TRANCHES DE L’ART
Une rue de l’est londonien concentre lieux branchés et oeuvres contemporaines.
Quand on saute dans un taxi à l’angle d’une r ue embouteillée d u West End londonien et que l’on annonce « Rivington Street », le chau eur, un Irlandais à l’accent tranchant, résident de la capitale anglaise depuis vingtquatre ans, ricane : « Rivington Street ? Je n’y suis pas allé depuis au moins dix ans ! À l’époque, j’étais un bad boy. » Au coeur de Shoreditch – quartier populaire il y a quelques années encore mais transformé, en moins de temps qu’il n’en faut pour écouter une bonne chanson de rock anglais, en un repaire de hipsters à barbe et de lles au look aûté et aux cheveux mauves –, Rivington Street a eectivement bien changé. Encadré par Shoreditch High Street à l’est et Great Eastern Street à l’ouest, ce petit bout de ville concentre sur 300 mètres ce qui marque la gentrication d’un quartier en 2014 : des cafés avec des tables communautaires en bois massif et des expressos à 3 euros servis dans de minuscules gobelets en carton, des cappuccinos au lait de soja, des carrot cakes à l’aspect fait maison présentés sur de rudimentaires planches en bois et vendus à la découpe... On y trouve un restaurant italien (La Bottega prelibato, au numéro 45), un pub avec des géraniums roses en pots, un magasin de vêtements pour hommes sous- éclairé, une librairie arty, un music club, un club de gym (le Body Studio, avec cours de yoga mysore et de boxing tness), une galerie d’art en vitrine de laquelle des éléments de décoration blancs ou noirs pivotent sur des tourniquets immaculés, protégés par de grandes cloches en verre. Chez Franco’s Take Away, ça sent fort la graisse chaude et on attrape un meatball sandwich en gardant un oeil sur son iPhone. En juin, la rue a même son propre festival, en forme de street party culturelle. Brooklyn a Williamsburg et Bedford Avenue, Paris a Pigalle et la rue des Martyrs, Londres a Shoreditch et Rivington Street.
Au numéro 32, le restaurant Tramshed sert des viandes sélectionnées et des poulets fermiers dans un décor signé
. Au milieu de l’immense Damien Hirst salle, dans un caisson transparent rempli de formol bleu turquoise, une vache et un coq (oeuvre de l’artiste). Au soussol, une galerie d’art. Les serveurs sont charmants, élégants. Quelques mètres plus bas, juste après le pont du métro aérien, tagué d’un immense (et très ironique) « SCARY », le Cargo est le QG des branchés le soir venu. On y mange un burger végétarien ou du houmous sur du pain pita, on y écoute le dernier groupe en vogue, on y boit du pinot gris italien au verre ou du Dom Pérignon à la bouteille (250 livres, quand même) et on y pose devant le grafti du street artist , protégé d’un
Banksy panneau en Plexi. De quoi protège- t- on un tag ? Des autres tags, pardi ! Civilisés, agréables, bobos en diable, Rivington Street et Shoreditch seraient en passe de se faire devancer dans la course à la hype par Dalston. Un peu plus à l’est, un peu plus sauvage, un peu plus inexploré, forcément beaucoup plus cool, l’ancien repaire des dealers (et des rockers en slim du début des années 2000, en
Razorlight tête), est la dernière marotte des Londoniens dans le vent. Pour le moment, cette ruelle de l’East End mérite encore son quali catif de « culte ». Mais pour combien de temps encore ? —