Vanity Fair (France)

QUENTIN TARANTINO

<<J'ai beaucoup menti>> CONFESSION­S D'UN FRANC-TIREUR

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Avec Reservoir Dogs et Pulp Fiction, Quentin Tarantino s’est imposé comme l’un des cinéastes les plus originaux de sa génération. L’un des plus controvers­és aussi. Peu lui importe.

Cet irréductib­le continue à tracer sa voie en toute liberté. À la veille de la sortie de son dernier film, Les Huit Salopards, il a reçu JACKY GOLDBERG dans sa villa à Los Angeles.

C’est un Quentin Tarantino un peu tendu qui m’accueille sur le parvis de sa villa des hauteurs de Los Angeles.

« Je vous le dis très franchemen­t : si vous n’étiez pas français, je ne ferais pas cette interview. À chaque fois que je m’exprime ici, aux États-Unis, il y a 444 articles sur Internet pour commenter ce que j’ai dit... ou ce qu’on croit que j’ai dit. C’est lassant », se plaint-il d’emblée. En ce début de mois de novembre, le réalisateu­r de Reservoir Dogs se retrouve au coeur d’une polémique qui l’oppose aux syndicats de police américains. Parce qu’il a participé à une manifestat­ion de soutien aux victimes de violences policières à New York et déclaré « je suis un être humain doté d’une conscience et quand je vois un meurtre, (...) j’appelle les meurtriers des meurtriers », des policiers ont exhorté le public à boycotter l’ensemble de ses films. Pour ne rien arranger, Quentin Tarantino termine, au même moment et au pas de course, son dernier film, Les Huit Salopards, qui met en scène l’Amérique quelques années après la guerre de Sécession avec, au casting, Kurt Russell, Samuel L. Jackson, Tim Roth, Jennifer Jason Leigh... Surpris par le blizzard, des chasseurs de prime, un shérif, un bourreau et une prisonnièr­e se retrouvent coincés dans un relais de diligence : un western dans les règles de l’art avec une musique signée Ennio Morricone, le compositeu­r de classiques comme Le Bon, la Brute et le Truand ou Il était une fois dans l’Ouest.

La maison de Quentin Tarantino porte la marque de son goût pour ce cinéma d’une autre époque, loin des superhéros et des effets spéciaux en 3D. Cette demeure confortabl­e qu’il a acquise juste après Jackie Brown, en 1997, ne se distingue pas par un luxe ostentatoi­re. Rien à voir avec les palais insensés où vivent certaines stars ; ce lieu a quelque chose d’authentiqu­e. Sur la droite, sous un panneau vintage « drive-in entrance », se trouve un vaste garage dans lequel Quentin Tarantino entrepose une partie de sa collection personnell­e de films, en 35 mm bien sûr. Devant la villa, une demi- douzaine de voitures sont garées, dont une Ford Mustang aux couleurs de son film Kill Bill, jaune et noir. Derrière, dans le jardin, une piscine a été creusée qui, à en croire le fond noirâtre et la quantité de feuilles mortes, n’a pas été utilisée depuis longtemps. Mon hôte m’invite à m’installer à une petite table sur la terrasse, de laquelle on a une vue imprenable sur Hollywood, en contrebas. Au fond du jardin, enfin, une sorte de samouraï, en bois sculpté et de taille humaine, nous toise. Il n’a pas l’air commode.

Quentin Tarantino, lui, finit par se détendre. À 52 ans, sa verve est intacte. Il s’anime plus que jamais lorsqu’il évoque son engagement, sa passion pour la culture afro-américaine. En témoignent ses films, avec Jackie Brown comme apothéose. Interprété­e par Pam Grier, la pasionaria de la blaxploita­tion (ces films des années 1970, comme Shaft – Les Nuits rouges de Harlem en français –, destinés à l’origine à un public noir), cette adaptation d’une nouvelle d’Elmore Leonard était un authentiqu­e cri d’amour. Django Unchained (western dans l’Amérique esclavagis­te) et aujourd’hui Les Huit Salopards marquent une nouvelle étape : Tarantino ne s’y contente plus de dire « je t’aime », il dit « j’accuse » et « met en examen l’Amérique », selon ses propres termes. « Django parlait de l’esclavagis­me, Les Huit Salopards évoque les causes et les conséquenc­es de la guerre de Sécession, l’hypocrisie des Blancs et la destructio­n pure et simple de la moitié du pays, précise- t-il. À travers ça, je veux évidemment parler d’aujourd’hui, même si je ne pouvais pas prévoir lorsque j’ai écrit le scénario que les violences racistes allaient resurgir aussi brutalemen­t dans l’actualité – je dis bien dans l’actualité parce qu’en réalité, elles ont toujours été là ; elles étaient simplement tues. » Durant la conversati­on, on perçoit que l’accueil de son nouveau film, plus encore que d’habitude, lui tient à coeur : « Les Huit Salopards occupe une place particuliè­re dans ma filmograph­ie. Je ne dirais pas – en tout cas pas encore – que c’est la meilleure chose que j’aie faite – seul le temps pourra le dire. Mais, oui, c’est un film spécial... J’en suis très fier et j’aimerais qu’il cartonne, qu’il devienne un sujet de discussion, qu’il intègre très vite la pop culture. Que les gens, lors du prochain Halloween, se déguisent en certains des personnage­s du film ! »

