Vanity Fair (France)

Médecin et Gourou du TOUT-PARIS

L’étrange cas du docteur Saldmann

- Alber Elbaz (directeur artistique de Lanvin)

L’arrivée en Bentley rose avait fait sensation devant l’hôpital. Mais sur le divan d’examen, sans son perfecto et ses souliers vernis en croco, Jacques- Antoine Granjon, dit JAG, n’avait plus tout à fait la mine d’un cador. Le milliardai­re, patron du site Vente- privée.com, n’a pas oublié cette première consultati­on : « Pendant l’échographi­e, il m’a montré l’intérieur de mon ventre sur grand écran et m’a dit : “Vous avez le foie d’un gros canard.” » Le médecin, un petit homme svelte, attendait tout sourire l’effet produit. JAG est resté figé, ses longs cheveux en suspension, sa solide carcasse immobile, comme tétanisée. Nouveau zoom sur l’organe jaune et boursouflé : « Regardez tout ce gras, insistait le spécialist­e. Si vous continuez comme ça, vous allez crever. Maintenant, c’est à vous de voir... » Granjon l’assure, le « choc fut immédiat ». Aucun médecin n’avait jamais été aussi « cash ». Aucun ne l’avait abordé de cette manière en lui parlant de son poids, certes, de ses artères, de son coeur, mais aussi de la vie en général, du cap de la cinquantai­ne, de la sexualité, des folles cadences du monde moderne. Il a aimé ses théorèmes débités en rafale : 30 % de calories en plus, c’est 20 % de vie en moins ; trente minutes d’exercice par jour, c’est moins de 40 % de risques de maladies cardio-vasculaire­s, de cancer, d’Alzheimer ; il faut quarante- cinq minutes de jogging pour perdre un croissant. Son ordonnance était radicale mais simple, des repas légers (idéalement sans pain, sans sel, sans viande rouge, sans dessert) et du sport, au moins une demi- heure par jour. « Je n’aurai jamais le temps », a tenté Granjon, avant de s’entendre rétorquer : « Réfléchiss­ez, qu’y a- t- il de vraiment plus important dans votre existence ? » C’était il y a deux ans. Depuis, Granjon a perdu 18 kilos et il conseille à tous ceux qu’il croise d’aller voir Frédéric Saldmann.

Le docteur Saldmann reçoit sur rendez-vous, deux ou trois matinées par semaine, à l’hôpital européen Georges Pompidou, joyau de la médecine publique. Deuxième étage, service des « exploratio­ns fonctionne­lles ». Il n’est pas souvent là mais il est réputé pour son goût des lumières (des caméras de télé le filment souvent, aux yeux de tous, sur la passerelle du grand hall) et pour la renommée de sa patientèle. Dans le couloir, on peut croiser Alain Delon, Isabelle Adjani, Sophie Marceau, Bernard Tapie, Jack Lang, Claude Lelouch ou Charlotte Rampling. On peut aussi apercevoir, sagement assis sur les sièges disposés devant sa porte, l’écrivain Alexandre Jardin, le député Olivier Dassault (fils de l’avionneur), le cinéaste Roman Polanski, l’humoriste Stéphane De Groodt. Quelques célébrités demandent à le voir en dehors de l’hôpital, comme François Hollande, qui a droit à des consultati­ons à l’Élysée. Le médecin favori des VIP aurait- il récemment prescrit un changement de régime au Président ? « N’allez pas sur ce terrain-là, je ne vous dirai rien, prévient Saldmann. Les politiques détestent qu’on parle de leur santé. Et le secret médical est inscrit dans le serment d’Hippocrate. Je suis une tombe. »

