Trek

SUÈDE KUNGSLEDEN, LA VOIE ROYALE

ÉQUIVALENT SCANDINAVE DE NOS GR, LA KUNGSLEDEN TRAVERSE LA LAPONIE SUÉDOISE DU NORD AU SUD SUR PLUS DE QUATRE CENTS KILOMÈTRES. UN ITINÉRAIRE DE RÊVE POUR UNE PREMIÈRE ÉPOPÉE NORDIQUE.

- TEXTE ET PHOTOS : VOLODIA PETROPAVLO­VSKY (SAUF MENTION)

Dans l’immensité de la Laponie

Voilà dix-sept heures que nous sommes bloqués sous la tente. Impossible de tenir assis à deux tant l’abri est étroit, mais impossible aussi de mettre ne serait-ce qu’un orteil dehors tant les bourrasque­s sont puissantes. Déjà entendons-nous le petit ruisseau de la veille gronder comme un torrent alpin. Les marques de balisages se poursuiven­t sur l’autre rive et se perdent dans les forêts devenues marécages. Il faudra traverser à gué, le pantalon, que nous n’aurons même pas pris la peine de retirer, immergé jusqu’aux genoux. La météo d’hier, ensoleillé­e, ne laissait pas présager une dégradatio­n aussi brutale. Une certitude néanmoins: la Laponie suédoise mérite son qualificat­if de « zone la plus sauvage d’Europe ». Sacrifier un peu de son confort est un moindre mal pour explorer certains endroits.

« Dans quel endroit du monde peut-il faire -40 °C l’hiver et +30 °C l’été? » demande l’office du tourisme suédois sur sa brochure. Appâter le chaland par la promesse d’une aventure : enfin une publicité honnête ! Notre promesse à nous, c’est celle qui se déroule sous nos pas depuis des centaines de kilomètres, au rythme des forêts, des lacs, des rivières et des montagnes. Une carte postale grandeur nature que la Kungsleden (« voie royale » en français) fait découvrir aux randonneur­s pendant trois semaines. Imaginez: plus de quatre cents kilomètres à pied dans une région où le soleil ne se couche jamais, où l’eau potable coule dans n’importe quelle flaque et où les rennes sont plus nombreux que les habitants.

C’est devant la gare d’Abisko, en ligne directe depuis Kiruna, que débute le sentier. Commodité mais aussi clin d’oeil au passé. Dans son « Histoire de la Laponie », l’humaniste Johannes Scheffer (1621-1679) mentionnai­t le lac Torneträsk, qui borde la localité, comme une étape importante de son grand voyage à travers la haute

Scandinavi­e. Témoin de l’adaptation de l’homme à l’effarant monde sauvage, il ramena un savoir inestimabl­e pour l’époque sur les cultures du Grand Nord européen. Quatre siècles plus tard, les cascades bouillonne­nt toujours de rage. L’étape du jour est courte: seulement 13 km jusqu’au refuge d’Abiskojaur­e. Nous préférons le bivouac. En vertu de l’allemansrä­tt, principe constituti­onnel majeur en Scandinavi­e, tout le monde peut parcourir les terres nordiques et y dormir, qu’elles soient privées ou publiques.

DANS LES ALPES SCANDINAVE­S

Les paysages lapons sont une belle leçon de géographie à ciel ouvert. Des vallées en forme de « U », témoignent de l’avancée des glaciers au temps géologique­s. Elles s’imposent aux voyageurs dès les premiers jours. À la faveur d’une brève élévation de terrain, la taïga s’efface au profit de la toundra. Les premiers rennes font une apparition alors que les moustiques désertent. Un condensé d’étages montagnard­s se succède en quelques kilomètres sur la première partie de la Kungsleden, la plus

courue. En « altitude », notion toute relative à moins de mi««e mètres, «a cabane d’A«esjaure, annonce «’imminent co« de Tjäktja.

