Trek

LES BALCONS SUD

- TEXTE : JEAN-MICHEL ASSELIN

LOIN DES CLICHÉS VÉHICULÉS PAR L’HIMALAYISM­E, LE VERSANT SUD DES ANNAPURNA SE PRÊTE À UNE APPROCHE DOUCE, ACCESSIBLE À TOUS. ILLUSTRATI­ON AVEC CE PÉRIPLE, FIN JANVIER, SUR LE THÈME DE LA MARCHE CONSCIENTE ET DU BIEN-ÊTRE, EN COMPAGNIE DE LA SOPHROLOGU­E LAURENCE AMEU.

Démarrer une rela(xa)tion avec le Népal commence souvent sur les emblématiq­ues sentiers des Annapurna. Historique­ment, les Français ont plébiscité depuis des décennies le fameux tour des Annapurna – tous ceux qui ont franchi le Thorung La vous en parlent encore avec des sanglots dans la voix. Mais je vais plutôt vous emmener sur un trekking que vous pourrez emprunter avec votre famille, y compris votre belle-mère (de plus de 70 ans), votre vieil oncle et sa prothèse de hanche, et votre armada de gosses. Un trekking qui sera la plus facile et la plus belle des clés pour ouvrir le Népal… Comment l’appeler ? Peut-être « les balcons de l’Annapurna » ? Un trekking incroyable qui vous permet d’emprunter des sentiers inconnus dans un site que l’on croyait usé jusqu’à l’os! Une boucle de quelques jours à partir de Pokhara, la cité du grand lac Phewa dans lequel se reflète la beauté du Machhapuch­hare (la queue de poisson, 6 993 m) et les pentes glacées de l’Annapurna Sud (7 219 m). Une boucle où vous vivrez un Népal authentiqu­e et vivant, mais où vous pourrez, au cas où: monter dans une jeep et vous retrouver dans le « monde civilisé » quelques heures plus tard: Un ratio plaisir / engagement où seul le plaisir l’emporte.

UN NÉPAL COCOONING

Imaginons ce périple. Imaginons que vous ayez en plus la chance de marcher par exemple avec une super accompagna­trice, qui non seulement vous cocoonera, mais vous apprendra à marcher sans vous fatiguer, vous donnera quelques bons conseils de respiratio­ns et saura même vous montrer comment lacer ses chaussures sans que les fameux lacets ne se délitent. Je viens d’avoir cette chance de vivre avec Laurence Ameu (qui est également sophrologu­e et passionnée de yoga) ce trekking étonnant, aux côtés des guides Asie de l’agence Tirawa (Bhoutan, Pakistan, Inde et Népal). Ce trekking « pédagogiqu­e » permettait de réaffirmer des valeurs: la bienveilla­nce, l’écoute du « client ». Et moi qui suis une sorte de mécréant de toutes ces notions un peu psy, genre la pleine conscience, la respiratio­n afghane, j’ai été bluffé. Je croyais tout savoir, et surtout comment mettre un pied devant

l’autre, et bien, grâce à Laurence, j’ai découvert qu’on pouvait inspirer avec son ventre, relâcher ses tensions avant de marcher, caler son souffle sur ses pas, se réciter un petit mantra en marchant. Et pire ! ça fonctionne, on est moins épuisé, le corps souffre moins, se fatigue moins, parmi ses secrets : des petits pas à la montée, des tout petits pas, et quand c’est raide, on inspire sur un pas et on expire sur l’autre, l’essayer c’est l’adopter!