Les patients, eux, sont souvent ravis de parler de lui. Certains l’appellent par son prénom. « Frédéric est tellement unique ! » s’enflamme le couturier israélo- américain Alber Elbaz, directeur artistique de Lanvin. Pourtant il en bave, depuis que sa balance est connectée au téléphone portable de Saldmann. « J’ai peur, confie- t- il un soir d’hiver dans un savoureux numéro à la Woody Allen. Je suis superstiti­eux, je suis en plein process, ce n’est pas encore gagné. Mais Frédéric is great, c’est un ange tombé du ciel. » Le médecin l’a d’abord reçu en avril 2014, à la veille d’un défilé, à l’hôpital Pompidou, puis à son domicile, un duplex avec vue plongeante sur la tour Eiffel. Alber Elbaz a « adoré l’endroit somptueux, la déco so chic, tout en noir et blanc », ainsi que ce médecin « qui ne se prend pas au sérieux et vous comprend si bien ». Là, entre deux gorgées de citron pressé, Frédéric Saldmann a sorti son arme fatale : une photo de lui prise vingt ans plus tôt... avec 20 kilos de plus. « Eh oui, a- t- il confessé, je suis un ancien gros ! »

tarif sécu

Cardiologu­e, nutritionn­iste, expert autoprocla­mé en médecine prédictive (une discipline non r econnue p ar la f aculté de m édecine), fondu de médecine chinoise et de méditation, Saldmann est le nouvel oracle du bien- être et de l’éternelle jeunesse. Cet homme- là prétend que tout est affaire de volonté et d’attention à son corps. Que la retraite est la pire des défaites. Que l’on peut à tout âge faire l’amour et gravir des montagnes. Vivre cent cinquante ans et bientôt peut- être plus encore. Les baby- boomers adorent, a fortiori quand ils sont célèbres, fortunés, puissants mais tellement

démunis pour affronter les affres du temps. Saldmann est leur Dieu, non pas parce qu’il consulte au tarif sécu (la plupart de ses patients n’ont pas de problèmes de fins de mois), mais parce qu’il leur offre, sous le label de l’assistance publique, une médecine haute couture, un service personnali­sé, rapide et efficace. Un patient recommandé peut être reçu dans les quarante- huit heures. Pour le quidam, c’est évidemment beaucoup plus long. « J’ai un rendez-vous le 15 novembre à 14 heures », m’a proposé sa secrétaire d’une voix désabusée. Nous étions en décembre, s’agissait- il d’une erreur ? « Non, c’est bien cela, comptez un peu moins d’un an. Le planning est plein. »

La place se libère pour une interview. Ce lundi matin, dans sa blouse blanche, Frédéric Saldmann ressemble à un lutin joyeux. Mèche sage, regard bleu malicieux, il salue à l’américaine, d’un hug chaleureux, parce que « rien de tel pour attraper des microbes que de serrer des pinces ». Il a les dents du bonheur, l’énergie du sexagénair­e dopé dès l’aube au jus de grenade. Son bureau à l’hôpital Pompidou est minimalist­e, une grande table, un tableau gribouillé de schémas incompréhe­nsibles et, aux murs, un dragon chinois, des affiches de Staël et de Picasso. Du maestro catalan, il garde cette phrase culte : « On met longtemps à devenir jeune », une pirouette comme il les aime, une manière de dire qu’il l’est encore, lui, à 61ans, et que l’âge permet toutes les libertés. « J’aime la vie et tout m’amuse », lance- t- il. Une étude dénichée le matin même sur Internet, tandis qu’il transpirai­t sur son vélo d’appartemen­t, l’a mis en joie. « Des Chinois ont fabriqué des neurones à partir de cellules souches prélevées dans du pipi. Formidable ! » Depuis trente ans, Saldmann compile des données venues du monde entier, sur toutes les spécialité­s. Pour améliorer ses connaissan­ces, il lui arrive souvent de consulter les meilleurs de ses confrères. C’est ainsi qu’en 2008, il a téléphoné au professeur Gérard Friedlande­r, chef de service à l’hôpital Pompidou, (et aujourd’hui doyen de la faculté de médecine Paris- Descartes) pour avoir « des infos sur la physiologi­e des reins ». Les deux hommes ont sympathisé, au point de monter ensemble, quelques mois plus tard, une consultati­on spécialisé­e dans les check- up, l’équivalent médical d’une complète révision automobile. Avec ces bilans, jusqu’alors inédits à l’Assistance publique, le tandem concurrenc­e les fameux check- up de l’Hôpital américain, qui drainaient naguère la plupart des beautiful people. « Je suis en quelque sorte le médecin des pauvres pour les riches », plaisante Saldmann, en précisant tout de même que ses cinq cents patients annuels ne sont pas seulement des « gens de paillettes ». Il est le même pour tous, insiste- t- il, et son examen commence toujours de la même façon : « Je regarde attentivem­ent les visages, c’est inimaginab­le ce que l’on peut déceler sur une peau, un regard. Puis je pars explorer l’intérieur des corps. »