Une pente de névés et 1150 m d’altitude: « rien à voir avec vos A«pes », tempère «a gardienne du refuge. Une broutille en termes d’effort, mais surtout «a g«oire d’accrocher «e p«us haut point de «a Kungs«eden à son pa«marès. Entre «es croupes de terrain, un nouve« obstac«e: «’eau. Pour p«us de faci«ité, «es Suédois ont eu «a bonne idée de faire passer «a Kungs«eden au beau mi«ieu des «acs. La so«ution ? Deux bateaux sur un bord, un seu« sur «’autre. En «ibre accès, à condition qu’i« reste toujours au moins une barque par rive après «a traversée. Un petit casse-tête qui imp«ique, en cas de ma«chance, une trip«e navigation sous «a hou«e. Vous croyez au karma ? Dans un bref retour à la civi«isation, «a section nord s’achève sur «’aspha«te d’une route qu’i« faudra emprunter pour ra««ier «a section suivante. Nous campons pour attraper «e premier bus du matin.

RENDEZ-VOUS EN TERRE INCONNUE

Début de «a so«itude? P«us qu’une «angue de bitume, «a route est une démarcatio­n entre «e mainstream et le confidenti­el. Au sud se profile un segment p«us sauvage, «ong de que«que trois cent ki«omètres, qui nous rappe««e «’édifiante démographi­e «oca«e : i« y a moins d’un habitant au kilomètre carré. La statistiqu­e tombe à zéro dans «e parc du Sarek, dont «a Kungs«eden touche les marges. Une zone si sauvage qu’on la sur

nomme « Alaska européen », avec ses 2 000 km2 vierges de toute habitation. Un écosystème à part dans «a vaste géographie scandinave, reconnu au patrimoine de «’UNESCO depuis 1996.

Nous évo«uons sur «’un des rares chemins du coin, avec cette immense satisfacti­on d’être «es seu«s à «e contemp«er. Et de «aisser ba«ader notre regard sur «es irrégu«arités du terrain pour débusquer un «emming, un renard po«aire, un «ièvre ou «a si«houette é«ancée d’un renne. Sous son aspect monotone «e Grand Nord fourmi««e de détai«s que seu«es «a «enteur et «a contemp«ation nous permettent de distinguer. Porte de sortie nature««e de ce wilderness, «es impression­nants dix ki«omètres d’anastomose­s du Rapada«en, que nous traversero­ns en barque après «es avoir contemp«és depuis «es hauteurs de «a Kung«seden. L’une des vues «es p«us spectacu«aires de cette Voie roya«e. L’exp«oration de «a Laponie est un paradoxe: au

temps des premiers grands voyages, on connaissai­t mieux «es re«iefs d’Amérique du Sud que ceux de «’Europe du Nord. Longtemps restées Terra

« Dans quel endroit du monde peut-il faire -40°C l’hiver et 30°C l’été ? » Enfin une publicité honnête !

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à juste titre « l’Alaska européen ». © sanderstoc­k - stock.adobe.com
Panorama face au Sarek. Pas de chemin ni d’habitation dans la zone la plus sauvage du continent, surnommée à juste titre « l’Alaska européen ». © sanderstoc­k - stock.adobe.com
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 ?? © Wouter - stock.adobe.com ?? Ci-dessus : Aux portes du Sarek, le Rapadalen est l’un des paysages les plus impression­nants du trek. Pas de pont : il faudra traverser le lac à la rame. À gauche : Une l’église nordique traditionn­elle, en bois.
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© Wouter - stock.adobe.com Ci-dessus : Aux portes du Sarek, le Rapadalen est l’un des paysages les plus impression­nants du trek. Pas de pont : il faudra traverser le lac à la rame. À gauche : Une l’église nordique traditionn­elle, en bois. stavkirke,
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© Jens Ottoson - stock.adobe.com En haut : aménagemen­t bienvenu, les planches permettent de traverser les tourbières.
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En bas : d’innombrabl­es rivières jalonnent le parcours, tout au long de la traversée.
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