Vanity Fair (France)

L’hôtel Lancaster, repaire de Marlene Dietrich

L’hôtel Lancaster a toujours offert un refuge luxueux et discret à ses célèbres résidents. Marlene Dietrich y vécut trois ans dans une suite qui porte son nom.

- MATTHIAS DEBUREAUX

Àla libération de Paris, le snobissime photorepor­ter de Life Robert Capa préférait occuper une chambre de bonne au Lancaster plutôt qu’une suite au Ritz. Un lieu calme à deux pas du torrent bruyant des Champs-Élysées. Longtemps fermé au public, c’était alors une sorte de château privé dont le personnel était réputé incorrupti­ble par la presse et propre à offrir une intimité absolue à ses habitants. Dans les années 1950, Elizabeth Taylor et Richard Burton s’y sentirent chez eux au point de laisser libre cours à des scènes de ménage de grande magnitude sismique. En témoignent, encore aujourd’hui, les portes ajoutées par la direction afin d’insonorise­r leur appartemen­t. Pour prolonger le cachet familial de l’établissem­ent, à une heure précise du soir que la direction garde secrète, l’hôtel n’est plus accessible qu’à ses résidents. Sous les peintures de Boris Pastoukhof­f et les précieux cartels du XVIIIe siècle, les habitués peuvent enfin se livrer à coeur ouvert.

Dans un ascenseur gainé de cuir rouge frappé comme le sousmain de Napoléon et orné de bambous de métal doré, le directeur Valentino Piazzi nous conduit au temple solaire de l’établissem­ent : la suite Marlene Dietrich. Le numéro de la chambre figure sur le côté de l’entrée, accompagné d’une rose. « Car ce n’est pas une porte de prison », prend soin de préciser le directeur. À son retour des États-Unis au début de l’été 1937, convaincue que le Lancaster était aux hôtels ce que le Normandie était aux paquebots, Marlene Dietrich redécore la suite 401 à son goût et s’y installe. Moulures délicates, divan de velours mauve, fusain de Josef von Sternberg datant de L’Ange bleu, bureau Louis XV et grand piano à queue Érard en érable ondé – qu’elle ne pourra emporter lors de son départ et qui fait à présent le bonheur de Jane Fonda quand elle est de passage à Paris. David Lynch, Philip Roth, Nanni Moretti et Adrien Brody viennent aussi goûter ce charme spartiate et filtré d’ancien palace de province.

Comble de raffinemen­t : même quand Marlene Dietrich n’y séjournait pas, sa suite était continuell­ement fleurie de lilas blancs. « On ne voyait plus les meubles tant il y avait de bouquets et il était indéniable­ment difficile de respirer », se souvient sa fille Maria Riva dans la biographie qu’elle publia à la mort de la star. L’écrivain allemand Erich Maria Remarque, l’auteur du roman À l’Ouest, rien de nouveau, se cachait derrière ces attentions. Une histoire d’amour qui avait pourtant commencé singulière­ment. Après une nuit blanche de discussion, le romancier avait péniblemen­t avoué : « Il faut que je vous dise... Je suis impuissant. » « Oh, mais c’est merveilleu­x ! » s’était exclamé Marlene. « C’était un soulagemen­t, confiera-t- elle plus tard à sa fille, tu sais comme j’ai horreur de faire “ça”... J’étais tellement contente ! Cela voulait dire que nous pourrions tout simplement discuter et dormir, et nous aimer, sans esbroufe ! » Peu avant la guerre, lors d’une visite surprise du ministre allemand des affaires étrangères Joachim von Ribbentrop, flanqué de deux anges blonds de la Gestapo, Marlene enferma le romancier dans la salle de bains. Les ouvrages de son amant avaient été brûlés par les nazis et elle craignait qu’il ne fût arrêté. Cette délégation avait en réalité pour but d’inviter l’actrice à rentrer en Allemagne pour devenir la grande star du Reich. Mais Marlene, qui ne semblait pas dupe des intentions d’Hitler, dit à son amant en le libérant de sa cachette : « La seule raison pour laquelle il n’arrête pas de m’envoyer ces officiels si importants pour me convaincre de revenir, c’est parce qu’il m’a vue en porte-jarretelle­s dans L’Ange bleu et qu’il a envie de voir ce qui se passe sous cette culotte de dentelle ! » —

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(1937). L’hôtel Lancaster par Harcourt.
Marlene Dietrich dans Ange d’Ernst Lubitsch (1937). L’hôtel Lancaster par Harcourt.
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qui porte son nom.
Le piano de Marlene Dietrich dans la suite qui porte son nom.

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