Vanity Fair (France)

« OUM KALTHOUM, C’ÉTAIT BEYONCÉ »

Le musicien Ibrahim Maalouf raconte sa passion pour la diva égyptienne.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉMENTINE GOLDSZAL

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Quand j’étais enfant, mon père écoutait beaucoup de chanteurs arabes : Fairuz, Mohammed Abdel Wahab, Wadih Al- Safi... Mais sa préférée – et la nôtre, à ma soeur et moi – c’était Oum Kalthoum. Mon père était dingue de sa voix et aujourd’hui encore, quand je joue de la trompette, elle résonne dans ma tête comme une référence pour la vibration du son qui sort de mon instrument. Sa façon d’aborder la musique semble se rapprocher de l’opéra : sa voix est très mise en avant et l’orchestre l’accompagne. Mais sa manière de chanter, comme tous les chants traditionn­els, comme les chants tribaux ou comme la musique gnawa, se rapproche de la transe.

J’ai grandi en France ; je suis Français, Européen, Occidental mais je parle couramment arabe et certains éléments de ma manière de penser et de vivre sont liés à mes origines. À 22 ou à 23 ans, quand j’ai voulu comprendre d’où venait cette différence et d’où je venais moimême, j’ai eu envie de découvrir qui elle était et ce qu’elle représenta­it. Elle a eu une vie incroyable ! Son père, un cheikh égyptien, s’est aperçu très tôt qu’elle avait un talent pour le chant et lui a fait intégrer une troupe de chanteurs qui parcourait l’Égypte. Mais c’était une troupe d’hommes et ils l’ont longtemps travestie pour qu’elle ait le droit de chanter les appels à la prière des muezzins. En grandissan­t, quand elle n’a plus pu se faire passer pour un garçon, des personnali­tés importante­s de la musique égyptienne l’ont prise sous leur aile et rendue célèbre ; ses chansons sont devenues des classiques. Encore aujourd’hui, les égyptiens lui vouent un véritable culte. Dans les années 1950, elle était très amie avec Nasser qui s’est beaucoup servi d’elle pour gagner en popularité mais sa notoriété dépasse largement les frontières de son pays. Oum Kalthoum, ça a été la dernière fois que les Arabes ont été d’accord sur quelque chose ; elle incarnait une forme d’unité rare dans l’histoire du monde a rabe. On la compare souvent à la Callas mais ça n’a rien à voir : elle a incarné l’identité de tout un peuple, de plusieurs millions de personnes et ce jusqu’en Israël : il y a une rue Oum- Kalthoum à Jérusalem ! C’était en quelque sorte la Beyoncé de l’époque : très indépendan­te, très épanouie, presque dévergondé­e et en plus une femme de pouvoir.

Cela fait des années que j’avais envie de reprendre ses chansons mais c’est un tel monument que ça a pris du temps. L’album qui vient de sortir, Kalthoum, est la reprise d’une de ses chansons les plus connues, qui est aussi l’une de mes préférées : Les Mille et Une Nuits (Alf Layla wa Layla). Comme souvent, la chanson dure une heure. Pour le disque, je l’ai découpée en sept parties : une introducti­on et quatre mouvements. Je reprends sa mélodie et son chant à la trompette, donc sans les textes. Il n’y a plus la barrière de la langue. Seules la mélodie et l’harmonie demeurent. » —

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chante pour la station
de radio La Voix
des Arabes,
créée par Nasser.
À gauche,
Ibrahim Maalouf.
Oum Kalthoum chante pour la station de radio La Voix des Arabes, créée par Nasser. À gauche, Ibrahim Maalouf.

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