tournée en corée

Saldmann a toujours eu le don de raconter les histoires, à commencer par la sienne. Celle d’un enfant, petits- fils de fripiers polonais qui, dans la boutique de textile de ses parents, au Havre, écoulait gaiement les invendus. Il rit encore de son slogan fétiche : « Mesdames, allez-y, fouillez dans mes culottes. » L’école le barbait. « En 4e, on m’a considéré inadapté, mental et physique, parce que le sport m’emmerdait », un comble pour un homme qui s’astreint aujourd’hui à une heure minimum de sport par jour. Il peignait alors des femmes nues, énormes, qui auraient plu à Botero. Il décrocha son bac en candidat libre et s’inscrivit en médecine à Paris, en 1973, puis en cardiologi­e pour faire plaisir à sa mère qui aimait les histoires de coeur. Lui les trouva bien tristes. Un soir, devant une jeune veuve en larmes qui venait de perdre son mari d’un arrêt cardiaque, il se dit : « Si seulement j’avais rencontré cet homme vingt ans plus tôt, je lui aurais sans doute sauvé la vie. Alors, raconte- t- il, j’en ai eu marre d’être pompier, je voulais exercer ce métier autrement. »

La médecine prédictive, voilà l’avenir. Saldmann se met au service des bien- portants, en libéral d’abord, dans un cabinet situé sur l’élégante place des Vosges, puis à l’hôpital Necker. Il s’intéresse aux mécanismes du vieillisse­ment,

fonde, en 1988, Dietetica, le premier congrès de diététique, sans faire pour sa part trop attention à sa ligne. À 40 ans, il pèse 85 kilos. Il va fondre – dans tous les sens du terme – « en un regard », à la vue d’une visiteuse médicale aux faux airs de Jessica Lange qui deviendra sa troisième épouse. La rencontre, à l’entendre, est digne d’une scène de film : « Je l’ai vue dans un congrès, je lui ai dit : “Je suis gros, fauché, je vis à l’hôtel, je suis divorcé avec quatre enfants, mais j’ai une carte de 40 % de réduction à la SNCF.” Visiblemen­t, ça lui a plu ! »

Saldmann aurait pu être acteur. Il s’y est essayé, une fois, dans le rôle d’un médecin légiste pour le film d’Alexandre Arcady, 24 jours, qui retrace le meurtre d’Ilan Halimi. « Frédéric m’a fait cet honneur », confie le cinéaste qui l’avait rencontré en 2012 lors d’un dîner chez l’homme d’affaires sénégalais Pape N’Diaye. Le jour du tournage, Manuel Valls assistait aux prises de vues et le cardiologu­e prenait son rôle très à coeur. Claude Lelouch, lui, n’a pas fait jouer son toubib favori, mais il lui a donné une place de choix dans son dernier long- métrage Salaud, on t’aime. Eddy Mitchell y interprète un certain Frédéric Saldmann, venu rendre visite à son complice de toujours (incarné par Johnny Halliday) à qui il recommande un « nouveau procédé pour arrêter de cloper... » Au début du film, les deux hommes se charrient. « Si tu continues comme ça, dit le médecin, un jour ou l’autre le Bon Dieu va se fâcher. » Le fumeur demande : « Depuis quand crois- tu au Bon Dieu ? » Et Frédéric sourit : « Depuis que j’ai vendu 500 000 exemplaire­s avec mon nouveau bouquin ! »

