Retour dans le de Lost in translation
Dans la jungle des 697 karaokés de Tokyo se trouve le Karaoke-kan Shibuya-ten, où se mêlèrent les voix de Scarlett Johansson et Bill Murray dans Lost in Translation.
Souvenez-vous. En 2003, Charlotte (Scarlett Johansson) sommeille en petite culotte rose dans une des tours du Park Hyatt Tokyo. Elle éprouve ce sentiment de n’être plus tout à fait elle-même. Son mari photographe ne s’intéresse qu’à des futilités. Dans la chambre d’à côté séjourne Bob Harris (Bill Murray), star oubliée qui éponge un crédit dans une pub pour whisky. Bob et Charlotte s’attirent sans s’approcher. Parce que ce n’est pas le moment, parce que ce n’est pas le lieu. Parce qu’ils sont lost. Un soir, au club Air, une bande de Japonais les entraîne dans cette tour du quartier de Shibuya où s’empilent les karaokés. Sensuelle, sûre de ses 20ans, Charlotte ondule sous une perruque rose et susurre Brass in Pocket des Pretenders: «Je suis spéciale, si spéciale, je dois attirer ton attention...» Puis elle passe le micro à Bob. Il avale encore un verre. « C’est dur », dit-il. Et d’une voix hésitante et brisée, l’acteur entame More Than This de Roxy Music: «En ce temps-là, je sentais qu’on ne pouvait pas savoir où s’en vont les feuilles tombées dans la nuit...»
Le monde de la nuit est éphémère. La peinture bleue du Karaoke-kan a disparu avec le personnel de l’époque. Seishi Igami, le responsable actuel, rencontre parfois des clients qui demandent spéciquement le salon 601, « surtout des Occidentaux », précise- t-il. « Vous avez vu ? Nous avons ajouté ce formidable micro monté sur ressort ! On se croirait sur scène.» Il empoigne l’objet à la manière de Freddie Mercury et s’incline résolument en avant pour haranguer une hypothétique foule en liesse. M. Igami se redresse, rajuste sa veste et poursuit sérieusement : « Soa Coppola avait sans doute remarqué les larges vitres qui donnent sur la ville. C’est un karaoké atypique, la plupart sont entièrement fermés.» Les annuaires qui contenaient autrefois la liste des chansons disponibles n’existent plus. Aujourd’hui, tous les karaokés sont reliés à une base de données sur Internet. Parmi les 150 000chansons ne gurent cependant ni More Than This, ni Brass in Pocket. La pratique et la technique changent, mais le principe reste le même. Dans une société où les comportements sont très codés, où l’apparence est essentielle, « on vient ici pour “s’exploser”, comme on dit en japonais ! » s’exclame un habitué enthousiaste. Dans Lost in Translation, les sentiments explosent au Karaoke-kan, le temps de deux chansons. Puis, seuls dans le couloir, Bob et Charlotte partagent une cigarette. Délicatement, elle pose la tête sur son épaule. Dehors «otte la foule de Shibuya. Dixans ont passé, et nul ne sait où s’en sont allées les feuilles tombées dans la nuit.—