NAAR-PHU ET LE KANG LA
AU NORD DE LA VALLÉE DE LA MARSYANGDI, MONTÉE CLASSIQUE DU TOUR DES ANNAPURNA, L’ISOLEMENT ET LA CULTURE TIBÉTAINE NYMBENT ENCORE LES VALLÉES DE NAAR ET PHU D’UNE AURA MYSTIQUE. CET ITINÉRAIRE, OUVERT DEPUIS 2003 AUX ÉTRANGERS, DEMEURE UN DÉTOUR BIENVENU, AVANT UN RETOUR SUR MANANG PAR L’EXIGEANT COL DU KANG LA.
Au cours des dernières décennies, la vallée de la Marsyangdi a été confrontée à l’inévitable marche du progrès avec la construction de la piste carrrossable jusqu’à Manang. J’appréhendais quelque peu mon retour, sept ans après. Malgré les dommages collatéraux liés à la construction de la route, les montagnes n’ont rien perdu de leur superbe. Les Népalais sont accueillants et le dal bhat toujours omniprésent. Mais c’est à l’écart du circuit que je suis allée chercher l’antithèse de l’itinéraire classique. Une alternative, un autre balcon des Annapurna, plus sauvage. L’aventure débute par un trajet en jeep de Besisahar jusqu’à Dharapani, où je passe ma première nuit en lodge. Le lendemain, je longe la vallée de la Marsyangdi à travers une grande variété de paysages et de cultures pour atteindre Koto. Stop! Check-point. Après présentation des permis et enregistrement, j’emprunte le sentier à droite et je quitte le circuit principal des Annapurna pour me faufiler dans l’étroite et fascinante vallée de Naar Phu. L’excitation est à son comble.
L’ENTRÉE DANS LA VALLÉE SECRÈTE
Me voilà en pays bouddhiste. La région est peuplée par des populations d’origine tibétaine. L’objectif de cette troisième journée est d’atteindre le village de Meta, situé au croisement des deux vallées de Naar et de Phu. Je remonte, sous un ciel couvert, les gorges hostiles et la forêt de pins qui gardent secrètement l’accès. La météo n’est pas de mon côté. Les bourrasques et la pluie se déchaînent. Cette entrée en matière durera près de sept heures. Les gorges se resserrent peu à peu jusqu’à déboucher sur une montée raide en zigzags où je rejoins le plateau sur lequel se trouve Meta. Ce petit village abritait autrefois des rebelles tibétains, les Khampas, qui ont fui la région du Kham lors de l’invasion chinoise de 1959. La nuit sous tente s’annonce froide et humide. Réveil musculaire à 5h. Après quelques tasses de thé et un dernier coup d’oeil à l’austère paroi du Kang Guru (6 981 m), je me mets en route vers
Kyang. Les jours s’enchaînent et la marche s’intensifie. Je continue ma progression vers Jhunum et plusieurs villages abandonnés. Pas âme qui vive! Je décide de finir ma journée à Chyakhu (3 735 m), village saisonnier et territoire de la panthère des neiges. Le sentier traverse des grands espaces de prés cultivés avant de finir au milieu des habitations en ruines. Je demande la permission pour planter ma tente à proximité. Thé bouillant et soupe de nouilles engloutie, je me lance à la recherche de cet animal aussi rare que mystérieux, accompagné de Lopsang, le propriétaire de
l’unique lodge. Nous prenons de la hauteur jusqu’à un point d’observation stratégique, selon ses dires. Un programme parfait pour une aprèsmidi ensoleillée. Les heures passent et toujours rien à l’horizon… C’est ce qu’on appelle un rendez-vous manqué! Nous redescendons. La nuit commence à pointer le bout de son nez et l’heure du repas a sonné. J’aime cette ambiance si particulière… pièce enfumée, tout le monde se retrouve autour du poêle de la cuisine, ça discute, prépare à manger, bois du thé ou du chang. Le repas du soir apporte une chaleur réconfortante.
COMME UN AIR DE BOUT DU MONDE
J’entre enfin dans la vallée secrète... L’excitation est à son comble
La nuit a été courte et le sommeil évanescent. Le réveil est douloureux. La météo a été capricieuse. Les températures sont descendues très bas. Le vent siffle toujours dehors et les montagnes alentour se réveillent doucement. Bien au chaud dans mon duvet, enveloppée dans mon drap de soie, je frissonne à l’idée de me lever, retardant l’instant de la décision jusqu’au moment où l’échéance du thé chaud ne permet plus de reculer. Par chance, le temps se calme et le ciel se découvre. Après Kyang, le chemin vers Phu évolue sur un sentier taillé dans la roche et parfois à flanc de colline, à travers les paysages majestueux et somptueux de la Phu Khola. Sans doute, la plus belle partie de l’itinéraire. Je rencontre tout au long de cette journée, ceux qui ont dompté la montagne, ceux que le froid n’atteint plus. Les voir monter de lourdes charges dans leur doko aussi facilement est impressionnant, et force le respect. Parfois, la hauteur du fardeau atteint plus de deux mètres. Je remonte les gorges minérales à travers un sentier en zigzags serrés et je franchis la porte d’entrée du village. La vallée s’élargit et des dizaines de chörtens se dressent sur le chemin. J’emprunte les ruelles étroites jusqu’au sommet du village pour apprécier le panorama lunaire. Phu apparaît tel un village fortifié, figé dans la roche. La topographie et l’atmosphère particulière de ce village sonnent comme un air de bout du monde. Passage hors du temps, les maisons en pierre sèche, chörtens et drapeaux de prières flottant sous les vents ponctuent un désert d’altitude sous influence tibétaine.
KANG LA, LE « SAINT GRAAL » DE LA VALLÉE
Au petit matin, je redescends toute la vallée de Phu par le même itinéraire jusqu’à Yughat où je passerai la nuit sous tente à 3800 mètres. D’ici, un sentier bordé de chörtens offre des vues magnifiques sur le Kang Guru et le Pisang Peak. Je continue de grimper jusqu’aux alpages où paissent les yaks. J’aperçois le village de Naar, entouré de ses champs en terrasses. J’arpente les ruelles à la recherche du Shanti Lodge. Excitée par la perspective d’une nouvelle ascension de
5 320 m, je me lève plus tôt que d’habitude et pars explorer les gorges de la Labse Khola avant de prendre la route en direction du Kang La. Je monte mon dernier campement au pied du col. Chaque matin est rythmé par la même gestuelle. Après quelques heures de marche, il apparaît droit devant moi, l’imposant chörten qui marque le passage du col. Le sentier est bien marqué et s’élève en douceur jusqu’à 5 300 m. À l’arrière, toute la vallée de Naar s’étale sous mes yeux. L’effort est soutenu pour avaler les derniers lacets. De l’autre côté du versant, je reste de longues minutes aimantée par la vue exceptionnelle qu’offre le Kang La sur toute la vallée de Manang et les faces nord des Annapurna II et IV. Après le col, je descends directement dans de grandes pentes d’éboulis jusqu’aux alpages. Je décide de prendre mon temps et de profiter de ces derniers instants seule pour bivouaquer une ultime fois avant de rejoindre le grand tour à Ngawal. Coupée du monde pour un temps, je réalise pleinement le caractère grandiose d’une telle nature. Traverser une vallée telle que Naar-Phu est une expérience unique. Un voyage en altitude, loin du bruit de la civilisation et des facilités de la vie quotidienne. C’est presque un retour à l’essentiel : mettre un pas devant l’autre, se focaliser sur son itinéraire, manger, dormir, contempler, respirer… rien d’autre. Un luxe de nos jours…