Avec ce titre génial, Le meilleur médicament, c’est vous, Saldmann a enfin réalisé son rêve. « Un jour, j’écrirai un best- seller », disait- il depuis vingt ans. Ses amis n’y croyaient plus, à force de le voir enchaîner les ouvrages, onze en tout, ( le premier en 1995, sur les oméga-3, puis sur les régimes, la nouvelle cuisine, les vitamines, les risques alimentair­es, l’hygiène, la longévité...). Premier succès en 2007 avec une ode à la propreté, On s’en lave les mains – plus de 70 000 lecteurs – et le triomphe, enfin, en 2013 avec ce manuscrit qui ne paraissait pas si différent des autres. 550 000 exemplaire­s vendus, des traduction­s dans 22 pays. « C’était inespéré, jubile Lise Boell, son éditrice chez Albin Michel, qui lui a aussitôt commandé la suite. Cette fois, Saldmann propose cinq clés capitales qui vont changer notre conception de la santé. Ça va faire du bruit. » La sortie est prévue pour le mois d’avril. D’ici là, la nouvelle star d’Albin Michel aura assuré la promotion du premier tome en Corée du Sud, à Hong Kong et aux ÉtatsUnis. « Je suis dans l’air du temps, analyse Saldmann. Les gens sont angoissés, ils se méfient des labos, ils pensent qu’ils n’auront peut- être pas de retraite, pas les moyens de se soigner. Moi je leur dis : “Devenez votre propre entreprene­ur de santé.” C’est une approche très individual­iste qui n’aurait pas marché il y a encore cinq ans. Mais la société change, le succès de mon livre le prouve. »

L’ouvrage est à son image, un curieux mélange de pragmatism­e et d’érudition, d’argumentat­ions solides et de fantaisies. On y trouve des c itations d e Montaigne, Woody A llen, Pierre Dac (« L’éternuemen­t est l’orgasme du pauvre »), des leçons de choses, d’hygiène, des recettes de grands- mères, quelques envolées futuristes, de la psychologi­e positive et beaucoup de bonnes nouvelles. La génétique ne pèse que 15 %, la libido masculine s’entretient ad vitam æternam et la ménopause, avec une bonne hygiène de vie, peut reculer de sept ans ! Il est question de sexe, de stress, d’épices, de méditation et même de constipati­on. « Avec un petit tabouret devant soi sur le trône, jambes allongées, l’angle ano- rectal est moins fermé, le transit facilité. On gagne une heure par semaine et un ventre plat ! » Rien de tel aussi qu’une douche froide – 200 calories en moins –, du chocolat noir à 100 % en cas de fringale, un petit jeûne hebdomadai­re pour « renforcer l’ADN. Chez les souris, vingt- quatre heures sans manger entraînent une baisse de 20 % des cancers ». Il en jette toujours, Saldmann, avec ses études parfois recyclées d’un livre à l’autre. Certaines, un peu loufoques, portent sur le temps de coït idéal (« sept à treize minutes, au- delà tout le monde s’ennuie »), les vertus des épouses jeunes (qui maintiendr­aient les maris en vie plus longtemps, selon une publicatio­n baroque sur les pierres tombales), les bienfaits du jus de cerise sur l’endormisse­ment et des pistaches sur les troubles de l’érection (selon un questionna­ire réalisé sur dix- sept Turcs !). Frédéric Saldmann s’est d’ailleursvu décerner « la salade d’or » du site LaNutritio­n.fr, pour sa tirade sur les bénéfices d’un sommeil à gauche du lit conjugal. Il s’appuyait sur un éminent sondage réalisé par un hôtelier britanniqu­e, Premier Inn, dans lequel 25 % des dormeurs de gauche déclaraien­t avoir un réveil positif, contre 18 % chez leur partenaire.

Les critiques, Saldmann s’en moque : « Il faut aussi du léger dans un ouvrage. » Et puis le c ardiologue s ait aussi être sérieux, notamment quand il parle des télomères, « ces petits manchons qui sont au bout des chromosome­s, comme les petits bouts en plastique à l’extrémité des lacets ». Longs, ils sont signe de bonne santé. Courts, rongés par le stress

« je suis en quelque sorte le médecin des pauvres

pour les riches. » best seller mondial Avec ce livre de conseils, traduit en 22 langues, le docteur Saldmann est l’un des auteurs français les plus lus de la planète.

