Vanity Fair (France)

J’AI TOUJOURS REFUSÉ.

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Quand il revient au journal, c’est la guerre. Deux camps s’affrontent : d’un côté, la direction et une partie de la rédaction, de l’autre, les signataire­s de la tribune qui ont recruté leurs propres avocats. Dialogue de sourds, au point qu’un médiateur est nommé par le ministère de la culture pour tenter d’apaiser les tensions. Tout est matière à prises de bec, y compris la participat­ion au projet du réalisateu­r Daniel Leconte, qui voulait faire la suite de son documentai­re C’est dur d’être aimé par les cons, tourné en 2008 durant le procès des caricature­s de Mahomet.

Leconte s’est présenté devant la rédaction ƒn février. « Je leur ai dit que j’avais plein de rushes, que je voulais faire parler Cabu, Tignous, Charb, Honoré comme s’ils n’étaient pas morts et recueillir le témoignage des survivants », explique le réalisateu­r. Il a promis que les recettes iraient aux victimes des attentats, que le ƒlm avait de bonnes chances de décrocher la sélection ofƒcielle à Cannes – le délégué général du festival, Thierry Frémeaux lui avait donné quelques signes très encouragea­nts. Pelloux a accepté de participer avant d’envoyer ce SMS : « Je ne ferai pas cet entretien ƒnalement car ces cons de la direction m’interdisen­t de le faire ! » C’était faux et Daniel Leconte n’a jamais compris ce revirement, ni pourquoi son ƒlm (qui sortira en décembre), n’a pas été sélectionn­é à Cannes. « Cette rédaction, à l’époque, c’était un chaudron » se désole- t-il. Pelloux n’a cessé de sou”er sur les braises en laissant entendre que des choses pas nettes se passaient, que le journal était nul, que Riss n’avait pas la carrure, que Philippe Val, l’ancien directeur (avec qui il est désormais brouillé) pourrait revenir, rentrer au capital et empocher des millions.

S’est-il rêvé lui-même en patron de Charlie ? « Jamais » jure-t-il dans un grand rire forcé. Pourtant, nombreux sont ceux qui lui prêtent cette ambition, à force de le voir incarner l’hebdomadai­re, devenir sa voix et son visage. C’est Pelloux qui s’est envolé avec Anne Hidalgo à Copenhague, le 14 février, après l’attaque d’un centre culturel. « Je suis venu manifester ma solidarité au peuple danois », a-t-il déclaré à la descente de l’avion. C’est lui qui a aussi gagné la Tunisie en Falcon présidenti­el après l’attentat au musée du Bardo. Il s’était alors fait teindre les cheveux en blond platine par une amie coiœeuse. Il disait vouloir changer d’identité, échapper aux regards, qu’on ne lui parle plus des frères Kouachi. Mais il était là quand même, sous les projecteur­s. « On le sentait fragile, se souvient le réalisateu­r Serge Moati, également à bord. Il était ému, dans une ville émue. » À côté, aux petits soins, Bertrand Delanoë, Frédéric Mitterrand et le président de l’Assem- blée nationale, Claude Bartolone, qui lui a proposé de ƒgurer sur la liste du PS aux prochaines élections régionales en Île- deFrance. « On m’a oœert à peu près tous les postes dans tous les partis de gauche, soupire- t-il. J’ai toujours refusé. Un jour peut- être, pas maintenant. » Il s’est tout de même glissé quelques semaines plus tard dans l’avion présidenti­el, cette fois en route vers Cuba. « Aux obsèques de Bernard Maris, Patrick m’a dit que ce pays l’intéressai­t beaucoup en raison de sa politique sanitaire, conƒe Jean-Pierre Bel, l’ancien président du Sénat, organisate­ur du voyage à La Havane. J’en ai parlé au chef de l’État qui a trouvé ça très bien que Patrick nous accompagne. » Pelloux s’est envolé en compagnie de sa ministre de la santé préférée, Marisol Touraine, et de l’académicie­n Dany Laferrière. Et, une fois de plus, l’équipe de Charlie a découvert à la télévision la présence de son ambassadeu­r autoprocla­mé.

Un dimanche de juillet, avant de renoncer à sa chronique d’adieu, Pelloux a rejoint Riss sur la terrasse de Libé. Le directeur de Charlie Hebdo préparait la rentrée, le déménageme­nt dans de nouveaux locaux blindés dans le XIIIe arrondisse­ment, l’élaboratio­n d’une nouvelle formule, la recherche de jeunes dessinateu­rs pour tenter de régénérer le journal et maintenir les ventes. Depuis qu’il vit avec sept policiers collés à ses basques et une fatwa sur sa tête, Riss va à l’essentiel. Il ne veut pas s’embarrasse­r des vieilles querelles. Pour autant, il n’a pas supplié Pelloux de rester. « Je lui ai simplement dit : “fais comme bon te semble, c’est toi qui décides.” On ne force pas quelqu’un à rester. Et puis c’est bien aussi de se renouveler », explique d’une voix étonnammen­t douce et détendue le directeur de Charlie. Devant ce solide miraculé au regard clair, Pelloux a bafouillé : « Bon, on continue comme ça alors...® » À peine a-t-il eu le temps de lui parler du bureau de Charb, qu’il aimerait récupérer. Pelloux a aperçu le meuble en retournant sur les lieux du massacre, après la levée des scellés. Au milieu du chaos, il a retrouvé ses affaires et une carte de voeux de Jean-Michel Ribes qui lui souhaitait, pour 2015, de « voler au-dessus des nuages ».

Les jours suivants, il n’a pas trouvé le sommeil. Michel Drucker, « Mimi » comme il l’appelle, l’a invité à se changer les idées chez lui, dans les Alpilles. « Patrick aussi a besoin d’être soigné », conƒe l’animateur. Il lui a concocté un « programme réparateur » : vélo dès l’aube, natation, nourriture­s saines, siestes. L’après-midi, quand il n’était pas au chevet de Jean Reno (l’acteur, en villégiatu­re dans le coin, s’inquiétait d’une mauvaise toux), Pelloux s’est attelé à la suite de son best- seller sur les agonies célèbres, On ne meurt qu’une fois et c’est pour si longtemps, qui a conquis plus de 100 000 lecteurs. Les éditions Robert Laœont attendent le manuscrit avec impatience. « J’avais commencé le premier tome par la mort de Jésus », rappelle Patrick Pelloux. Et il murmure, sourire taquin : « Je vais donc démarrer le deuxième par la mort de Mahomet. » ²

CHARLIE HEBDO ON M’A OFFERT À PEU PRÈS TOUS LES POSTES DANS TOUS

LES PARTIS DE GAUCHE.

Patrick Pelloux

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