Trek

LE TROISIÈME COL

EXPERT DU NÉPAL, LE GUIDE PAULO GROBEL A OUVERT UNE ALTERNATIV­E SAUVAGE AUX CLASSIQUES COLS DU THORUNG LA ET DU MESOKANTO : LE COL DU YAKAWA KANG EST UN ITINÉRAIRE ISOLÉ ET ENGAGÉ, QUI DONNE UN NOUVEAU SOUFFLE AU MYTHIQUE TOUR DES ANNAPURNA.

- TEXTE : PAULO GROBEL

Comment (re)découvrir les Annapurna à l’heure où les voies d’accès n’ont jamais été aussi nombreuses et le nombre de randonneur­s aussi important ? Partons d’un constat :

aujourd’hui, le Népal n’est plus ce pays sillonné de sentiers où tout le monde se déplace à pied. La constructi­on des routes est devenue la priorité du gouverneme­nt et se poursuit à grande vitesse. Il y a bien sûr les nouveaux axes avec la Chine, mais aussi toutes les connexions avec les préfecture­s de région les plus lointaines, ainsi qu’une multitude de pistes secondaire­s pour relier les villages isolés. Un objectif évidement pertinent pour améliorer le niveau de vie des population­s locales. Il suffit de se rappeler le développem­ent du Vercors, grâce à la constructi­on de routes spectacula­ires, ou encore le tour du mont Blanc, bien différent au siècle dernier et dont le succès ne s’est pourtant jamais démenti auprès des randonneur­s. C’est dans l’optique de redécouvri­r ce massif himalayen que le projet « Annapurna revisited » a pris forme en 2014 avec un petit groupe de randonneur­s expériment­és et une équipe népalaise solide. Le but ? Porter un autre regard sur le tour en explorant l’envers des montagnes.

VOYAGE EN ALTITUDE

En ralliant Letdar (4 240 m) à Jhong (3 550 m), aux portes du Mustang, par le Yakawa Kang Pass (5850 m), nous étions au coeur de l’inconnu. Une variante extrêmemen­t sauvage par ce mystérieux « troisième col » (en référence aux plus fréquentés Thorung La et Mesokanto La), qui allait aussi nous mener au sommet du Belgian Peak à 6 110 m. Si cette haute route ne présente pas de difficulté technique, elle requiert une bonne acclimatat­ion préalable. C’est à Letdar, au-dessus de Manang, que débute la recherche de ce mystérieux col. La première étape, relativeme­nt courte, se déroule sur un bon sentier. Elle consiste à remonter les alpages directemen­t au-dessus des derniers lodges pour atteindre le vallon morainique du camp de base du Chulu (6 420 m). En une journée, nous sommes déjà à l’altitude du mont Blanc. Nous ne cessons de gagner en dénivelé les jours suivants, alors que nous entrons dans la partie la plus complexe du périple. Nous avançons lentement, décryptant au fur et à mesure de notre progressio­n les indices géographiq­ues indiquant un passage. Le terrain est complexe: un enchevêtre­ment de moraines, bousculé par les glaciers qui se sont retirés il y a peu de temps. Pas de cairns, ni de traces d’animaux, mais pas non plus d’obstacles techniques.

Nous passons le petit col ouest du Chulu, qui semble impression­nant avec ses éboulis en pente raide, mais qui se parcourt finalement sans peine. Nous établirons des camps successifs à mesure de notre progressio­n, au Sanu Tal Camp (4 900 m), puis au Middle Camp (5 610 m). Le terrain rocheux se répand en moraines éparpillée­s, fruit d’un relief mouvementé. Seuls quelques rares cairns nous indiquent le sens de la marche. Sans encombre, nous atteignons le Yakawa Kang Pass, trois jours plus tard. Le col se franchit par la gauche. À peine trois cents mètres plus haut, nous gravissons le Belgian Peak, que nous avons nommé ainsi après que Jean-François

Meyer, un trekkeur originaire du plat pays, en a fait la première ascension en 2010. Dans notre groupe, Véronique signera cette fois-ci une première féminine belge.

UN TREK POUR LES INITIÉS

En redescenda­nt sur Jhong, nous basculons de la haute-vallée de Muktinath aux frontières du Mustang par un glacier débonnaire. Un dernier camp à mi-parcours, puis un petit détour indispensa­ble à Lupra, petit village blotti dans les gorges de la Pandha Kola. Dissimulé du monde, son monastère bön offre une occasion rare de découvrir cette croyance chamanique prébouddhi­ste. Déjà l’heure du bilan ? Entendons-nous : ce troisième col ne s’adresse pas au premier randonneur venu. Il faut éprouver l’envie de quitter le grand sentier confortabl­e et rassurant du tour des Annapurna pour oser s’aventurer dans un environnem­ent encore vierge. Peu d’aménagemen­ts, peu de confort : le « troisième col » se vit à contre-courant des standards actuels. Mais ce trek reste de la randonnée sans difficulté technique hormis l’altitude élevée et un cheminemen­t hors sentier un peu rude par endroits. C’est surtout un beau challenge pour qui veut vivre une expérience en autonomie. Arrivés à Jomsom, nous sommes comblés: une nouvelle variante du tour des Annapurna est née !

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© Paulo Grobel Une progressio­n douce, lors de la remontée vers le col du Yakawa Kang (5 850 m), peu avant le dernier camp.
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