Il peut causer de tout, des bIenfaIts de

l’écharpe, de la carotte, du poIvre, de l’éjaculatio­n

précoce.

et les soucis, ils annoncent une espérance de vie plus faible. « Mais la bonne nouvelle, c’est qu’on peut les rallonger avec une bonne hygiène de vie », claironne- t- il. Il y a environ un an, alors qu’il cherchait un laboratoir­e susceptibl­e de mesurer les télomères de ses patients, il a contacté Marie- Pierre Moisan, chercheuse à l’Inra, spécialist­e reconnue en la matière. La jeune femme sourit toujours quand elle entend les prophéties du docteur Saldmann : « Il est caricatura­l, quand il dit, par exemple, qu’avec une demi- heure de sport par jour, les télomères repoussent. Ce n’est pas aussi simple et pour l’instant il n’est pas établi qu’une bonne hygiène de vie les rallonge. Mais son discours est utile et pas foncièreme­nt faux. »

La communauté scientifiq­ue n e fait p as toujours preuve de tant d’indulgence. Dans PubMed, la bible des chercheurs qui recense toutes les publicatio­ns scientifiq­ues, Saldmann n’a laissé aucune trace, hormis un petit article de 1991 sur des patients atteints de démence sénile. Mais dans les médias, il est partout. Dans Le Point, L’Obs, Top Santé, Psychologi­es Magazine, au Grand Journal de Canal +, à Télématin, sur RMC où il tient souvent le micro dans l’émission sur la sexualité de Brigitte Lahaie, tout comme dans celle, sur France 5, de son ami Yves Calvi. « J’ai connu Frédéric il y a vingt ans, se souvient le journalist­e de C dans l’air. Je me suis d’abord dit : “Qu’est- ce que c’est que ce zozo ?” avant de réaliser qu’il a du fond. Il avait fait un sacré tapage avec une étude anglaise sur les traces d’urine retrouvées dans les bols de cacahuètes des pubs anglais. Il a été l’un des premiers à écrire des livres de vulgarisat­ion intelligen­te sur la bonne santé. Depuis, je l’invite régulièrem­ent dans mes émissions et je ne suis jamais déçu. » Saldmann, qui fit ses premières chroniques sur la Cinq de Berlusconi, a bien progressé grâce aux conseils de Calvi. Pédagogue, toujours disponible, i l est devenu ce qu’on appelle un « bon client ». Il peut causer de tout, des bienfaits de l’écharpe, de la carotte et du poivre, des allergies, de l’éjaculatio­n précoce, de la chirurgie esthétique et du réchauffem­ent climatique. Et pendant ce temps, loin des projecteur­s, le cardiologu­e mène tranquille­ment son autre vie, de businessma­n.

conseils pour danone et coca

L’autre Saldmann officie non loin du Trocadéro, square Pétrarque, dans un discret hôtel particulie­r, siège de sa société Sprim – 350 collaborat­eurs et consultant­s selon son site, une quinzaine de salariés, chiffre d’affaires non publié. L’entreprise propose des conseils en tous genres, conception de produits pour l’industrie agro- alimentair­e, prévention des crises et des risques sanitaires, campagnes de communicat­ion, création d’études, de congrès, de labels... « La mécanique est formidable­ment huilée, dit François Bricaire, chef du service des maladies infectieus­es de la Pitié- Salpêtrièr­e, et auteur avec Saldmann de l’essai Les nouvelles épidémies, comment s’en protéger ? (Flammarion, 2009). Frédéric a un large réseau d’universita­ires qu’il sollicite pour ses ouvrages ou ses affaires. Ainsi, il m’a appelé un jour pour que je conseille Coca- Cola sur le bioterrori­sme alimentair­e et aussi certains laboratoir­es pour des projets de vaccin. Le type est vif, malin, sa petite entreprise tourne bien. » Les géants comme Danone, Nestlé, Herta et Blédina ont régulièrem­ent recours aux services de Sprim, tout comme les producteur­s de céréales, de volailles, ou le Comité interprofe­ssionnel du Canard à Rôtir. Pour les éleveurs de poules, la société du docteur Saldmann a conçu ce slogan : « Un oeuf par jour, en forme toujours » ( lui a personnell­ement une préférence pour les omelettes blanches, sans gras). Sprim assiste les industriel­s désireux de créer des départemen­ts « light » ou « no gluten » et leur porte secours, si un de leur produit se vend moins bien ou s’il est attaqué dans les médias. Son spectre est large, la société crée aussi des call- centers (à la demande des pouvoirs publics) pour rassurer les usagers en cas d’infection dans une cantine ou un hôpital. À l’évocation de toutes ces activités, le docteur Saldmann est soudain moins prolixe : « J’ai pris un peu le large avec tout ça », élude- t- il. Mais il ne renie rien : « Ce business m’a permis de faire la médecine que j’aime, à mon rythme, en consacrant du temps à mes patients sans prendre de dépassemen­ts ni me préoccuper des questions d’argent. » Son poste d’attaché à l’hôpital Pompidou lui rapporte moins de 2 500 euros par mois, à peine de quoi inviter sa femme dans ses restaurant­s étoilés préférés.

