Vanity Fair (France)

Elle n’a fait que se bonifier. »

-

la mort de George, Sylvia et David ont trouvé, parmi un tas de papiers recouverts de moisi posé sur la chaudière de la salle de bain de George, un manuscrit inédit de poèmes et de dessins de Corso.

Ethan Hawke (acteur, réalisteur, scénariste et un peu écrivain)

Comme l’avait découvert Robert Stone, la générosité de George pouvait être à double tranchant – l’hospitalit­é envisagée comme une sorte de test. À une époque, il a l’habitude d’accueillir ses invités en leur offrant du vin versé dans de vieilles boîtes de thon. Anaïs Nin décline la propositio­n. Maria Callas aussi, trop outrée par la manière dont George la snobe au prétexte de ses allures de bourgeoise indécrotta­ble. Des années plus tard, il vire Johnny Depp de la salle du haut à la suite du refus poli de l’acteur lorsqu’il lui offre l’hospitalit­é pour la nuit. (Cet épisode doit être replacé dans son contexte : George, indifféren­t à la culture populaire, ne savait probableme­nt pas qui était Johnny Depp). Une autre fois, un mannequin a une très mauvaise surprise lorsque George, comme souvent, ouvre la conduite de gaz qui passe par le puits à souhaits et y jette une allumette sans prévenir personne – dans une librairie ! et dans un immeuble du XVIIe siècle ! –, juste pour obtenir une réaction. « J’ai rencontré cette femme des années plus tard à New York, m’a confié Sylvia. Elle m’a dit, sur un ton des plus coupants : “Oh. Votre père m’a brûlé tous les cheveux.” » Il se trouve que la femme en question était alors mannequin pour cheveux.

Les parents de Sylvia se rencontren­t à la boutique vers la fin des années 1970. Sa mère est une peintre anglaise. Le couple se marie – la seule et unique concession de George aux institutio­ns. À la naissance de Sylvia, en 1981, il a 67 ans. Grandir à la Shakespear­e and Company est une expérience magique. Dans une brève histoire de la boutique qu’elle a rédigée il y a plusieurs années, Sylvia se souvient qu’elle suivait George dans ses tournées du petit matin : « Il faisait s’entrechoqu­er son énorme trousseau de clés à la Quasimodo et réveillait les tumbleweed­s en chantant “Rise and shine, the bells are ringing...” On se frayait un chemin à travers tous les corps endormis qui jonchaient le sol, et parfois, il criait à l’un d’entre eux : “T’es cinglé ou quoi ?” avant de se retourner vers moi en me faisant un clin d’oeil. »

L’éducation des enfants selon George, comme sa manière de tenir la caisse, pourrait se résumer par un euphémique « laisser- faire ». Sylvia m’a raconté que des années plus tard, alors qu’elle avait déjà repris la boutique, « deux hommes sont entrés et m’ont demandé si Sylvia était toujours en vie. “Non, leur ai-je répondu, Sylvia Beach est morte en 1962.”Et ils m’ont dit : “Non, Sylvia, la fille de George.” Alors j’ai dit : “Oh, mais c’est moi !” Il s’est avéré qu’un jour, j’étais d’une humeur de chien, à brailler dans la boutique, et George n’en pouvait plus. Ces deux jeunes routards sont entrés et il m’a poussée vers eux en leur disant : “Tenez, prenez-la avec vous pendant une heure et je vous offre trois livres chacun.” Ils m’ont emmenée jouer au square, je crois, et j’imagine que depuis cet épisode, ils s’inquiétaie­nt de ce que j’avais pu devenir. » Le simple fait de vivre dans la boutique « était assez dingue », confie Sylvia, surtout, comme on l’imagine, pour un jeune couple avec un enfant en bas âge. « Les portes n’étaient jamais fermées. George partageait tout. Aucun moyen d’avoir la moindre intimité. » Certains matins, on trouvait le sol du salon de l’appartemen­t de l’étage « entièremen­t recouvert d’un tapis de hippies scandinave­s », pour reprendre les mots de Ferlinghet­ti. Celui- ci m’a raconté qu’un jour, il avait essayé de convaincre George d’acheter une vraie maison loin de Shakespear­e’s : « Il n’a rien voulu entendre. Il mettait tout ce qu’il gagnait de côté pour acheter une autre pièce ou un autre étage pour la boutique. C’est tout ce qui l’intéressai­t. »

« depuis que j’ai commencé à fréquenter cette librairie [en 1986],

un cadeau pour GeorGe SoroS

la fin des années 1980, lorsque Sylvia a 6 ou 7 ans, sa mère quitte Paris et l’emmène avec elle à Norfolk, en Angleterre. Elles traversent la Manche aux anniversai­res et au moment des vacances pour venir voir George, mais ces visites cessent brutalemen­t lorsque Sylvia part en pension en Écosse. Le père et la fille n’ont presque aucun contact pendant cinq ou six ans. « Ce n’est pas quelqu’un de moderne, a-telle confié lors d’un entretien il y a plusieurs années. Ce n’est pas son genre de prendre son téléphone. Je crois qu’il pensait à moi, et il m’envoyait des lettres de temps en temps (...). On a plus ou moins perdu contact pendant cette période. »

George a passé le cap des 80 ans et ses amis commencent à s’inquiéter pour lui et pour l’avenir de ses deux librairies jumelles. « Beaucoup de gens lui tournaient autour, des vieilles harpies par exemple, prêtes à

Grandeur et deScendanc­e

 ??  ?? George et Sylvia devant la librairie en 2009. Sylvia avec son compagnon, David, et leur fils, Gabriel, en 2014.
George et Sylvia devant la librairie en 2009. Sylvia avec son compagnon, David, et leur fils, Gabriel, en 2014.

Newspapers in French

Newspapers from France