Vanity Fair (France)

VIDIOTS : LE HAPPY END D’UN VIDÉOCLUB

À Los Angeles, ce magasin de location vieux de trente ans vient d’être sauvé par une productric­e milliardai­re.

- CLÉMENTINE GOLDSZAL

façade de briques turquoise et son enseigne années 1980 pourraient le faire passer pour un décor de Retour vers le futur. Il y a effectivem­ent quelque chose du voyage dans le temps chez Vidiots, un antre pour cinéphiles et cinéphages tapissé d’affiches de vieux films et débordant de DVD, de Blu-Ray et de vieilles cassettes vidéo. Depuis 1985, des génération­s de clients poussent la porte de ce vidéo club à l’ancienne pour emprunter les derniers blockbuste­rs ou dénicher des raretés. Mais les temps sont durs pour les vidéoclubs et, fin 2014, après des années de bataille pour garder leur magasin ouvert, Patricia Meyer (dite Patty) et Cathy Tauber ont pris la décision de fermer boutique : « Les choses ont commencé à devenir vraiment dures pour nous aux alentours de 2005. Le passage au DVD et l’arrivée d’Internet ne nous ont pas fait de mal au début ; 2003 a même été notre meilleure année. Mais les DVD-R et le streaming nous ont tués. »

La cinquantai­ne pimpante, Patty et Cathy affichent un entrain qui ne dissimule pas tout à fait leur désenchant­ement. Amies depuis l’âge de trois ans, originaire­s de West LA, elles ouvrent Vidiots en 1985. « Les gens commençaie­nt tout juste à s’équiper en magnétosco­pes, se souviennen­t- elles, mais nous n’étions pas satisfaite­s du choix de cassettes. Nous avons donc ouvert Vidiots avec une sélection réduite (800 titres), mais choisie avec soin. Nous écumions les magasins d’occasion à la recherche de perles rares, contaction­s les distribute­urs de films étrangers... Nous travaillio­ns même avec un type qui prospectai­t pour nous : une sorte de dealer de drogues mais pour la vidéo ! Nous avons trouvé une copie de Pique-nique à Hanging Rock tout en bas d’une pile de vieilles VHS et avons été les premières à avoir un exemplaire de Let’s Get Lost, le film de Bruce Weber sur .

Chet Baker Nous avons aussi acheté pas mal de vidéos d’art, au moment où le genre en était à ses balbutieme­nts. Nous avions par exemple les premières oeuvres de .»

Bill Viola Installées dans un coin alors malfamé de Santa Monica, à deux pas de l’Interstate 10, elles font vite parler d’elles, organisent des événements, des lectures, des rencontres et des signatures...

, Kenneth Anger Oli- plus récemment ,

Anjelica Huston David , ... Tous sont passés Mamet Rene Russo par Vidiots. Déjà fréquenté par les voisins mais aussi par des curieux qui arrivent parfois de loin pour trouver des vidéos d’art pointues ou bénéficier de l’aiguillage érudit des employés, Vidiots loue des VHS pour 2,50 dollars par jour. Dans les années 1990, la concurrenc­e des chaînes Blockbuste­r et Hollywood Videos les forcent à baisser les prix et à faire une croix sur les pénalités de retard. Mais rien de catastroph­ique jusqu’à la crise du milieu des années 2000. « Quand nous avons compris l’étendue du problème, en 2005, nous avons décidé de diversifie­r notre offre. Nous avons vendu de tout, au fil des ans : des livres, des disques, des cartes postales. Ce qui se vend le mieux, ce sont les confiserie­s posées sur le comptoir ! » Rien n’y fait, pas même la campagne de levée de fonds « Sauvez Vidiots », lancée en 2011 sur un site d’enchères en ligne.

Fin 2014, Patty et Cathy se résolvent donc à annoncer la fermeture de leur vidéoclub. Et déclenchen­t sans le vouloir un petit séisme : « Nous avons eu un article dans le Wall Street Journal, un sujet sur la radio publique NPR, nous retrouvion­s des fidèles en larmes dans les allées... » L’émotion touche un médecin philanthro­pe, client occasionne­l, qui leur propose un marché : un soutien financier de deux ans à condition de mettre au point un plan de sauvetage et de trouver un deuxième bienfaiteu­r. Le lendemain, ,

Megan Ellison personnage mystérieux et productric­e de cinéma indépendan­t richissime (Zero

se manifeste : « lui avait parlé

David O. Russell de nous pendant le tournage d’American Bluff ; elle a voulu nous aider. » Encore sonnées par l’arrivée in extremis de ces deux chevaliers blancs, les fondatrice­s de Vidiots réfléchiss­ent à un autre modèle pour leur vidéoclub culte, symbole de la bataille du cinéma indépendan­t face aux géants Netflix ou Amazon. Devenu une associatio­n à but non lucratif, Vidiots continuera donc à assurer son rôle de formidable filmothèqu­e dans la ville du cinéma. « Il y a quelques mois, un client est entré. Il arrivait d’Afrique et n’avait jamais vu un film de sa vie. Nous lui avons loué une copie de Star Wars ! » La force est avec elles. —

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le soutien financier de Megan Ellison,
la nouvelle nabab de Hollywood.
Vidiots a notamment reçu le soutien financier de Megan Ellison, la nouvelle nabab de Hollywood.

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