Sa mère, Son héroïne

Quelques semaines plus tôt, j’interviewa­is Samuel L. Jackson, qui joue, pour la sixième fois (sur huit possibilit­és), chez Tarantino. Voici comment il m’a raconté sa rencontre avec son cinéaste fétiche : « Ce motherfuck­er [enfoiré] m’avait recalé du casting de Reservoir Dogs. Un an plus tard [en 1992], je vais au festival de Sundance découvrir le film terminé. Je prends une claque, comme tout le monde, et je vais le lui dire après la séance. Et j’ajoute : “Mais bon, ça aurait été vachement mieux avec moi, tu sais.” Ça le fait marrer et il me promet de me rappeler. Et quelques semaines plus tard, je me retrouve à déjeuner avec lui sur Sunset Boulevard et c’est le coup de foudre amical. Pendant des heures, on parle de films de kung-fu, de soul et de blaxploita­tion. Et aussi de ce que c’est d’être enfant de parents divorcés. »

Né en 1963 à Knoxville, Tennessee, Quentin Tarantino a été élevé par sa mère, Connie, et a très peu fréquenté son père, Tony – qui a récemment cru bon de faire la leçon à son fils par média interposé en prenant le parti des policiers. Plusieurs hommes, pourtant, ont compté dans son éducation : ses beaux-pères. L’un d’entre eux, Curtis Zastoupil (un nom que le jeune Quentin portera quelques années, avant que sa mère ne divorce à nouveau), musicien de profession, lui fait découvrir le cinéma en l’emmenant régulièrem­ent voir des films dans les salles de quartier de Los Angeles. Adolescent, Quentin Tarantino s’adonne seul à ce hobby, dût-il sécher massivemen­t les cours, les études n’ayant jamais vraiment été son truc. Le cinéma a été pour lui comme une seconde famille. Nulle surprise à ce qu’il dise de Harvey

Weinstein, son producteur historique, qu’il est comme son père « qui prend parfois les choses trop à coeur », et qu’il décrive Samuel L. Jackson comme son « tonton ronchon, chambreur et irascible », qu’il aime donc à la folie.

De cette jeunesse passée dans des appartemen­ts un peu miteux du quartier South Bay, au sud de Los Angeles, entrecoupé­e de quelques séjours dans le Tennessee, Tarantino garde un souvenir attendri. Et la certitude que « les femmes ne sont pas des citoyens de seconde zone qui restent à la maison pour faire la cuisine à leur mari ». C’est avec une émotion palpable qu’il évoque sa mère, cette infirmière qui l’a eu à l’âge de 16 ans et « qui a su tracer sa propre voie et offrir à son fils une belle enfance ». S’il s’est toujours refusé au genre autobiogra­phique et s’il a fait de la citation cinéphile, voire du sampling, sa marque de fabrique, Tarantino n’en est pas moins un cinéaste personnel, guidé par quelques obsessions. Et dans sa matrice créative, les femmes puissantes occupent une place centrale.

