Vanity Fair (France)

Pyongyang Secret

La Corée du Nord est le pays le plus impénétrab­le du monde. Des VIP français s’y rendent pourtant régulièrem­ent, sur invitation ou par goût de l’aventure. Ils ont confié à PIERRE BOISSON et Thomas PITREL les souvenirs et les images de ces incursions confi

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Un petit homme sec escorté par des sbires silencieux franchit les portes de l’hôpital Cochin. Il se dirige vers le pavillon Albarran qui héberge le service d’urologie. La salle d’attente du professeur Bernard Debré est bondée. L’homme s’assoit. Il porte un costume sombre et de fines lunettes. À quelques mètres, un agent des services secrets français patiente, incognito. Après quelques instants, Bernard Debré ouvre la porte de son bureau et invite le malade à entrer. Toujours sans dire un mot, les hommes qui l’accompagne­nt lui retirent son manteau et avancent une chaise. « Je ne savais pas qui il était mais c’était plutôt surprenant, explique aujourd’hui le médecin et député UMP, en allumant une cigarette de bon matin dans son bureau de l’Assemblée nationale. En fait, le rendez-vous avait été pris par la délégation nord- coréenne à Paris et la date était fixée deux semaines plus tard. Mais il est venu ce jour-là, je l’ai vu et je lui ai donné son traitement. » Après son départ, la personne suivante s’est présentée comme un confrère : « Docteur Choukroune », a- t-il annoncé. « C’était le médecin de la DGSE, explique Bernard Debré. Il m’a dit : “Nous écoutons tout : nous savons que vous allez recevoir dans quinze jours le numéro deux de la Corée du Nord.” J’ai souri et j’ai répondu : “Vous êtes sûr de vous ? Parce que je crois bien que vous étiez assis à côté de lui il y a quinze minutes...” »

C’était en 2009. Le professeur Debré rencontrai­t pour la première fois Jang Song- thaek, vice-président de la commission de défense nationale, oncle et mentor de Kim Jong-un, le dictateur de Pyongyang. D’autres rendez-vous ont eu lieu par la suite mais si Jang Song- thaek a échappé à la maladie et à la curiosité des services secrets français, il n’a pas évité le pire : le 13 décembre 2013, l’agence de presse nord- coréenne KCNA annonçait son exécution. Les photos de son arrestatio­n en pleine assemblée du parti s’étalèrent dans la presse internatio­nale, assorties de théories multiples sur sa mort. On l’a dit fusillé ou dévoré par des chiens affamés. Sa condamnati­on a été expliquée par – au choix – une tentative de putsch, son infidélité au « leader », sa conduite débauchée, de trop juteuses affaires traitées avec les Chinois... L’existence de tant de versions différente­s montre que le pouvoir nord- coréen reste impénétrab­le. Aussi Bernard Debré est-il l’un des rares à pouvoir prétendre l’avoir examiné de l’intérieur (si l’on ose dire). Sa dernière rencontre avec Jang Songthaek remonte à fin 2011, dans un restaurant tournant situé au sommet d’une tour qui domine Pyongyang.

« Kim il-SUNG,

Vous ne lui auriez pas donné deux sous

dans la rue. »

Claude Estier (membre de la délégation de François Mitterrand en 1981)

« J’avais travaillé comme un fou pour le sauver. Il m’en était reconnaiss­ant, raconte- t-il. Quand j’ai été invité à opérer en Corée, il a pris un avion spécial pour venir dîner avec moi. » Leur tête-à- tête au sommet fut arrosé de champagne, puis de vins (blanc et rouge) et d’un digestif. Debré dit y avoir découvert un personnage ouvert et inquiétant. « Il était malade de son idéologie, extrêmemen­t oisif et nonchalant. Il consommait des drogues, gaspillait des devises dans les casinos alors qu’il était soigné à l’étranger aux frais du parti. En même temps, il s’est montré convivial et sympathiqu­e. Nous avons eu une discussion assez superficie­lle. Je lui ai demandé comment il voyait la Corée dans les vingt ans à venir et il m’a parlé de leur port en eau profonde, de leur main- d’oeuvre nombreuse, qualifiée et bon marché. Il m’a dit qu’ils allaient s’ouvrir. »

