Vanity Fair (France)

« IMITER SAINT LAURENT AURAIT EMPÊCHÉ L’ÉMOTION DE CIRCULER »

Gaspard Ulliel raconte comment il s’est glissé dans la peau du couturier pour le film de Bertrand Bonello.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉLIA COHEN

Quand mon agent m’a appris que Bertrand Bonello souhaitait me rencontrer pour un projet sur Yves Saint Laurent, j’ai ressenti une émotion toute particuliè­re car ce n’était pas la première fois que ce rôle me frôlait : j’avais tourné en 2005 avec Gus Van Sant pour un des courts-métrages de Paris, je t’aime. Gus avait très envie qu’on retravaill­e ensemble, on avait parlé de plusieurs idées, mais rien de très concret. Jusqu’au jour où il m’appelle et me dit : « J’ai eu une révélation en dînant hier au restaurant. Une photo de Saint Laurent jeune était accrochée au mur, et je t’ai vu ! » Le livre Beautiful People d’Alicia Drake venait de sortir, et il envisageai­t de l’adapter. Finalement, ça n’a jamais abouti. Mais il faut croire que quelque chose me poursuivai­t, qu’une rencontre devait se faire.

Lors du premier rendez-vous avec Bertrand, il m’a expliqué que tous les acteurs pressentis allaient devoir reproduire une interview télévisée de Saint Laurent, un monologue où le travail serait vraiment mimétique. La voix de Saint Laurent a été mon premier point d’entrée dans le personnage. Bertrand avait toujours été frappé par la musicalité, le rythme et le phrasé qui lui étaient propres. Et surtout cette fragilité, qui n’est pas de la féminité. C’est assez drôle de repenser à ce premier essai aujourd’hui, parce que, finalement, mon travail sur le personnage a été tout l’inverse. Plus on avançait, plus on a réalisé qu’il fallait absolument se détacher de l’imitation pour réinventer quelque chose. Bonello a même envisagé que je garde ma vraie voix. La veille du tournage, je n’avais pas vraiment décidé ce que j’allais faire. J’avais bien sûr écouté en boucle des documents télévisuel­s ou radiophoni­ques, mais sans jamais essayer de détailler telle inflexion, telle intonation. Ça avait dû « travailler » tout de même, car au premier jour de tournage, Bertrand a dit « Action ! », et quelque chose est sorti de moi, de manière organique.

Il y a deux approches pour le biopic : le mimétisme, ou l’évocation. Quand on se rapproche trop de l’imitation, cela empêche l’émotion de circuler. La libération, pour moi, est venue le jour où Bertrand Bonello m’a dit : « Je t’ai choisi parce que ce qui m’intéresse, c’est aussi de te filmer, toi. » Idem avec les recherches, la documentat­ion : au début, on veut tout lire, tout savoir, tout connaître, mais c’est un piège. Au bout d’un moment, je me suis senti enseveli, il a fallu que je fasse une pause, que je prenne mes distances. L’envie naturelle d’un acteur, c’est de rencontrer des proches du personnage qu’il va incarner, mais avec les deux projets parallèles, celui de Jalil Lespert [soutenu par Pierre Bergé] et le nôtre, il en était hors de question. Je n’ai donc pu rencontrer aucun membre du cercle intime du couturier. Finalement, j’ai effectué un travail d’éloignemen­t progressif pour me rapprocher au plus près de notre vérité du personnage.

J’ai perdu 12 kg pour le rôle. Il ne s’agissait pas d’avoir le même corps que Saint Laurent, mais plutôt d’arriver le premier jour de tournage avec une enveloppe corporelle qui n’était pas la mienne. Utiliser ce nouveau physique pour changer la façon dont je bouge. Il y avait une grâce permanente chez Saint Laurent, et je ne suis pas forcément la personne la plus gracieuse au monde ! On a trouvé des petits trucs de gestuelle, par exemple le paquet de cigarettes que Saint Laurent a toujours dans la main, derrière le dos. Je ne pense pas que c’est un tic qu’il avait en permanence, mais c’est quelque chose qui a tapé dans l’oeil de Bertrand quand il a vu le documentai­re 5, avenue Marceau. Saint Laurent est déjà âgé, et on le voit déambuler comme ça. Quand on travaille sur un biopic, il suffit d’attraper trois ou quatre détails et de « broder » autour. Une fois qu’on a trouvé ces petits éléments qui fonctionne­nt bien, on s’en sert comme d’une boîte à outils. C’était très marrant, aussi, de découvrir le travail des autres acteurs. Je suis très ami avec Jérémie Renier. On se connaît depuis dix ans. Je ne dis pas que j’avais des doutes, mais ce n’était pas évident de l’imaginer en Pierre Bergé, et pourtant, dès le premier jour, j’ai vu qu’il avait trouvé plein de choses qui marchaient à merveille. Quant à Louis Garrel, je le trouve fabuleux dans le rôle de Jacques de Bascher, l’amant sulfureux de Saint Laurent. On se connaissai­t très peu, et il m’a fasciné par son inventivit­é constante. C’était bon pour le film, car cela m’a aidé à porter sur lui un regard passionné et amoureux. » —

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Saint Laurent
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Gaspard Ulliel incarne un Saint Laurent viscontien dans le nouveau film consacré au grand couturier.

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