite heure, à main droite, une sente bifurque vers des falaises. « Le moine qui vit là descend tous les jours, pour récupérer les offrandes des villageois. Tôt le matin. » Trop tard, donc. Et que demander en fait à un homme dont le silence est son voeu de sagesse…

LA CUISINE DE PUSPA

Deux immenses manguiers. Le son de la forêt, la stridulenc­e des grillons et le rythme immanquabl­e d’une noix de coco en train d’être râpée : nous sommes arrivés dans « l’île » de Redwana. Un lieu désarmant de simplicité rurale ? Le corps de la bâtisse en L, aux murs de pierre sèches. Trois chaises dans la cour immaculée. Un petit évier bricolé sous le poivrier. Un chat. Un magnifique grenier de bois sur pilotis. Un panneau solaire sur le toit. Il n’en faut surtout pas plus pour que des heures très précieuses se mettent en place. Nous ne dormons pas chez l’habitant. Nous dormons dans la maison de Puspa (la maman), de Miman (le père), de Subwasini (la fille) et Dharsana (le fils). Avec eux, pour nous guider demain, il y a Jayasiri et Wasantha, et Kiribanda, aussi. Des voisins, ravis de l’aubaine de devenir, pour quelques heures, guides de rando… Des amis, visiblemen­t

aussi. Peau de cuivre et cheveux noirs. Réserve et gentilless­e immense. Thé et rires : « vous voulez vraiment dormir dehors? Dans le grenier? Pas dans la maison ? ». Nouveaux éclats de rire. Les sacs changent de camp. Les guides dedans. Les Blancs dehors. Et tout le monde est déjà concentré sur la préparatio­n du curry de coco du soir. Imbiber la coco râpée d’eau chaude. Extraire le jus. Le pilon pour les piments. Les oignons, le curry et le safran. Le citron. Les anchois séchés. Le quotidien de Puspa, ce soir-là, était notre festin.

LA FIN DU MONDE ?

Une nuit « dehors », magnifique, bercé du son de la forêt, du passage des écureuils géants dans les frondaison­s. Prendre tout le temps, au matin, d’un solide pol sambol enflammant un bol de riz. Puis repartir, plein nord-est, sous le soleil, vers le belvédère de Pitawala Pathan, l’un des must do des Knuckles Mountains. Passé les derniers champs, fin des pistes de terre jaune. Sente de chaleur. Pentes raides. Discuter avec ces jeunes srilankais des montagnes du vaste monde ? Deux d’entre eux me parlent… du Népal. Ou plus exactement, des Népalais rencontrés à Doha, où ils ont passé deux années d’exil à gagner leur vie sur les chantiers, dans le désert. À coup de machette et de litres d’eau, finir par contourner l’épaulement des falaises. « Ici, ça s’appelle Mini World’s End », me lance, ravis de mon vertige, Jayasiri. Son hommage

ironique au plus célèbre belvédère du Sri Lanka, dans le parc national de Horton Plains, ultra fréquenté et aménagé, me fait sourire. À 1 400 m d’altitude, nous sommes juste assis jambes dans le vide sur de gros blocs surplomban­t falaise et forêts. Seuls. Après la suée réelle de la montée, les passages plus que raides ou il faut s’aider des arbustes, plein ouest, la vue totalement ouverte au nord-est porte jusqu’aux grands lacs de barrage et aux brumes bleues de la plaine côtière. Il fait toujours grand beau. Malgré l’heure tardive, aujourd’hui, les nuages lourds qui enserrent régulièrem­ent les hauteurs ne sont pas au rendez-vous. La journée ne fait que commencer? De tous nos guides, seul Jayasiri va continuer avec nous. Pour se laisser redescendr­e sur l’autre versant, en direction de notre point de chute du soir, au village d’Attanwila. Chez sa maman.

RIZIÈRES ET VILLAGES

La bascule de paysage, sur la crête est majeure, Changement de monde. Loin sous nos yeux, les cultures remontent les rives de la vallée où coule la Telgamu Oya. Après ? Les falaises cerclent le paysage, dominées par le massif quasi vierge de toute marque humaine. Le territoire entier, sous classement UNESCO, est une harmonie subtile de rizières, de forêts, et de vastes taches déboisées, vestiges d’anciennes plantation­s de thé. Rapidement, nous atteignons la route de Matale.

Un thé bienvenu, au bureau du parc, près du petit parking. Puis couper droit, en se laissant guider par les murets de rizières. La récolte vient d’avoir lieu. Les champs sont ras, désertés. Des troupeaux de buffles sommeillen­t dans leurs lits de boue. Nous devenons experts dans le dédale des micro escaliers, à la recherche des marches de pierres entre les terrasses. Au village, juste après le temple sous son ficus géant, une école signe notre retour à la « vraie vie ». C’est la récré. Des kids jouent. Corde à sauter et élastiques pour les filles. Luge sur branche de palmier pour les garçons. Devant l’enceinte, trois mamans se partagent un thé et des biscuits. Elles nous expliquent, très sérieuses, que depuis les attentats de Pâques à Colombo, partout dans le pays, des mamans surveillen­t les écoles… Le danger est partout ? À la sortie du village, un couple de bongares traverse nonchalamm­ent la piste, juste devant notre point de chute. Contournem­ent prudent : avec les cobras, ces serpents tuent des centaines de Srilankais chaque année. De la terrasse de la maison de Pinti, la fameuse maman de Jayasiri, finir par se poser entre papayers et bananiers, en bordure du jardin. Depuis la terrasse, à l’ombre du grand auvent, la vue sur les rizières, barrée par les falaises de Maningala, devient vite le prétexte à une fausse sieste. Sous nos yeux, ici, la récolte bas son plein. Le ronflement des machines. Les grappes de faucheuses. Le passage des tracteurs aux remorques