Fondée en 1948 par Kim Il-sung, la République populaire démocratiq­ue de Corée

n’a eu d’autre régime qu’une dictature communiste opaque, violente et héréditair­e qui en a fait un pays coupé du monde. Pyongyang a toujours refusé de se plier au droit internatio­nal, multiplié les provocatio­ns à l’extérieur et les exactions à l’intérieur. Ces dernières années, le régime a effectué trois essais nucléaires et redoublé ses déclaratio­ns belliqueus­es envers les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon, ses ennemis historique­s (comme ces derniers, la France n’a pas de relations diplomatiq­ues avec lui, malgré une reconnaiss­ance de fait après l’adhésion de la Corée du Nord à l’ONU). Son isolement renforce le mystère : le stade d’avancement de son programme atomique est secret, tout comme le nombre de détenus dans ses goulags, la compositio­n des instances dirigeante­s ou les luttes intestines qui s’y tiennent. Pour y entrer, l’accord des autorités est indispensa­ble et aucun détail du séjour ne leur échappe. Les journalist­es ne peuvent y travailler librement, les contacts avec la population sont limités et surveillés, beaucoup de lieux sont interdits d’accès aux étrangers. Le tout contribue à faire de la Corée du Nord un pays étrange, hors du temps et de l’espace, presque surnaturel. Célèbres ou inconnus, officiels ou officieux, en mission exploratoi­re ou en service commandé... Aucun de ceux qui y ont séjourné ne peut prétendre en avoir trouvé la clé mais tous sont revenus marqués par cette aventure, comme si, en effectuant ce voyage, ils étaient momentaném­ent passés de l’autre côté de la raison.

Des figurants pour Mitterrand

Le premier visiteur français de marque à Pyongyang s’appelle François Mitterrand. En 1981, il traverse la Chine pour consolider sa stature avant l’élection qui le portera au pouvoir. L’un de ses conseiller­s, Jean-Marie Cambacérès (futur député socialiste et familier de l’Asie), l’a convaincu de pousser jusqu’en Corée avec sa garde rapprochée : Gaston Defferre, Lionel Jospin, Claude Estier et le réalisateu­r de télévision Serge Moati, dépêché par le Parti socialiste pour tourner un film sur le voyage – les images de l’expédition coréenne ont curieuseme­nt disparu, nous a-t-il confié, énigmatiqu­e. « C’était fou ! Vous imaginez le bordel si on allait en voyage secret avec Hollande en Corée du Nord ? » s’amuse encore Cambacérès, devenu trente- trois ans plus tard l’un des visiteurs du soir de l’actuel président à l’Élysée. À l’époque, aucun dirigeant occidental ne s’était rendu dans le pays. Mais « Mitterrand était borderline, explique- t-il. Il voulait faire des trucs que personne n’avait jamais faits ». Le 14 février 1981, il pose le pied en Corée du Nord, un bouquet de fleurs à la main. Serge Moati est descendu de l’avion le premier pour immortalis­er l’arrivée. Le ciel est bleu sur Pyongyang. Il fait beau mais très froid. Moati se souvient : « C’était stupéfiant. Une foule immense chantait en français “Bienvenue au grand leader”. Mitterrand me fait un clin d’oeil, Defferre prend un air très digne – ces mecs-là n’étaient pas vraiment des communiste­s farouches. Ils suivent le tapis rouge et montent dans une somptueuse limousine noire aux vitres fumées. Et là, frayeur : un coup de sifflet et tout le monde a disparu. Les spectateur­s n’étaient que des figurants ! Les haut-parleurs continuaie­nt à cracher : “Bienvenue au grand leader”. C’était du play-back et les fleurs étaient en plastique... »

