Vanity Fair (France)

4 garçons dans le venT

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Alber Elbaz. Ce que l’on pensait être une décision d’un commun accord, à la Raf Simons, s’avère unilatéral­e. Incompréhe­nsible.

Retour en octobre, pendant la semaine des défilés parisiens. Le matin du show Louis Vuitton de Nicolas Ghesquière, le fil Instagram crépite : Demna Gvasalia, créateur du label Vetements [sic], est nommé à la tête de Balenciaga après le départ d’Alexander Wang dont Kering n’a pas renouvelé le contrat. Bien sûr, en deux saisons, Vetements est devenu une des tocades de la mode parisienne. Mais derrière une démarche hors champ qui prend source chez Martin Margiela, c’est la réflexion profonde de Demna Gvasalia sur le vestiaire qui a séduit chez Balenciaga. Au sein de l’hôtel particulie­r du VIe arrondisse­ment qu’occupe la griffe, Demna a d’ores et déjà réorganisé ses équipes pour qu’elles occupent le même étage que lui alors que, sous l’égide de Nicolas Ghesquière, dont avait hérité Alexander Wang, le studio de création, sorte de Fort Knox, se trouvait à un autre étage. Demna Gvasalia, au sein de sa république Balenciaga, continuera à s’entourer d’un sociologue pour réfléchir avec son équipe à la place du vêtement dans la société. Symptôme d’une époque qui, de gré ou de force, doit s’interroger, de façon quasi sociétale, sur son fashion business.

QLa revanche du sensibLe

uid de LVMH, donc ? Le groupe recèle déjà de grandes signatures : Phoebe Philo chez Céline et Jonathan Anderson chez Loewe produisent une mode conceptuel­le et minimale ; Riccardo Tisci, dont le talent frondeur a secoué la maison Givenchy, est depuis longtemps le best buddy de Kim Kardashian, Courtney Love, Kanye West, Beyoncé et n’a donc rien à envier à Olivier Rousteing. À l’heure où nous écrivons, rien n’est encore joué chez Dior, mais on ne peut s’empêcher de penser que l’alignement des planètes est tel – départ de Raf Simons et liberté rendue à Alber Elbaz à une semaine d’intervalle – que la maison de couture de l’avenue Montaigne devrait y voir le signe qu’elle doit enfin ouvrir ses portes à Elbaz. C’est-à- dire entendre le message de l’époque : céder à un désir à la fois simple et complexe mais qu’on semblait avoir négligé ces dernières années, le retour à une certaine féminité.

Ces ruptures en série forcent à constater que le système de la mode basé sur un calendrier à marche forcée ne peut se renouveler que de manière éruptive, sismique, cathartiqu­e, unique façon de refroidir un moteur qui procède par emballemen­ts. Un des symptômes annonciate­urs de cet effet de serre sur la planète textile a été la nomination d’Alessandro Michele à la direction artistique de Gucci en janvier 2015, pour succéder à Frida Giannini. Michele, ancien directeur de studio de la créatrice, a proposé d’emblée un virage à 360° qui, en une saison, a mis à mort la femme fatale Gucci, cette vamp dramatisée dont l’érotisme conquérant était la marque de fabrique. Revanche du sensible, de la poésie, d’un charme volontaire­ment murmuré et décalé... tel est le ton proposé par Alessandro Michele. Bref, l’exact opposé de celui de Frida. Ces filles en babouches de cuir et lunettes de geek, dont la beauté pâle et les lèvres fines renvoient aux peintures flamandes, affichent une élégance gauche et délicate. Fin de la femelle agressive et reflet d’une époque où Bruce Jenner se transforme en Caitlyn car, sur le podium de la mode masculine Gucci, les garçons assument totalement leur part de féminité avec blouses à lavallière et mousseline­s tendres.

Tournez manège L’automne 2015 a fait bouger

les frontières de la mode.

Dretour de La couture

ans la foulée de ce changement de ton, Hedi Slimane, pape du cool from Los Angeles sous étiquette Saint Laurent Paris, annonce un retour de la maison à la haute couture. Il semble que les caprices des dieux nous annoncent la revanche du fragile, de l’unique, une démarche qui, là encore, prend à rebours la force centrifuge du système. On s’était habitué aux (bad) boys and girls Saint Laurent, aux gamines en collant résille troué, aux yeux cernés, leur petit cuir emboîté sur une carrure de mouche, couvrant à peine des guiboles en cure- dents ; on s’était fait à la dégaine de gommeux en fourrure et slim cuir à mourir de maigreur. Et puis bam ! Hedi Slimane balance une campagne de publicité qui montre des filles ultrachic en robe longue et en smoking au sein du QG de Saint Laurent Paris, récemment installé dans l’hôtel de Sénecterre, rue de l’Université, et dont la magnifique architectu­re XVIIe représente le graal de l’immobilier Rive gauche. Hedi Slimane, baromètre de la fashion, sociologue des désirs de la rue malgré lui, opère une rupture. Sa haute couture ne défilera pas mais sera choisie et portée par un réseau d’affinités électives. L’étiquette en satin de soie cousue sur ces pièces uniques affiche à nouveau le prénom du fondateur : on y lit Yves Saint Laurent en toutes lettres. La messe est- elle dite ? On n’a encore rien vu. �

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De Los Angeles, il a supervisé la réhabilita­tion de l’hôtel particulie­r parisien où renaît la haute
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et Maison Martin Margiela présentera en mars
sa première collection Balenciaga.
Membre du collectif Vetements, cet ex-Vuitton et Maison Martin Margiela présentera en mars sa première collection Balenciaga.

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