Rires et enfants endormis dans des châles. Sous la cascade, dans le chaos de blocs, des mamans sont à la lessive...

débordante­s de graines. Entre le chant des coqs, le vol des martins-pêcheurs bleus qui nichent sur le toit et les cris des geckos, parler des moissons. Mais encore de la vie des moines… et des courses de vélo. Il est 16 h. L’orage violent noie le monde sous la pluie et le tonnerre. Il va bientôt être temps d’aller s’occuper du repas du soir…

CINQUANTE NUANCES DE VERT

Le lendemain. Dernier jour dans les Knuckles ? Grand beau et lumière parfaite sur notre monde. Saris et cheveux blancs : la matinée a commencé par la visite des trois soeurs de Pinti dans la petite maison. L’occasion d’échanger sur les quarante familles du village, le rôle des moines dans les campagnes, et l’importance de l’unique récolte annuelle de riz, ici. Le village est autonome. Avec la disparitio­n des plantation­s de thé, depuis plus de trente ans, l’agricultur­e et l’élevage sont redevenus les seules ressources de la communauté. La marche du jour ? Une boucle sur le plateau qui nous fait face. Notre guide est éleveur. Il connait par coeur les vieux sentiers dallés, passé les bouquets de bambous du dernier temple de la vallée, dont les mantras diffusés par haut-parleur volent autour de nous. Deux petites heures pour rejoindre le plateau de Maningala. Avant une longue pause bétel / fruits de la passion, le veil homme va jeter un oeil à l’état de ses bêtes, qui restent « en alpage » sur les hauteurs six mois par an. Sous nos pieds, la lumière descend sur cinquante nuances de verts : nous volons littéralem­ent au-dessus des rizières… Du doigt, le vieil homme trace pour nous l’esquisse d’un sentier perdu qui continue, très

Un magnifique grenier de bois sur pilotis. Y dormir, bercé du son de la forêt et du passage des écureuils géants dans les frondaison­s

haut, vers les sommets. Nous n’irons pas, pas cette fois, si loin dans les Knuckles. Il nous reste juste à nous baigner dans les cascades de la Telgamu Oya, les orteils aimablemen­t desquamés, comme dans le plus chic des spas, par des hordes de garras. De discuter tracteurs et prix de la farine de riz chez le meunier local. De boire un jus de fruits de la passion dans la minuscule karpaya (bou

tique) à l’angle des deux rues du village. Trois jours de marche dans les Knuckles Mountains, ou la découverte, forte et belle, avec la profonde simplicité d’une campagne srilankais­e ? Sur la terrasse perdue, au soir tombant face aux hauteurs, je me suis demandé, en regardant un petit caméléon avaler son criquet du soir, si les bongares que nous avions croisés mangeraien­t, eux, les oeufs des martins-pécheurs bleu électrique qui nichent derrière la maison de Pinti…

 ??  ??
 ??  ?? Une pause au bord du vide ? Au deuxième jour de la balade, au coeur des monts Knuckles, loin au-dessus des hameaux perdus, le belvédère de Pitawala Pathana domine le monde...
Une pause au bord du vide ? Au deuxième jour de la balade, au coeur des monts Knuckles, loin au-dessus des hameaux perdus, le belvédère de Pitawala Pathana domine le monde...
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Devant l’école d’Attanwila, ce n’est pas encore l’heure de la sortie. Juste celui d’une pause thé pour les mamans…
À gauche : à la sortie de Puwakpitiy­a, non loin des chutes de Serra Ella, le temple du village balise la frontière entre rizières et forêts.
Devant l’école d’Attanwila, ce n’est pas encore l’heure de la sortie. Juste celui d’une pause thé pour les mamans… À gauche : à la sortie de Puwakpitiy­a, non loin des chutes de Serra Ella, le temple du village balise la frontière entre rizières et forêts.
 ??  ??
 ??  ?? Du plateau de Maningala, la vue plonge sur l’étagement des rizières et la vallée de la Telgamu Oya.
Du plateau de Maningala, la vue plonge sur l’étagement des rizières et la vallée de la Telgamu Oya.
 ??  ?? En haut : noix d’arec, chaux, feuilles de bétel. Le kit complet
du mâcheur de bétel...
En bas : entre troupeaux de buffles et terrasses, sur la
descente vers Attanwila.
En haut : noix d’arec, chaux, feuilles de bétel. Le kit complet du mâcheur de bétel... En bas : entre troupeaux de buffles et terrasses, sur la descente vers Attanwila.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Déranger des buffles en pleine sieste, au frais, dans la boue ?
Déranger des buffles en pleine sieste, au frais, dans la boue ?
 ??  ??
 ??  ?? les cascades de la Telgamu Oya, le plus chic des spas de tout le Sri Lanka ?
les cascades de la Telgamu Oya, le plus chic des spas de tout le Sri Lanka ?

Newspapers in French

Newspapers from France