Vanity Fair (France)

UN TAPIS ROUGE USÉ JUSQU’À LA CORDE

Il ne suffit plus aux acteurs d’être bons à l’écran, démontre JAMES WOLCOTT.

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e tapis, il serait temps de le rouler, de le ranger dans une réserve et de laisser les visages célèbres attachés à des corps non moins célèbres vaquer et partir où bon leur semble comme des êtres libres – et non plus comme des bagnards de la mode, des bêtes curieuses ou des générateur­s de clics. « Plus signifiera pire », grommelait prophétiqu­ement le romancier Kingsley Amis. Le rituel du tapis rouge, autrefois majestueux, s’est mué en calvaire ponctué d’une interminab­le série de stations imposées à des stars prenant la pose et souriant d’une façon grotesque, mettant à rude épreuve leur aura interstell­aire. Quand le cérémonial était encore limité à quelques soirées de gala (avant-premières fastueuses, cérémonies des Oscars – qui n’a, soit dit en passant, été doté d’un tapis rouge qu’en 1961 et il fallut attendre la première diffusion couleur à la télé, en 1966, pour que cette soirée devienne la soirée –, montée des marches à Cannes, serrage de louche avec la reine d’Angleterre et son mari Phil...), il conservait la majesté et le glamour du tapage exceptionn­el. À présent, le tapis rouge est devenu la piste du marathon que l’on appelle désormais « awards season », la saison des trophées, qui coïncide plus ou moins avec l’hiver : les Golden Globes, les Screen Actors Guild, Eddie et Bafta Awards jusqu’au bouquet final, les Oscars. Et pour occuper le reste de l’année : les Grammys, les Emmys, les Critics’Choice Television Awards, les MTV Movie Awards, les Academy of Country Music Awards, le

Cfestival S×SW, le Comic Con, les Espys, le gala de l’AmFAR, le dîner des correspond­ants de la Maison Blanche, les Kids’Choice Awards de Nickelodeo­n, les trophées du Kennedy Center, la course Indy 500, les inaugurati­ons de supérettes, les visites papales et autres coupages de rubans en tous genres. Tout cela a modifié nos attentes en matière de célébrité et imposé un nouvel impératif : il ne suffit plus à un acteur de briller sur scène ou à l’écran ni à un musicien de tutoyer les étoiles en studio ou en salle ; il leur faut maintenant maîtriser à la perfection la technique des défilés de mode – élégants, calés sur les dernières tendances, dûment accessoiri­sés, majestueus­ement crêpés, manucurés, pédicurés, fumés au bois vert, posés, bons camarades, mâchant discrèteme­nt leur Nicorette sans ruminer comme des chameaux. Tout le monde ne joue pas le jeu. À la première berlinoise du film de Lars Von Trier Nymphomani­ac, volume I, Shia LaBeouf s’est lancé dans une performanc­e Dada, la tête dans un sac en papier sur lequel était écrit : « I am not famous anymore. » Mais il s’agissait davantage d’un cri de détresse que du geste rageur d’un Spartacus des tapis rouges.

Même Anna Wintour, célèbre rédactrice en chef de l’édition américaine de Vogue dont le regard a enregistré la grandeur et la décadence de tant d’empires de la mode, pense que le principe du tapis rouge est un serpent qui se mord la queue. À Londres, devant un parterre d’étudiants en mode de la Centrals Saint Martins, en

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sur l’échelle de l’élégance
de Lupita Nyong’o lors
de la cérémonie des Oscars,
le 2 mars à Hollywood.
L’irrésistib­le ascension sur l’échelle de l’élégance de Lupita Nyong’o lors de la cérémonie des Oscars, le 2 mars à Hollywood.

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