Vanity Fair (France)

« MAIS GUILLAUME, C’EST DE LA MERDE ! »

C’est par ces mots que la danseuse Sylvie Guillem a convaincu GUILLAUME GALLIENNE d’assumer ses choix artistique­s.

- RECUEILLIS PAR ANNA TOPALOFF PROPOS

Quand j’ai rencontré Sylvie Guillem pour la première fois, j’avais 16 ans et elle incarnait Sissi impératric­e dans une chorégraph­ie de Maurice Béjart. À l’époque, Sissi, pour moi, c’était... tout. C’est dire si j’ai été ému ! Elle connaissai­t mes parents alors je l’ai croisée dans des dîners, mais j’étais bien trop intimidé pour lui parler. Quelques années plus tard, je l’ai revue à Londres : j’y suivais un stage de théâtre, elle dansait à Covent Garden et nous sommes devenus amis.

Je lui dois beaucoup car c’est elle qui, la première, m’a nommé “artiste”. Un jour qu’elle me demandait quels étaient mes projets, je lui ai parlé d’un Œlm que j’envisageai­s de tourner. Elle s’est mise en colère : “Mais Guillaume, c’est de la merde ! Il ne faut pas le faire ! On reconnaît un artiste à ses choix.” C’était une telle libération pour moi : d’un coup, j’ai compris que j’avais le droit – le devoir, même ! – de prendre mes propres décisions. Dans la seconde, j’ai appelé mon agent pour lui dire que je refusais. Et je me suis senti, pour la première fois de ma vie, un véritable artiste.

Plus généraleme­nt, Sylvie m’a enseigné beaucoup de choses sur le travail d’acteur. Rien qu’en la voyant sur scène, j’apprends. C’est une des artistes qui sait le mieux entrer en connexion avec le public – “abattre le quatrième mur”, comme on dit. Concrèteme­nt : on est là, simple spectateur jusqu’au moment où, au milieu d’un pas, elle plante son regard en nous. Et, c’est comme si une main nous prenait au collet pour nous avancer de trente centimètre­s sur notre fauteuil ! Tous les acteurs du monde aimeraient arriver à créer un effet pareil sur le public. En la regardant faire des arabesques ou monter sur pointes, j’ai réalisé que le théâtre, comme la danse, est avant tout une affaire de mouvement. Quand l’émotion est transmise par le corps, le spectateur la reçoit avec tellement plus d’intensité. C’est d’ailleurs valable pour le cinéma : en ce moment, je travaille un rôle de peintre pour un Œlm et là, clairement, la précision du geste est essentiell­e. Ça me Œche un peu la trouille alors, quand je panique, je pense à la tension que Sylvie met dans chacun de ses mouvements. Et cela m’inspire.

Il m’est arrivé de lui demander de me faire répéter. Quand je jouais Feste, le fou dans La Nuit des rois de Shakespear­e, j’avais une entrée compliquée que je voulais préciser. Eh bien, c’est peu dire qu’elle me l’a faite préciser ! Non seulement au niveau technique, mais également du point de vue de l’intention. Chez elle, la technique n’est jamais réduite à la performanc­e, elle est aussi au service de l’émotion. Sylvie dit que lorsque le danseur pense à chacun de ses gestes, le public le sent. Du coup, on a passé des heures sur un simple regard. Elle me disait : “J’ai vu que tu truquais. Ton regard est faux. Tu n’as pas regardé. Tu n’as pas vraiment regardé. Je le sais car je n’ai pas senti ce que le personnage regardait ni pourquoi. Reprends. Reprends encore. Reprends encore.”

Ce qui me sidère, chez elle, c’est sa capacité à se donner tout entière au chorégraph­e. Quand elle danse du Noureev, c’est absolument du Noureev. C’est quelque chose qu’elle m’a aussi appris : parfois, il faut juste faire conŒance au metteur en scène et la fermer. Malgré tout, si je trouve qu’on se plante, j’ai plus de mal qu’elle à ne pas le faire savoir. Grâce à Sylvie, j’essaie de le formuler gentiment.

J’adorerais travailler avec elle. J’en rêve depuis des années. Elle fera ses adieux à la danse en 2015. Peut- être que cela ouvrira des perspectiv­es. Je ne m’imagine pas sur scène avec elle : je ne suis pas encore assez dessiné, trop ¦ou, me semble- t-il, pour supporter la comparaiso­n. Et puis je me trouve trop ingrat physiqueme­nt. De quoi aurais-je l’air au côté de cette parfaite incarnatio­n de la grâce ? J’aimerais la diriger. Pas la danseuse, mais la comédienne. Sur scène, elle joue, elle incarne réellement un personnage. Et sa voix m’intéresse beaucoup : elle est beaucoup plus claire que ce que dégage son physique. C’est presque une voix d’adolescent­e. Bien sûr, il faudrait que ce soit un grand projet pour qu’elle dise “oui”. Peut- être que je pourrais. Il y a un projet que j’avais... Bref, il faut que je trouve le courage de lui en parler. Et je vous dirai ! » —

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Gallienne évoque
sa passion amicale
(et réciproque) pour
la danseuse française
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L’acteur Guillaume Gallienne évoque sa passion amicale (et réciproque) pour la danseuse française Sylvie Guillem.

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