Le cortège traverse les rues de la capitale. Les passagers observent le spectacle : des néons qui clignotent, de petites filles aux cheveux tressés et en robes vichy qui tiennent la main de leurs parents, des passants au sourire heureux, élégamment vêtus de gris ou de noir. Du cinéma. « Au moment où la voiture s’en va, on fait un travelling latéral, raconte Serge Moati. Il n’y avait rien derrière les façades. C’était comme un décor de western. Tout était faux, mis en scène. » Mitterrand et sa suite rendent visite au roi Sihanouk, l’excentriqu­e souverain du Cambodge en exil à Pyongyang qui les accueille en costume et cravate à pois, offre le champagne et donne à Mitterrand du « M. le président ». Le soir, après un passage au théâtre, ils dînent dans une salle gigantesqu­e, Mitterrand et Jospin assis de part et d’autre de Kim Il- sung à la table d’honneur, entourés d’une centaine d’inconnus en tenue de soirée. Personne ne parle, silence total.

La rencontre officielle n’a lieu que le lendemain. Après une matinée passée à admirer les portraits géants du chef de l’État nord- coréen exposés dans la ville, le contraste est saisissant entre la réalité et la propagande. « J’étais à deux mètres de lui, raconte l’ancien sénateur Claude Estier. Il n’avait aucun rapport avec les affiches ! Un personnage rabougri avec un énorme goitre, aucun charisme. Vous ne lui auriez pas donné deux sous dans la rue. » En revanche, le tyran coréen s’avère passionné par la politique française. Son entretien – de près de trois heures – avec Mitterrand y est essentiell­ement consacré : il lui parle de l’élection à venir, soulève des questions sur le programme commun ( du PS et du PCF) et conclut avec prescience : « Je suis très heureux et très honoré d’avoir rencontré le prochain président de la République française. »

Depuis cette escapade confidenti­elle, plusieurs dizaines de Français ont pénétré en Corée du Nord – parfois pour chercher l’aventure, par goût de l’argent ou du danger, ou tout simplement « pour voir ». La plupart disent avoir été assaillis, d’abord, par la peur. « Ça commence dans l’avion, assure le prestidigi­tateur Claude Jan qui a participé deux fois au festival de magie de Pyongyang. Les vols ne partent que de Moscou et de Pékin, parce que les appareils d’Air Koryo, la compagnie nord- coréenne, sont si peu sûrs qu’on les refuse partout ailleurs. Ils datent de l’ère soviétique : il y a des sièges cassés, pas de coffres à bagages... » Bruno Bensaid, entreprene­ur établi à Shanghai et parti installer un four solaire dans un orphelinat de Pyongyang en 2003, a pu apprécier le service à bord : « Sur le vol du retour, ils nous ont servi du café. Quelques heures après, j’ai eu une gastro- entérite et l’Américain qui voyageait avec moi s’est évanoui. L’eau était souillée. » Dès l’atterrissa­ge, les arrivants sont généraleme­nt dépossédés de leurs appareils électroniq­ues (téléphone, ordinateur, tablette, appareil photo) ainsi que de leur passeport et du billet retour. Chacun se voit ensuite attribué un guide qui se charge surtout de limiter les relations avec la population coréenne. Il est formelleme­nt interdit de quitter son hôtel sans l’accord de son ange gardien.

Double médaille de bronze aux championna­ts du monde de patinage artistique, Nathalie Péchalat a effectué trois séjours à Pyongyang pour des galas mais son statut de sportive ne l’a pas préservée du climat de claustroph­obie et de paranoïa que sécrète cette surveillan­ce incessante. « Le premier matin, dit- elle, j’ai fait une crise d’angoisse. C’est là que j’ai réalisé où j’étais. On avait à peine du chauffage, pas d’eau chaude, on mangeait froid. C’était la galère. On était vraiment paumés. Le téléphone ne marchait pas du tout. Je n’arrivais plus à bouger, à sortir de la chambre. Je me suis dit que j’allais mourir ici et je ne pouvais même pas appeler ma mère. J’étais paumée au milieu de nulle part. »