quatre mariages et aucun dieu

MSaldmann aussi boit du jus de citron parfumé au gingembre. C’est elle qui, depuis l’été dernier, préside officielle­ment Sprim : « Frédéric donne les idées et moi, j’exécute », souffle- t- elle en sirotant son breuvage dans un salon de thé désuet du VIIe arrondisse­ment de Paris. Elle non plus ne veut guère donner trop de détails sur l’entreprise conjugale : « Nous sommes un pont entre l’industrie et le monde médical. On intervient aussi en amont en cas de crise et si vous n’en entendez pas parler, c’est qu’on fait bien notre boulot. » Silhouette fine, teint de rose, elle est la plus belle des publicités pour le régime de son mari. Sur Instagram, pour ses 135 000 followers, la blonde quadragéna­ire poste régulièrem­ent des photos de ses séances de gym, ses escapades à Ibiza ou à Capri, ses dernières Louboutin, son nouveau sac Chanel, ses souvenirs d’un défilé aux

côtés d’Alaïa ou de Kim Kardashian. « Feel like a barbie girl » , écrit- elle lors d’un cocktail monégasque. « La mode est ma passion », confesse- t- elle. Alors, quand Alber Elbaz a débarqué chez elle avec ses angoisses pondérales, elle a cru rêver. « Ne me payez pas, a insisté Saldmann, mais invitez- nous, ma femme et moi, à vos défilés. »

Quand s’ouvre chez les Saldmann la saison des dîners – « de novembre à avril », précisent- ils –, Madame compose le menu et Monsieur lance les invitation­s. Dans la vie aussi, il aime le mélange des genres. Proust se serait délecté dans ces assemblées très parisienne­s où voisinent les Tapie, les Granjon, les Mulliez ( propriétai­re du groupe Auchan), les Courtin ( héritiers de Clarins), l’homme d’affaires JeanClaude Darmon, Michel Leeb, Isabelle Adjani, Christophe Lambert, l’abbé de la Morandais, Orlando (le frère de Dalida), Didier Barbelivie­n... « Les plus belles tables de Paris », estime Alain Weill, le président du groupe NextRadioT­V (BFM et RMC). La plupart des convives sont aussi des patients, ou ils le deviendron­t bientôt. Docteur Saldmann, d’un trait d’humour, présente chacun de ses hôtes, le menu est évidemment light, légumes sous toutes les formes, poisson grillé, sorbets. « Il nous laisse quand même boire du vin », plaisante Charlotte Rampling, de son joli sourire tendre et ironique. Là, sous les lumières de la tour Eiffel, on rit, on papote, on réseaute. On imagine la prochaine noce des Saldmann, déjà mariés à l’abbaye de Villeneuve il y a vingt ans, au Rajasthan dans un temple hindouiste (il montre fièrement la photo), à Phuket avec un moine bouddhiste, puis à Las Vegas avec leurs six enfants. Lui rêve désormais d’une cérémonie orthodoxe à Saint- Pétersbour­g, elle d’une grande fête juive à Brooklyn. À moins qu’ils n’investisse­nt leur modeste monastère, situé à Availles-sur- Chizé, dans les Deux- Sèvres. « On passera dans toutes les religions, s’amuse le mari, qui pourtant ne croit en rien. Comme je ne sais pas trop quel est le plan là- haut, au ciel, je veux avoir toutes les cartes, ne décevoir aucun Dieu ! »

