Vanity Fair (France)

« LE ROMAN EST UN MARIAGE, LA NOUVELLE, UNE LIAISON BRÈVE ET INTENSE »

De livre en livre, Russell Banks chronique l’envers du rêve américain. Dans ses romans comme dans son dernier recueil de nouvelles, genre dont il est tombé amoureux.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLISABETH PHILIPPE

«

Après avoir publié quatre romans d’affilée, j’étais épuisé et j’ai ressenti le besoin de me tourner vers une forme littéraire qui ferait appel à d’autres muscles, à une autre partie de mon cerveau. Écrire une nouvelle ou écrire un roman sont deux choses très différente­s. La nouvelle se situe davantage du côté de la poésie, elle instaure une relation plus intime et musicale au langage. Du fait de sa brièveté, c’est un genre qui requiert une attention plus soutenue aux aspects formels tandis que la structure d’un roman s’élabore tout au long du travail d’écriture. Le roman est un mariage, la nouvelle une liaison. Brève et intense. Je suis tombé amoureux de cette forme, très tôt, à l’adolescenc­e, en lisant ,

Nathaniel Hawthorne l’un des plus grands nouvellist­es américains du XIXe siècle. Puis j’ai découvert les classiques comme

Guy de Maupassant ou bien sûr qui a exercé

Anton Tchekhov une influence considérab­le sur des auteurs tels que Raymond Carver, Richard Ford ou moi-même. Je pourrais aussi citer

, et éviEudora Welty Flannery O’Connor demment . J’ai sans

Ernest Hemingway doute plus appris de lui que de n’importe quel autre écrivain.

Pour moi, une nouvelle réussie doit saisir un personnage à un moment donné de sa vie et répondre à cette question : pourquoi ce moment précis est-il différent de tous les autres ? En quoi va- t-il changer sa vie, même de manière ténue ou presque invisible ? À l’origine de mes histoires, il y a toujours le personnage. La plupart du temps, je suis attiré par un personnage comme on peut l’être par un inconnu dans la rue. On ne sait jamais exactement ce qui nous plaît. Un rire, le timbre d’une voix, une démarche, l’esquisse d’un sourire... En écrivant, l’auteur se rapproche de plus en plus de son personnage, jusqu’à éprouver de l’affection pour lui. Je ne pourrais pas écrire sur quelqu’un qui ne m’intéresse pas.

J’ai écrit les douze nouvelles de ce recueil en un an, en partie dans le Nord de l’État de New York, en partie à Miami. Ces textes reflètent les deux mondes dans lesquels je vis, qui sont aussi les deux faces de l’Amérique d’aujourd’hui. D’un côté, l’Amérique des petites villes, conservatr­ice, majoritair­ement blanche, laborieuse, homogène. De l’autre, celle de Floride, de Miami, qui représente l’avenir, polyglotte, multiethni­que, multirelig­ieuse. Ces deux aspects coexistent et de cette coexistenc­e naissent les conflits et les contradict­ions qui traversent la société américaine. Mon éditeur m’a aussi fait remarquer qu’il y avait beaucoup de chiens dans ces nouvelles. Ce n’était pas intentionn­el ! Je ne voudrais pas que les gens se méprennent et pensent qu’il s’agit d’un livre sur les chiens. C’est juste que j’ai deux borders collies qui sont toujours près de moi quand je travaille. L’un d’eux, Kili, est mort pendant que j’écrivais. Je lui ai dédié le recueil. Je dédie toujours mes livres à un mort. Mais surtout, comme le titre – Un membre permanent de la famille – le laisse deviner, ces nouvelles traitent de l’écartèleme­nt entre le besoin viscéral d’appartenir à une famille et l’extrême fragilité de cette structure aujourd’hui. On dit souvent que mes livres montrent la face sombre du rêve américain. Mais je ne lui connais pas vraiment de dimension lumineuse. C’est aussi le rôle de l’écrivain que d’aller à l’encontre des mythes et des clichés. D’aller au plus près de la vérité. » —

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en 2011, dans l’État
de New York, avec un
de ses borders collies.
Russell Banks chez lui en 2011, dans l’État de New York, avec un de ses borders collies.

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