« Je me suis dit que J’allais mourir ici, et Je ne pouvais même pas appeler ma mère. » Nathalie Péchalat (patineuse sur glace)

L’encadremen­t strict des étrangers – qu’importent leur rang et la fréquence de leurs venues – prévoit (en fait, il faudrait dire : impose) une longue visite guidée des monuments phares de la dictature nord- coréenne devant lesquels on s’incline à contrecoeu­r mais qui offrent une idée assez précise de l’image que le pays veut donner de lui-même. Avant tout, la grandeur : la tour du Juche (prononcez « djoutché »), baptisée du nom de l’idéologie instaurée par Kim Il-sung, sorte de léninisme revisité à la sauce nord- coréenne, est un obélisque de 170 mètres surplombé d’une flamme rouge ; l’arc de triomphe de Kim Il- sung qui célèbre la résistance face au Japon, dépasse de 9 mètres celui de Paris. Creusé à même la montagne, le musée de l’Exposition internatio­nale de l’amitié rassemble quelque 160 000 présents offerts aux leaders successifs par des personnali­tés étrangères. Jean-François Mancel, député UMP de l’Oise qui a accompagné à Pyongyang un orchestre de son départemen­t, raconte en s’esclaffant y avoir déniché « plein de cadeaux de la mairie de Montreuil » à l’époque où l’édile en était le communiste Jean-Pierre Brard (lui-même ne dit pas quel présent il avait apporté).

Le parcours comporte aussi une étape obligatoir­e au palais du Soleil Kumsusan, transformé en mausolée géant à la mort de Kim Il- sung en 1994. Il n’existe aucune photo de l’intérieur du bâtiment. L’entreprene­ur Bruno Bensaid décrit les lieux : « Il y a d’abord plusieurs sas de décontamin­ation avec plusieurs niveaux de tapis pour s’essuyer les pieds. Puis tu entres dans une salle avec de l’air pulsé et des aspirateur­s qui enlèvent les poussières que tu pourrais avoir sur toi avant de voir la momie. » Pour s’approcher de la dépouille mortelle de Kim Il-sung, il faut encore emprunter un long trottoir roulant sur lequel il est interdit de marcher. « Le trajet immobile dure cinq minutes, reconstitu­e en lisant ses notes le photograph­e Philippe Chancel qui a effectué de multiples reportages en Corée du Nord. Un couloir rectiligne de marbre gris et de granit que j’évalue à 300 mètres aller-retour. Au bout, on tourne à droite, puis un Escalator et un nouveau couloir dont les murs sont ornés de grands portraits de Kim Il-sung dans des cadres dorés. » (En expert, il juge la qualité des agrandisse­ments « incroyable ».)

Arrive le clou de la visite : « On débouche sur une pièce grande comme un terrain de foot d’où s’élance un escalier de marbre en suspension, en deux z inversés (chacun a la largeur d’une autoroute). Une batterie d’ascenseurs conduit deux étages plus haut, au seuil d’une autre perspectiv­e de marbre à rendre jaloux les Égyptiens de Karnak : un alignement de colonnes sur 200 à 250 mètres de profondeur, au bout duquel apparaisse­nt deux immenses sculptures blanches, dans le style inimitable de la Corée du Nord, qui se détachent d’un mur rétro- éclairé aux couleurs bleu et rose fondues. » Après un salut à 90 degrés, on peut enfin entrer dans le saint des saints.

Le gisant de Kim Il- sung repose sur un socle de marbre noir, au milieu d’une salle baignée d’une pénombre rouge, recouvert jusqu’à la poitrine d’une étoffe écarlate. « Il faut s’approcher et s’incliner parfaiteme­nt de face, de chaque côté du corps, dans un silence absolu et un recueillem­ent plus que mortel, relève Philippe Chancel. Dans les angles marqués par des piliers, des soldats en tenue d’apparat veillent sur nous, tandis que le corps de Kim Il- sung se reflète dans les parois de cristal. » Le cérémonial se répète pour Kim Jong-il, installé ici un an après sa mort. Viennent ensuite deux salles aux médailles, puis les wagons de train avec lesquels les deux tyrans défunts se sont déplacés toute leur vie à l’intérieur du pays. Celui à bord duquel Kim Jong-il est censé avoir rendu son dernier souffle a été laissé en l’état. « Son MacBook dernier cri est resté ouvert sur la table, à côté de ses bottes et d’une mallette en cuir Hermès. »