ACTE UN : SE RELAXER

Pokhara. À peine descendu de l’avion de la Yéti Airlines, magnifique ATR d’une trentaine de places (au choix, 30 mn de vol ou sept heures de bus!) vous n’avez d’yeux que pour les sommets qui émergent au loin. Ensuite prendre le bus, monter dans les collines, là où se réunissent les parapentis­tes qui viennent disputer les thermiques aux vautours. Notre point de départ c’est Lumle, juste après le site (spécial view point) de Sarangkot. Avant Lumle, Christian Juni (un des fondateurs de Tirawa qui fréquente le Népal comme sa poche) nous a proposé une halte à Kande (appelée parfois Khare selon les cartes) où l’on se fait une première expérience de relaxation face aux montagnes. Plus bas, le lac avec ses barques colorées, le vitrail des champs et des terrasses où la moutarde a déjà fleuri et l’entaille des rivières. Je retiens trois mots clé que Laurence mâchouille avec délectatio­n: confiance, présence à soi, relaxe, tout ça se traduisant en népalais par bistare qui signifie « vas-y doucement mon gars, y a rien qui presse ! ». Sur le chemin du jour, on s’arrête pour un dhal bat à Chandrakot, la patronne du lodge a cuit de la christophi­ne (chayotte) avec du curry. Depuis Chandrakot (1 580 m), nous rejoignons le joli village de Tomijung avec ses toits de lauze et les ruches en forme de rondin de bois accrochées sous les toits dans le village de Patleket (qui signifie champ en terrasse). Il nous faudra moins de deux heures pour descendre et atteindre, via l’ancien sentier du tour des Annapurna, le Sanctuary Lodge (1 125 m) un peu au nord de Birethanti. Ce lodge, en réalité un « confort lodge », a été créé par des Anglais (Ker and Downey) et appartient aujourd’hui au groupe Yeti / Thamserku de mes amis Sonam Sherpa et Chanda. Un « confort lodge », ce sont de vraies chambres, juste

À peine descendu de l’avion, on n’a d’yeux que pour les sommets qui émergent

magnifique­s, avec salle de bain, eau chaude, des vestes duvets en prêt si vous avez froid, une bouillote dans le lit (même pas besoin de sac de couchage) et – comble de bonheur – un happy hour à 18 h avec rhum, soda, vin rouge, whisky ou tout autre boisson. Luxe, calme et volupté : rien à dire, une nourriture saine à base de légumes « organics » cuits à merveille : épinards (saag), pomme de terre (alu) et l’omniprésen­ce de l’ail, des épices parfumées et du coriandre.

ACTE DEUX : MARCHER SANS FATIGUE

La vue panoramiqu­e nous invite à une première expérience de relaxation face aux montagnes

Au troisième jour, débute peut-être la plus longue de nos journées de trekking. Partis de 1125 m, il faut d’abord atteindre Kimche (1 640 m) en rusant avec la route ouverte quelques années en arrière. On croise une dernière fois le bus scolaire jaune sur lequel s’inscrit la devise « Wisdom is better than strength » (la sagesse est meilleure que la force), et c’est parti pour un long dénivelé dans des escaliers de pierre au milieu des bananiers, des goyaviers, des terrasses d’orge. Vautours, chiens noirs et parfois écoliers en costume nous accompagne­nt. Les fermes sont de petits bijoux, combien de temps encore abriteront-elles ceux qui travaillen­t la terre ? Oui, les enfants s’en vont, lucioles attirées par les lumières de la ville, ils n’ont plus le goût de marcher deux heures pour se rendre à l’école. À Kimche, où se situe le terminus (provisoire) de la route, ou plutôt de la piste en terre, existe un parking payant pour les véhicules. S’ensuivent des volées de marche pour grimper jusqu’au village de Ghandruk à 1 940 m. Notre refuge (l’Himalaya Lodge) est au sommet de new Ghandruk vers 2 062 m. En chemin, nous passons par la cour d’une école, la maîtresse qui apprend l’anglais à quelques élèves attentifs, a les ongles de pied peints en rouge et un sourire éclatant… On parle foot: elle connait même

Zidane et Djorkaeff ou Pogba !

L’Himalaya Confort Lodge possède une belle terrasse face à l’Annapurna Sud et au Machhapuch­hare. Sans doute la plus belle vue des cimes, bordée par des plantation­s d’oeillets d’Inde. Les mille mètres de dénivelé, nous les avons avalés avec gourmandis­e, suivant les conseils de Laurence et acceptant de tirer des bords sur les marches pour ne pas se fatiguer. À la question typiquemen­t française de « Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? » un de nos amis népalais donne une réponse typiquemen­t népa

laise : « un dal bhat ! ». Ce soir j’ai découvert, entre autres, le bonheur de la Gorka Beer! Et ce n’est pas un hasard, Ghandruk, capitale des Gurungs, est toujours le centre où se recrutent les fameux Gurkhas qui servent dans l’armée anglaise, voire même dans la légion étrangère en France. Des soldats redoutable­s, six cents d’entre eux ont com

battu en 1914 dans les Dardanelle­s et en Belgique.

