Un Acte Politique
Comment l’épilation intégrale est devenue
Dans un atelier du New York des années 1920, les artistes Man Ray et son ami Marcel Duchamp s’adonnent à une drôle d’activité. Face à l’objectif indiscret de la caméra tenue par Duchamp, Man Ray, déguisé en barbier, rase le pubis d’une femme nue. Loin d’être vulnérable ainsi dépossédée de sa toison pubienne, l’excentrique modèle a le sentiment de transformer son entrejambe en manifeste. Son sexe imberbe devient un symbole, celui d’un mouvement artistique nouveau qui a décidé de rompre avec les conventions. En dépoilant cette femme, Man Ray compte bien choquer les moeurs. Il veut montrer ce que l’histoire cache depuis toujours. À Paris, il rencontre Kiki, une autre modèle qui n’a pas froid aux yeux. Il veut la photographier dans son plus intime appareil. Mais voilà, Kiki craint que les clichés ne révèlent sa « tare physique », une infirmité des plus dramatiques... l’absence de poils pubiens. Elle a pourtant tout essayé pour les faire pousser, les onguents et les massages, mais rien n’y fait. Pragmatique, le photographe voit son intérêt dans cette particularité : tant mieux, elle passera la censure. Bientôt les poils épars de Kiki entrent dans l’histoire. Elle affiche sa toison comme une rébellion, comme la réalité d’un corps de femme, avec son animalité, ses imperfections.
Duchamp a q uant à lui une dent contre les « abominables fourrures abdominales » qu’arborent les femmes entre l eurs j ambes e t qui fait ressembler leur sexe à un chou- fleur. Ne rasant pas que les modèles, il invite sa jeune épouse, Lydie Sarazin-Levassor, à procéder à une épilation totale. « Ce fut une séance mémorable, dit- elle, car le produit employé, très efficace, à base de soufre, dégageait une odeur caractéristique qui me poursuivit au moins quarante- huit heures ! J’avais beau me baigner, m’inonder de parfum, on aurait pu me suivre à la trace. Lucifer arrivant tout droit des Enfers n’aurait pas été plus décelable que moi ! » L’expérience dépilatoire de Mme Duchamp n’est pas isolée. Le poil féminin est le vestige d’une animalité qu’il excite en se montrant, le signe d’une maturité sexuelle à laquelle les hommes ne comprennent pas tout, et qui leur fait peur parfois. Et un animal à poil ras semble toujours plus docile.
L’AUDACe De GOYA
Signe d’esclavage dans l’antiquité égyptienne, l’épilation intime est à la Renaissance un signe d’émancipation féminine qui préoccupe sacrément les hommes. Certaines femmes se plaisent ainsi à porter leur entrejambe « ras comme la barbe d’un prêtre » nous disent les plus renseignés sur la chose. Et l’entretien de cette barbe devient une préoccupation majeure des courtisanes comme des femmes de bien. Les recettes d’épilation à la chaux et à la cire venues d’Italie font fureur. Une demi- écuelle de chaux vive bien sèche est nécessaire, tenue propre et tamisée dans une étoffe. On y verse de l’eau bouillante, prenant soin de mélanger la préparation harmonieusement. Pour savoir si cette dernière est prête à l’emploi, on y trempe une aile d’oiseau, et si les plumes tombent de l’aile, la cuisson est optimale. L’onguent est ensuite étendu de la main sur les poils intimes, puis essuyé. Pour les plus radicales, une crème composée d’un demi- litre d’arsenic est proposée. Du côté de Milan, on propose une recette miracle pour faire la chasse aux poils indésirables à base de graisse de porc, de moutarde et de genévrier. Portée à ébullition, la potion promet déjà ce que les femmes cherchent encore de nos jours : « Faire tomber les poils qui plus jamais ne repousseront. » Mais qu’on ne s’y fie pas, ce soudain engouement pour le déboisement
À la Renaissance, l’engouement pour le déboisement n’a rien de superficiel. Il est le symbole d’une appropriation par les femmes d’un organe qui n’appartient plus intégralement aux hommes.