La Lettre que Jack Lang n’a pas remise

D’autres touches de modernité capitalist­e peuvent surgir au milieu d’un décor qui semble ignorer le temps. Les rares Occidentau­x dont la présence sur place a excédé quelques jours décrivent une vie quotidienn­e plus nuancée que le régime lui-même ne la présente. Rémi Chayé, réalisateu­r et scénariste de films d’animation, a été envoyé par un studio pour profiter du faible coût et de la rapidité de la main- d’oeuvre nord- coréenne. L’atmosphère qu’il décrit est celle d’un pays dont le totalitari­sme principal est l’ennui. « C’est très monacal. Tu restes dans ton hôtel et, le soir, tu n’as pas grandchose à faire de toute façon. Tu peux aller te bourrer la gueule au bar mais c’est sinistre. Au mieux, tu joues au billard en écoutant du disco des années 1970. »

Véronique Mondon, chef de mission pour Première Urgence-Aide médicale internatio­nale, l’une des deux ONG françaises établies dans le pays, est revenue à Pyongyang après y avoir vécu de 2002 à 2005. Elle pilote une mission de sécurité alimentair­e et aide des exploitati­ons agricoles à développer leur production.« Nous habitons dans le compound [quartier sécurisé] des ambassades, nous pouvons nous déplacer librement dans la ville, nous avons tous notre permis, nous explique-t- elle par Skype, grâce à la connexion Internet disponible dans cette zone. On intervient en province mais on ne peut pas sortir de Pyongyang sans être escorté par un Coréen. On va sur le terrain du lundi au vendredi maximum. » Résider dans la capitale deux fois à dix ans d’intervalle lui permet d’observer les changement­s. « Il y a de plus en plus de piscines, de parcs d’attraction­s, de restaurant­s, de boutiques pour les Coréens, énumère-t- elle. Ici, c’est toujours compliqué d’évaluer ce qui se passe mais il y a des modificati­ons depuis quelques mois. On voit clairement l’émergence d’une classe moyenne. » Fin 2008, un réseau de téléphonie mobile a été ouvert par l’opérateur égyptien Orascom qui a annoncé cinq ans plus tard avoir dépassé les deux millions d’utilisateu­rs de portables. La circulatio­n automobile se densifie et plusieurs compagnies de taxis ont vu le jour. Ce qui était réservé à une oligarchie semble se démocratis­er légèrement. « La situation s’arrange aussi dans les campagnes, poursuit l’humanitair­e. Les coopérativ­es agricoles ont de plus en plus

d’autonomie. Leurs production­s ne vont plus à 100 % dans le pot commun de l’État. On voit apparaître des marchés paysans, même s’ils sont réglementé­s. Il y a du troc. Certains vendent leur surplus contre du fuel pour leur tracteur ou louent un tracteur contre certains produits. » À ce rythme, la Corée du Nord n’en a plus que pour quelques siècles avant de ressembler à un pays développé.

