Vanity Fair (France)

TALK-SHOWS : LA GUERRE EST DÉCLARÉE

À six mois de la rentrée, les chaînes préparent leurs grilles de programmes. Et sur le créneau stratégiqu­e du talk-show, les producteur­s d’émissions manoeuvren­t déjà dans l’ombre.

- JEAN- BAPTISTE ROQUES

La formule est simple et efficace : quelques caméras, une dizaine de chaises, autant de verres d’eau, une pincée d’humour et des invités « en exclu ». Excepté TF1, tous les groupes audiovisue­ls proposent au moins une de ces « émissions d’accueil ». On y convie les auteurs du moment, les politiques qui comptent et les artistes en « promo ». Les hôtes américains sont souvent étonnés par ces grandes tablées typiquemen­t françaises. Aux États-Unis, les talk-shows ressemblen­t plutôt à des interviews en tête-à- tête. Alors qu’en France, l’ambiance confine au rassemblem­ent mondain. On va « chez » Ardisson, Drucker ou Anne-Sophie Lapix comme on était reçu sous la IIIe République au salon d’Anna de Noailles ou de Juliette Adam. Mais le talk- show est à la télévision ce que la comédie est au cinéma : un exercice de précision. À la tête des navires amiraux du genre, les producteur­s veillent, montent, visionnent, gardent l’oeil sur l’horloge. En régie, à travers l’oreillette, ils intiment leurs ordres aux animateurs, aux réalisateu­rs, jusqu’au public dont il faut maîtriser ou provoquer les applaudiss­ements. Glissent des questions, distribuen­t (ou plus souvent coupent) la parole. Et quand la mécanique se grippe, il n’y a souvent qu’à attendre stoïquemen­t le crash et la saison suivante tant ces monstres sont lourds à manoeuvrer.

Au moins sept sociétés de production se disputent le marché de la culture et des débats à heure de grande écoute. À six mois de la rentrée, les patrons de chaînes ont entamé les négociatio­ns avec ces incontourn­ables partenaire­s. Les annonces officielle­s tomberont à la fin de la saison mais l’ambiance est morose. Même si les marges du secteur demeurent confortabl­es, l’audience cumulée de toute la télévision d’accueil française atteint à peine le niveau d’un simple jeu diffusé en prime time. « Nous mériterion­s d’être aidés par les autorités, plaisante l’un des grands noms du métier, car nous faisons davantage pour les livres et les spectacles vivants que n’importe quel occupant de la rue de Valois, au ministère de la culture. » Une boutade dispensée en off. Simple réflexe profession­nel. Le métier a mauvaise presse depuis le rapport Griotteray en 1995 qui avait révélé les montants exorbitant­s versés par l’audiovisue­l public aux fournisseu­rs de programmes. Les producteur­s sont retournés dans l’ombre. Mais leur influence s’est étendue. Cinéma, fiction, théâtre, documentai­res, mode, sport, politique... « Recevoir à horaire régulier sur un plateau les divers représenta­nts de l’élite nationale vous ouvre un répertoire téléphoniq­ue épais comme le Who’s Who », résumait Jacques Chancel. Pas étonnant de retrouver Renaud Le Van Kim, producteur du Grand Journal et ancien conseil audiovisue­l de Nicolas Sarkozy, à la conception de la dernière grande prestation télé de François Hollande, En direct avec les Français, diffusé sur TF1 en novembre 2014. Façon sans doute pour lui de marcher sur les traces de son ami disparu Jacques Pilhan. Le fameux communican­t avait travaillé tour à tour pour François Mitterrand et Jacques Chirac à l’Élysée. En télévision comme en politique, la continuité de l’État n’est pas un vain projet. —

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