Diablement prévoyant, le docteur Saldmann a aussi congelé son sang et ses cellules dans des banques privées aux Pays- Bas, au cas où la science, un jour, permettrai­t d’échapper à la fatalité. Certains de ses convives pensent en faire autant. « Frédéric m’a presque convaincu de congeler mon sang, admet Christian Courtin. Cela peut être utile pour se régénérer en cas de maladie ou d’une opération grave. » Chez les Saldmann, rien n’est tabou, on parle du temps qui passe, des enfants qui foutent le camp, des télomères qui raccourcis­sent. « Alors Messieurs, avezvous bien eu vos douze rapports ce mois- ci ? » taquine le docteur (selon lui, un tel score fait gagner huit ans d’espérance de vie). En aparté, il peut éventuelle­ment conseiller quelques implants capillaire­s, une petite liposuccio­n, des pilules miracles. Quand ces dames toussotent, il adore en rajouter : « Avec les techniques d’aujourd’hui, on peut assurer à 90 ans, comme un acteur de film porno. » Les invités repartent toujours heureux d’une soirée chez le lutin joyeux.

petite cryogénisa­tion entre amis

Face aux jardins de l’Élysée, rue du Cirque, dans son duplex princier, BHL regorge de mots tendres pour l’ami Frédéric. C’est un banc de méduses qui l’a mis sur sa route. Il y a quinze ans, à l’hôtel du Cap d’Antibes, son épouse Arielle, piquée à la poitrine, sortait de l’eau en hurlant. « Permettez-vous que je soigne cette vilaine blessure », s’approcha Saldmann avant d’aller chercher une seringue de corticoïde­s. Depuis, ce médecin a toujours été d’un grand secours pour les petits et les grands bobos de la vie. Peu de gens savent que l’intellectu­el médiatique a un frère cadet handicapé depuis l’âge de 16 ans, en raison d’un terrible accident de la route. Lorsque celui- ci a tenté de mettre fin à ces jours en 2012, c’est Frédéric Saldmann qui s’est rendu à son chevet. Lui aussi qui a trouvé les meilleurs spécialist­es pour son fils Antonin, récemment victime d’un accident de scooter. « Frédéric a le plus sûr diagnostic que je connaisse », réalise BHL. « Il sent les choses et les gens, il a les pieds dans la terre et la tête dans les étoiles. C’est rare. » Le philosophe ne s’est pas encore mis à la méditation ni au jus de grenade. Mais il se plie désormais à une séance de gymnastiqu­e quotidienn­e. Il a congelé ses cellules et, pour 1 000 euros, fait mesurer ses télomères aux Pays-Bas. Arielle n’a pas voulu tenter l’examen : « Moi, je ne suis nullement angoissée par l’idée du temps et de la mort, murmure l’élégante, en picorant de ses doigts fins trois noisettes. Frédéric, c’est un personnage de science- fiction, c’est Philip K. Dick. Et Bernard-Henri, lui, est un conquérant, un gladiateur qui défie tout. Même les étoiles. » Un matin, Saldmann a frappé rue du Cirque : « Félicitati­ons Bernard ! J’ai tes résultats, tu as le corps d’un homme de 45 ans. » Le philosophe se redresse, gonfle le torse, confesse : « Je l’ai fait surtout pour faire plaisir à Frédéric... » I l ne manque jamais d ’égards envers c et ami qu’il r ecommande à ses camarades de combats, Turcs et Lybiens, comme à son cercle parisien. Ainsi Jacques Weber a- t- il été prié d’aller consulter Saldmann avant de jouer sa pièce Hôtel Europe : « Je pesais 130 kilos, rappelle l’acteur. Il m’a dit qu’il fallait maigrir d’urgence ou bien je risquais ma vie.

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mes patients, mes amis (1) Le directeur artistique de Lanvin, Alber Elbaz, (2) l’acteur Christophe Lambert, (3) l’actrice Charlotte Rampling comptent parmi les fidèles du docteur Saldmann.
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noces multiples Souvenirs de deux des quatre mariages des Saldmann, à Las Vegas (ci- contre) et au Rajasthan.

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