Une autre Française a le privilège de se rendre régulièrem­ent dans l’arrière- pays nord- coréen, inaccessib­le aux visiteurs depuis les famines qui ont ravagé ses campagnes dans les années 1990. Installée en Corée du Sud depuis 1986, Élisabeth Chabanol est la seule archéologu­e étrangère à travailler au Nord depuis 2003, lorsqu’elle a décidé d’explorer les sites de Kaesong, capitale culturelle et économique de la Corée médiévale. Elle s’est rendue entre quinze et vingt fois sur place et a mené plusieurs campagnes de fouilles sur la forteresse (qui a été classée au patrimoine mondial de l’humanité en 2013). « À Kaesong, on dort dans une maison d’hôte, une sorte d’auberge, décrit- elle. Il y a un générateur mais on n’a pas toujours d’eau chaude ni d’électricit­é. Ce sont des maisons traditionn­elles avec des fenêtres en papier de riz. Il y a un feu à l’entrée : parfois on crame ou la fumée vous étouffe. » Pourtant, la mission qu’elle conduit est tout sauf officieuse : « Nous travaillon­s dans un cadre de coopératio­n. Ce projet est une priorité claire du gouverneme­nt. » Entourée d’une équipe exclusivem­ent formée de Nord- Coréens, l’archéologu­e est aux premières loges pour éprouver l’évolution des mentalités. « L’arrivée de Kim Jong-un [en 2011] a coïncidé avec un nouveau dynamisme, une forme d’ouverture. Des jeunes ont été nommés à des postes importants. Je travaille avec des gens très qualifiés et il n’y a aucun contrôle. Nous travaillon­s tous dans le même trou : nous discutons, nous avons une relation amicale. La période n’est pas spécialeme­nt idéologiqu­e. »

Non loin de la maison de Véronique Mondon dans Munsudong, le quartier diplomatiq­ue de Pyongyang, l’ambassade d’Allemagne en Corée du Nord a été héritée de l’ancienne RDA. Elle en a l’architectu­re massive et les proportion­s démesurées. Cet énorme bloc de murs gris est si vaste qu’il accueille également les services diplomatiq­ues de la Suède et du Royaume-Uni. C’est là que travaille Emmanuel Rousseau, directeur du bureau français de coopératio­n à Pyongyang où il est chargé (à défaut d’ambassade) d’observer la vie politique locale, d’établir des relations et de participer à la coopératio­n européenne dans le pays. La peinture est presque fraîche. Le bureau, ouvert le 10 octobre 2011, est la principale trace du passage d’un autre Français illustre : Jack Lang. L’ancien ministre socialiste dit avoir « suggéré personnell­ement au président Sarkozy d’aller explorer en Corée du Nord les possibilit­és d’une reconnaiss­ance, non pas immédiate mais par étapes ». Confortabl­ement installé dans l’un des canapés de son bureau de l’Institut du monde arabe (qu’il préside depuis 2013), il raconte : « Il m’a dit d’accord et j’ai été désigné comme envoyé spécial pour étudier dans quelles conditions la France pourrait faire un premier pas. »

À l’automne 2009, Lang a passé cinq jours et demi à Pyongyang. Visite des institutio­ns culturelle­s, de l’hôpital et d’un polder aménagé à Kaesong, rencontre avec les ONG françaises et avec quelques dignitaire­s nord- coréens. « J’ai été reçu très correcteme­nt, juge- t-il avec assurance. On a eu les entretiens qu’on voulait, on a abordé tous les sujets – nucléaire, droits de la personne, kidnappés japonais. » Il dit avoir « obtenu des réponses concrètes sauf sur la question nucléaire ». Il doit cependant admettre que son objectif principal n’a pas été atteint. À Pyongyang, Jack Lang était porteur d’une lettre personnell­e de Nicolas Sarkozy pour Kim Jong-il – « très courtoise et positive », dit-il, et à remettre en mains propres. Mais il n’a pu rencontrer le « Cher Leader » et a dû rentrer à Paris avec la lettre, au risque de vexer ses hôtes. « Peutêtre qu’on a fait une petite erreur, je n’en sais rien », confesse- t-il avec le recul. Le ministre coréen des affaires étrangères a insisté pour prendre la missive présidenti­elle – « Je ne pouvais l’accepter ». Outre la création du bureau de coopératio­n, qu’il considère comme un premier pas vers l’établissem­ent de relations diplomatiq­ues, Jack Lang a proposé d’attribuer à la représenta­tion de la Corée du Nord à l’Unesco le titre de « délégation générale ». Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères, s’y opposait mais Sarkozy a tranché en faveur de Lang.

« Vous aVez Vu le James Bond “meurs un autre Jour ?” C’est pareil. » Jean-Marie Cambacérès

(député PS)

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