ACTE TROIS : RESPIRER

Aujourd’hui, nous allons effectuer une boucle autour de Ghandruk. Une boucle de quatre ou cinq heures qui nous mènera toujours par des sentiers vers la colline de Kimrong à 2 202 m puis

sur la crête de Kot Danda à 2 327 m. Vue imprenable, à pleurer, on touche presque les Annapurna et le Hiunchuli ou le Machhapuch­hare. Le vent souffle fort et arrache la neige des sommets ; nous, en janvier, on marche en plein soleil en tee-shirt. Plus loin, sur d’autres collines, on aperçoit les premières maisons de Chomrong et de Sinuwa, véritables portes pour entrer dans le Sanctuaire de la face sud de l’Annapurna à trois ou quatre jours de marche. Un jour, la route ira jusqu’à Ghandruk mais peu importe, nous avons désormais nos chemins abrités du moindre 4x4. Nous descendons par d’autres sentiers qui nous ramènent jusqu’au vieux Ghandruk, un village

qui semble célébrer la lumière du sombre. Maisons majestueus­es aux pierres grises et toits de lauze noire serrées les unes contre les autres. Ce soir, Laurence va nous apprendre après la respiratio­n ventrale, la respiratio­n latérale, idéale pour combattre l’anxiété.

Au matin, nous quittons Ghandruk pour l’autre versant de la rivière Modi Khola, en face, à 1 670 m… Pour atteindre ce village, il faudra pratiquer le « plat népalais » c’est à dire descendre puis remonter! Et toujours des escaliers (bâtons indispensa­bles pour économiser les genoux). Au passage, nous avons visité le petit musée « patrimonia­l » de Ghandruk, de jeunes filles posent en habits traditionn­els en éclatant de rire! Le pont sur la Modi Khola à Kyumi (1 309 m) est bordé de lodges, et dans la falaise juste en face à l’abri des surplombs on peut voir les essaims d’abeilles sauvages. La totalité de la récolte est presque achetée intégralem­ent par des Coréens. Depuis le succès du film Chasseurs de Miel, d’Eric Valli, ce miel au goût étrange et aux propriétés thérapeuti­ques très étendues se vend très cher dans les boutiques de Pokhara ou de Katmandou. Encore une remontée dans des volées de marches jusqu’à 1 670 m au « confort lodge » de Landruk, aussi beau que le précédent. Happy hour, soupe, momos et mandarines au dessert, normal, c’est la pleine saison…

SENTIERS OUBLIÉS

Sixième jour. Ça se complique ? Une piste atteint désormais Landruk et, pour l’éviter, il nous faut la compétence d’un local, d’autant que les pelleteuse­s (holy pelleteuse­s ! scandent les Népalais) creusent une deuxième route dont on a du mal à voir l’intérêt. Notre local de l’étape va donc guider notre petite troupe sur des pistes oubliées ou des ponts suspendus à la fragilité évidente ont l’air d’être franchi pour la première fois depuis des années. Grande série de « Nepali Flat », on descend pour mieux remonter et encore descendre. Nous réalisons vraiment cette expérience de s’engouffrer dans la beauté sans vivre de souffrance. Les villages se suivent : Bichuk, Kumkum,

Choridanda, Tolka… On croise dans les grands arbres des familles de singes langur au visage noir entouré d’une capuche de poils blancs. Pour la première fois du séjour le soleil est brouillé par des nuages bas. J’ai noté dans mon carnet cette phrase dont Muriel, la patronne de Tirawa, nous a fait cadeau autour d’un thé. Elle est de l’écrivain Henri Vincenot : « L’homme qui marche ne peut être asservi » ! Qui dit mieux ? Ce soir dans le village de Machgaon (1 452 m) où est bâti le splendide Malla Lodge qui nous abrite, nous sommes fiers d’avoir vécu ces sentiers inédits, oubliés, parfaits pour les randonneur­s que nous sommes et qui aspirent à ces bains de forêts. Nara, notre sirdar a pris son tambourin, Mahendra une flûte, et ce soir nous pouvons danser au son de Reshum piriri, l’hymne officiel des trekkeurs !

AU COUPE-COUPE !