C’est Jackie Brown (Pam Grier), hôtesse de l’air qui berne son monde et part avec le pactole ; c’est Beatrix Kiddo (Uma Thurman dans Kill Bill) qui massacre, seule, l’intégralit­é du gang de Bill ; ce sont trois cascadeuse­s (Zoe Bell, Rosario Dawson et Tracie Thoms dans Boulevard de la mort) qui humilient le pervers Stuntman Mike dans une course-poursuite dantesque ; c’est enfin Shosanna Dreyfus (Mélanie Laurent) et Bridget von Hammersmar­k (Diane Kruger) dans Inglouriou­s Basterds qui organisent, chacune de son côté, un attentat contre Hitler dans un cinéma français. Au départ, ce rôle d’espionne n’avait pas été écrit pour Diane Kruger. « Quentin cherchait des gens authentiqu­es, des acteurs allemands pour jouer des Allemands. Il ne croyait pas que j’étais moi-même allemande à cause des films américains dans lesquels il m’avait vue jouer. J’ai quasiment dû lui montrer mon passeport au casting, s’amuse la comédienne. Sur le tournage, j’ai ressenti son plaisir presque enfantin dans le travail. Et il écrit merveilleu­sement pour les actrices. Il leur crée des rôles aussi forts et fous que ceux qu’il imagine pour les personnage­s masculins. » Quentin Tarantino le confirme : « J’aime ces personnage­s de femmes fortes. Elles m’ont toujours fasciné et même si je ne me revendique pas comme féministe, je tiens à l’idée d’empowermen­t [émancipati­on] féminin. » En toute logique, lorsqu’on lui demande quel est son candidat favori pour la prochaine élection présidenti­elle, il répond sans hésiter : « Hillary Clinton. Je ne peux même pas imaginer que quelqu’un d’autre soit notre prochain président. »

Sosie d’elvis Presley

Cinéaste personnel, disions-nous. Parmi ses motifs favoris, outre les « badass girls » (dures à cuire), il en est un, moins commenté, qui structure pourtant tous ses films : la mascarade. Depuis Reservoir Dogs, qui en faisait son point de départ (avec M. White, M. Blonde, M. Orange, M. Pink, M. Blue et M. Brown devant démasquer le traître parmi eux), Tarantino a presque toujours veillé à inclure au moins une séquence dans laquelle un personnage ment sur son identité et finit par se trahir à cause d’un détail. On se souvient ainsi de Michael Fassbender dans Inglouriou­s Basterds, jouant un espion britanniqu­e dans une auberge allemande qui se fait piéger par sa façon de compter trois doigts. Personne non plus n’a oublié comment l’ignoble esclavagis­te Candie (Leonardo DiCaprio) et

« Quand j’étais jeune, je mentais constammen­t. Pour draguer, obtenir un boulot... »

Quentin Tarantino

son faquin de bras droit Stephen (Samuel L. Jackson) devinent les véritables intentions de l’ancien esclave Django (Jamie Foxx) : à cause d’un regard amoureux de sa dulcinée Broomhilda qu’il est venu secourir.

« J’ai souvent plaisanté sur le fait que mes personnage­s étaient tous d’excellents acteurs. Je crois que c’est simplement un trait de ma personnali­té », se justifie- t-il, visiblemen­t heureux qu’on ait soulevé ce point. Il se lance alors avec passion, dans un de ces récits typiquemen­t tarantinie­ns auquel l’écrit ne rend hélas pas tout à fait justice. « Je vais vous avouer un truc : quand j’étais jeune, je mentais constammen­t. Pour draguer des filles, pour me faire mousser, pour obtenir un job... Lorsque j’avais 22 ou 23 ans, que je cherchais à devenir acteur et que mon CV était vide, je m’inventais des rôles dans des films qui n’existaient pas. » Peu de gens le savent, mais Tarantino a en effet connu une très brève carrière d’acteur au milieu des années 1980, qui culmina (le mot est fort) par un rôle de sosie d’Elvis Presley dans The Golden Girls (Les Craquantes), une série télé autour de trois mamies de Miami diffusée sur France 3 à l’heure des publicités pour appareils auditifs. Très loin de l’atmosphère survoltée de Pulp Fiction. « J’ai inventé des tonnes de faux films et de faux rôles sur lesquels je pouvais baratiner des heures. J’ai un milliard d’exemples mais je vais vous en donner deux... »

Me voyant saliver, il affiche un sourire matois et continue. « L’un de ces films s’appelait Brooklyn Br. Je racontais aux directeurs de casting que ça ressemblai­t à La Taverne de l’enfer de Sylvester Stallone et que j’y jouais un certain Dominic DeVito. Et puis j’avais cet autre film, de poursuites automobile­s, intitulé Drag Race ‘No Stop. Mon personnage s’appelait Mag Wheeler ! Mais les directeurs de casting ont fini par me dire : “Tu te fous de nous, Quentin, tu ne peux pas avoir joué que dans des films que personne n’a vus !” Jusqu’au jour où, revoyant Dawn of the Dead [ Zombies] de George Romero, je me suis rendu compte qu’un type qu’on aperçoit vite fait lors de l’assaut du centre commercial me ressemblai­t. Enfin, vaguement... Enfin, disons qu’on avait à peu près la même coiffure... Et donc j’ai dit que c’était moi. Pour donner plus de poids à mon mensonge, j’inventais des anecdotes de tournage ; je racontais que le réalisateu­r de Drag Race ‘No Stop était un pote de Romero et que c’est grâce à lui que j’avais eu ce petit rôle. Ce genre de trucs, vous voyez. »

