SACHÉ EN SUSPENSION
Calder, le célèbre sculpteur américain, a vécu et travaillé dans un village de Touraine de 1963 à sa mort en 1976. Son atelier est aujourd’hui une résidence d’artistes.
Saché, petite commune d’Indreet-Loire, sa place Alexander-Calder et une sculpture, Totem, que les locaux appellent « la pompe à essence ». Après avoir parcouru le monde, l’inventeur des mobiles et du populaire « cirque de Calder » s’était établi dans cette campagne pour y construire l’atelier de ses rêves, en 1963. L’Américain avait découvert cette province grâce à son ami et futur gendre Jean Davidson, mais s’était d’abord installé avec sa femme Louisa en bas de la vallée, dans deux petites maisons (la maison François-Ier et la Gouacherie). Lorsqu’il se lance dans la construction de son atelier, sur ce site agricole de 11 hectares acquis auprès de 14 paysans diérents, l’artiste tient enn un lieu à l’échelle de ses projets grandioses.
Posée sur une colline, à l’orée d’un bois, l’imposante bâtisse en pierre domine la vallée de l’Indre. On reconnaît la signature de Calder aux volumes du bâtiment et à son immense verrière, côté sud. Huit portes ovales au rez- de- chaussée et un puits de lumière confèrent à l’ensemble un genre monastique. Un terre-plein, devant l’atelier, a des allures de piste d’atterrissage. C’est ici que Calder montera ses grands stabiles (sculptures ancrées dans le sol et dont certains éléments peuvent se mouvoir). À peine sortis de la chaudronnerie Biémont, près de Tours, plaques métalliques et modules peints sont soudés ou rivés entre eux sur cette esplanade appelée « le quai ». Ainsi posés, le nez au vent, les systèmes en mouvement s’apparentent à des constellations ou à des formes abstraites tirées de la mécanique de la nature. « Son processus créatif partait toujours d’une démarche organique », souligne Sandy Rower, le petit- ls du maître, président de la Calder Foundation à New York.
« Après le repas, mon grand-père se retirait dans son atelier. Il n’y avait jamais de musique, il y régnait un silence de moine », se souvient Sandy. Dans leur maison – construite en retrait de l’atelier, trois ans plus tard –, Louisa, sa femme, excelle au crochet et crée des tapis d’après les dessins de Calder. C’est surtout une militante très active, qui multiplie les actions en faveur du droit des femmes, contre la guerre du Vietnam et la prolifération nucléaire. Unis par cet idéalisme politique, les époux accueillent à Saché et aident nancièrement des déserteurs de cette guerre. Ils y reçoivent aussi des amis artistes, écrivains et architectes rencontrés lors de leurs années parisiennes (1926-1933) : Fernand Léger, Arthur Miller, Cartier-Bresson, Jean Prouvé, J.D.©Salinger... Ornée de tableaux de Miró et de Léger, la maison de Saché est remplie de meubles et d’objets conçus par son propriétaire : abat-jour, bijoux, piques à viande, jouets pour enfants... et même des porte-rouleaux de papier toilette.
À la mort de Calder, en 1976, il était impensable pour les héritiers de transformer cette maison animée en musée. En 1988, Dominique Bozo fonde l’Association pour l’animation de l’atelier Calder et la propriété devient une résidence d’artistes. « C’est un lieu de travail et de production qui n’est que très rarement ouvert au public », souligne Guillaume Blanc, responsable de la résidence. Tous les trois mois, des artistes de renommée mondiale posent leurs valises dans la maison et prennent possession des lieux. Certains s’y sont installés en famille, d’autres ont préféré s’isoler dans un esprit de retraite. Le dernier à avoir séjourné dans l’atelier est l’artiste conceptuel Darren Bader. Étrange d’imaginer dans ce paysage de Touraine cette nouvelle star du petit monde de l’art new-yorkais. Les plus chanceux ont pu découvrir son installation lors d’une soirée d’octobre, à Paris, dans le cadre de la FIAC. Pas d’exposition prolongée, aucun eet d’annonce. La famille Calder et l’association ont joué la rareté. Pour préserver la magie et l’aura d’une oeuvre, toujours vivante, en suspension entre Saché et le reste du monde. —