La vue est imprenable, à pleurer, on touche presque les Annapurna

C’est encore avec un guide local que nous allons parcourir les derniers pas de notre trekking. Le guide nous a promis un chemin en pleine forêt, un chemin qu’emprunte vaguement quelques bovins l’été pour brouter des herbes plus vertes. Après une montée raide dans des escaliers jusqu’à un petit temple dédié à Shiva, nous oublions les marches de pierre, les escaliers, et c’est coupecoupe en main que nos guides se frayent un chemin dans une jungle qui résonne des chants de centaines d’oiseaux. Il règne ici une perfection des sons, des parfums du jasmin fleuri et de l’élan des grands arbres qui nous clouent le bec. Bientôt, sur la crête, le retour des grands sentiers qui nous mènent tranquille­ment à l’Australian Camp à 2 040 m… Bientôt le grondement des voitures et le petit village-col de Kande à 1 770 m et les retrouvail­les du bus de Pokhara.

En retrouvant la capitale népalaise, j’ai du mal à imaginer que je n’ai pas rêvé une fois de plus. Une fois de plus, j’ai marché sur ces terres qui laissent si peu de place à la médiocrité. Une fois de plus, je me suis laissé séduire par les sourires ; je sais qu’ils cachent parfois des douleurs, comment pourrait-il en être autrement ? Mais je sais aussi que les Népalais m’offrent à chaque fois cette leçon d’être positif face à la vie, comme s’ils avaient fait de cette phrase de Marguerite Yourcenar leur hymne intime, pour dire la condition humaine : « Corps, mon vieux compagnon, nous périrons ensemble. Comment ne pas t’aimer, forme à qui je ressemble, puisque que c’est dans tes bras que j’étreins l’univers » (Mémoires d’Hadrien, 1951). Oui, avec leurs sourires, j’ai une fois de plus étreint l’univers.

 ?? © Anthony Nicolazzi ?? Lever de soleil sur le Dhaulagiri (8 167 m), depuis les alpages de Muldai, près de Dobato, l’un des plus beaux points de vue du versant sud des Annapurna.
© Anthony Nicolazzi Lever de soleil sur le Dhaulagiri (8 167 m), depuis les alpages de Muldai, près de Dobato, l’un des plus beaux points de vue du versant sud des Annapurna.
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Depuis quarante ans, Jean-Mi fait corps avec l’Himalaya et a suivi les grandes expédition­s sur le Toit du Monde, pour MontagneV Magazine ou Vertical et anime aujourd’hui chaque
semaine l’émission PaVVion Montagne sur
France Bleu.
JEAN-MICHEL ASSELIN Depuis quarante ans, Jean-Mi fait corps avec l’Himalaya et a suivi les grandes expédition­s sur le Toit du Monde, pour MontagneV Magazine ou Vertical et anime aujourd’hui chaque semaine l’émission PaVVion Montagne sur France Bleu.
 ?? © Jean-Marc Porte ?? Sous l’imposante silhouette de l’Annapurna Sud, d’innombrabl­es sentiers relient villages et cultures en terrasses.
© Jean-Marc Porte Sous l’imposante silhouette de l’Annapurna Sud, d’innombrabl­es sentiers relient villages et cultures en terrasses.
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 ??  ?? Séance méditation au coeur des montagnes ? Face au Dhaulagiri (à gauche), ou aux Annapurna (ci-contre), les occasions ne manquent pas.
Séance méditation au coeur des montagnes ? Face au Dhaulagiri (à gauche), ou aux Annapurna (ci-contre), les occasions ne manquent pas.
 ?? © Anthony Nicolazzi ?? De gauche à droite, Annapurna I (8 091 m), Annapurna Sud (7 219 m) et Machhapuch­hare (6 993 m), depuis Mohare Danda.
© Anthony Nicolazzi De gauche à droite, Annapurna I (8 091 m), Annapurna Sud (7 219 m) et Machhapuch­hare (6 993 m), depuis Mohare Danda.
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Des lodges dans tous les villages, de l’accueil rustique au confort grand luxe ? Un cadre idéal pour une séance de relaxation, sous la conduite de notre maîtresse de cérémonie, Laurence Ameu (à gauche).
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© Jean-Marc Porte Rendez-vous incontourn­able des balcons sud, le belvédère de Poon Hill. Même si, avec Mohare Danda, Muldai et Khopra Danda, les points de vue panoramiqu­es sont nombreux...
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© Jean-Marc Porte Sommet sacré, le Machhapuch­hare (6 993 m), célèbre pour sa forme en « queue de poisson ».

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