Vanity Fair (France)

LE PARISIEN PARLE-T-IL FRANÇAIS?

Paris est plein de Parisiens ! Chaque mois, PIERRE LÉONFORTE explore la Ville Lumière

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d’Ormesson. Écouter le Parisien pérorer en terrasse chauffée, c’est capter un sabir truffé de néologisme­s, d’anglicisme­s, d’idiomes mécaniques et de mots employés maltapropo­s. Justement, d’aucuns, dandys du bas mot qui adorent émailler leur conversati­on d’« épatant », « nonobstant », « céans » et autres « for intérieur », s’amusent à forcer sur les liaisons démontées au cric. Un tic hérité de l’écriture phonético-babebibobu des SMS, WhatsApp et Twitter. Seul le ton employé permet au néophyte de distinguer l’euphonique qui, pour rire, force la dose, du vrai fautif ès pataquès. En gros : la plèbe.

S’il parle un certain français, le Parisien a tendance à le truffer d’approximat­ions verbales. Un mot pour un autre. L’érudit parisien un chouïa cuistre évoquera là une catachrèse. Qui rime avec Thérèse, mais on n’ira pas plus loin. Friand de TOC, le Parisien va vite la mettre en veilleuse : ce trouble du langage n’a rien à voir avec la glossolali­e, bien que ces troubles psy aient pu déboucher sur une nouvelle forme de poésie sur laquelle Raymond Queneau et Jean Tardieu ont bâti leur oeuvre. Et si Zazie n’était pas parisienne, personne ne l’était. Reste à trouver la Zazie (et le Gavroche) de l’an 3000. Intellectu­ellement feignasse et culturelle­ment poisson pilote, le Parisien manifeste là aucune ambition. Mesuré à son verbe, même les morveux sous-lettrés de La Guerre des boutons entreraien­t dans l’Almanach Vermot par le haut. D’ailleurs, le Parisien ne parle plus : il communique. Il écrit aussi, en faisant tant de fautes qu’on vient de renoncer officielle­ment à considérer cette tare comme rédhibitoi­re à l’embauche. Le Parisien ne parle plus français. Il s’exprime avec des sons et sans plus aucun accent, ou alors forcé pour poser sa différence ou sa versatilit­é, avec un ensemble de mots articulés, souvent dans le désordre et par euphémisme­s. À vouloir faire « djeuns’», le Parisien a pilonné son français au point de ne plus se faire comprendre. Rhétorique­ment parlant, il ne convainc plus personne et encore moins ses proches. Son humour s’est appauvri : à force de s’indigner, il a perdu le sens aigu de sa propre dérision et se contente de ricaner – le ricanement est la ponctuatio­n du parlé parisien.

S’il ne parle plus bien le français, le Parisien l’écrit dans des livres d’autofictio­n ou de biographie­s bidon autocentré­es. Avec des phrases à six mots qui emmerdent tout le monde. La plus longue étant par exemple : « Françoise [Sagan] aurait aimé grignoter ce croque-monsieur avec moi. » Et ta soeur ? La rentrée littéraire lui sied bien au teint, mais il suffit de l’entendre pour piger qu’il n’y comprend rien. Il a pourtant écrit en français. Avec un Larousse des synonymes de 1973 pour ne pas répéter dix fois « épatant ». Une fois édité, il a repris sa place en terrasse et saupoudre ses parlotes de nouveaux mots comptant triple au Scrabble. Et là, c’est comme dans une recette ratée : il y a les bons ingrédient­s, les bonnes doses, les bonnes épices, mais la béchamel ne prend pas. C’est dur de parler français. Pas donné à tout le monde. Voilà. Parisien, 24 mots rares et savants se sont glissés dans ce texte : sauras-tu les trouver ? �

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