TALK-SHOWS : LA GUERRE EST DÉCLARÉE
À six mois de la rentrée, les chaînes préparent leurs grilles de programmes. Et sur le créneau stratégique du talk-show, les producteurs d’émissions manoeuvrent déjà dans l’ombre.
La formule est simple et efficace : quelques caméras, une dizaine de chaises, autant de verres d’eau, une pincée d’humour et des invités « en exclu ». Excepté TF1, tous les groupes audiovisuels proposent au moins une de ces « émissions d’accueil ». On y convie les auteurs du moment, les politiques qui comptent et les artistes en « promo ». Les hôtes américains sont souvent étonnés par ces grandes tablées typiquement françaises. Aux États-Unis, les talk-shows ressemblent plutôt à des interviews en tête-à- tête. Alors qu’en France, l’ambiance confine au rassemblement mondain. On va « chez » Ardisson, Drucker ou Anne-Sophie Lapix comme on était reçu sous la IIIe République au salon d’Anna de Noailles ou de Juliette Adam. Mais le talk- show est à la télévision ce que la comédie est au cinéma : un exercice de précision. À la tête des navires amiraux du genre, les producteurs veillent, montent, visionnent, gardent l’oeil sur l’horloge. En régie, à travers l’oreillette, ils intiment leurs ordres aux animateurs, aux réalisateurs, jusqu’au public dont il faut maîtriser ou provoquer les applaudissements. Glissent des questions, distribuent (ou plus souvent coupent) la parole. Et quand la mécanique se grippe, il n’y a souvent qu’à attendre stoïquement le crash et la saison suivante tant ces monstres sont lourds à manoeuvrer.
Au moins sept sociétés de production se disputent le marché de la culture et des débats à heure de grande écoute. À six mois de la rentrée, les patrons de chaînes ont entamé les négociations avec ces incontournables partenaires. Les annonces officielles tomberont à la fin de la saison mais l’ambiance est morose. Même si les marges du secteur demeurent confortables, l’audience cumulée de toute la télévision d’accueil française atteint à peine le niveau d’un simple jeu diffusé en prime time. « Nous mériterions d’être aidés par les autorités, plaisante l’un des grands noms du métier, car nous faisons davantage pour les livres et les spectacles vivants que n’importe quel occupant de la rue de Valois, au ministère de la culture. » Une boutade dispensée en off. Simple réflexe professionnel. Le métier a mauvaise presse depuis le rapport Griotteray en 1995 qui avait révélé les montants exorbitants versés par l’audiovisuel public aux fournisseurs de programmes. Les producteurs sont retournés dans l’ombre. Mais leur influence s’est étendue. Cinéma, fiction, théâtre, documentaires, mode, sport, politique... « Recevoir à horaire régulier sur un plateau les divers représentants de l’élite nationale vous ouvre un répertoire téléphonique épais comme le Who’s Who », résumait Jacques Chancel. Pas étonnant de retrouver Renaud Le Van Kim, producteur du Grand Journal et ancien conseil audiovisuel de Nicolas Sarkozy, à la conception de la dernière grande prestation télé de François Hollande, En direct avec les Français, diffusé sur TF1 en novembre 2014. Façon sans doute pour lui de marcher sur les traces de son ami disparu Jacques Pilhan. Le fameux communicant avait travaillé tour à tour pour François Mitterrand et Jacques Chirac à l’Élysée. En télévision comme en politique, la continuité de l’État n’est pas un vain projet. —