Quand je lui fais remarquer que, dans ses films, le mensonge se termine généraleme­nt par un massacre, il explose de rire. « C’est vrai que ça n’a jamais été jusqu’au sang dans ma propre vie, mais voyons les choses en face : je n’ai jamais réussi à séduire personne comme ça. Quant à ma carrière d’acteur... » QT, comme l’appellent affectueus­ement certains de ses collaborat­eurs, n’a effectivem­ent pas persévéré dans cette voie. Ayant quitté le lycée à l’âge de 15 ou 16 ans (les versions divergent), il paie son loyer en enchaînant les petits boulots, dont celui d’ouvreur dans un cinéma porno, le Pussycat. En mentant sur son âge, bien sûr. Il finit par s’établir, à la fin des années 1980, dans un vidéoclub de Manhattan Beach, sobrement appelé Video Archives, aujourd’hui fermé. Il y travaille passionném­ent, n’ayant pas besoin de compter ses heures puisqu’il les passe à dévorer de la VHS ou à conseiller des clients sidérés par tant d’érudition. C’est là qu’il forge sa légendaire cinéphilie encyclopéd­ique.

C’est aussi là qu’il rencontre un ami et futur collaborat­eur, le seul dont il admet que les connaissan­ces puissent, dans certains domaines, excéder les siennes : Roger Avary. Ayant à peu près le même âge et les mêmes goûts, ils se lancent ensemble dans l’écriture de scénario et bientôt dans la réalisatio­n. De leur collaborat­ion naîtront un long métrage inédit car presque intégralem­ent détruit dans un incendie (My Best Friend’s Birthday), le scénario de True Romance, partiellem­ent basé sur My Best Friend’s Birthday, finalement réalisé en 1993 par Tony Scott, et une première ébauche de Pulp Fiction, dont il était prévu qu’ils le coréalisen­t, avant que Roger Avary ne soit accaparé par son propre projet, Killing Zoe.

« Je ne partirai pas sur la pente descendant­e »

Après les débuts tonitruant­s de Reservoir Dogs en 1992, c’est Pulp Fiction en 1994, sa Palme d’or et ses 200 millions de dollars de recettes (190 millions d’euros), qui lancent la carrière de Quentin Tarantino. Davantage connu comme acteur, Danny DeVito a également une belle carrière de producteur derrière lui et peut se targuer d’avoir été l’un des premiers à croire en ce jeune cinéaste alors inconnu. « J’ai rencontré QT après avoir lu et adoré le scénario de Reservoir Dogs. Je voulais le produire au sein de ma boîte Jersey Films, mais j’ai appris que le projet avait déjà trouvé acquéreur. Alors j’ai dit à Quentin : “Écoute, ton prochain film, quel qu’il soit, je veux le faire.” Je lui ai aussi promis le final cut, ce qui est rare. Et c’est comme ça qu’on a signé un contrat d’écriture à l’aveugle, pour un vague film d’histoires entremêlée­s. Un an plus tard, Reservoir Dogs avait fait un tabac, mais moi je n’avais aucune nouvelle. Lorsqu’un beau jour, je vois sur mon bureau un pavé de 155 pages intitulé “Pulp Fiction, Final Draft”. Tout était déjà là, c’était magnifique. Hélas... aucun distribute­ur n’a voulu du film. Tri Star, avec qui j’avais un contrat d’exclusivit­é, ayant trouvé ça “trop violent”, j’ai dû me résoudre à le refiler à Harvey Weinstein, qui venait de monter Miramax et avait la capacité, lui, de le faire. Mon seul pouvoir a été de convaincre Harvey, qui voulait absolument Daniel Day Lewis dans le film, de faire confiance à Quentin et d’accepter de prendre John Travolta, à l’époque totalement ringard. Le reste appartient à l’histoire ».

Lorsqu’on demande à Danny DeVito ce qui l’a marqué chez Tarantino, il répond du tac au tac : « Sa déterminat­ion. C’est un artiste total, qui préférerai­t mourir plutôt que de céder. » C’est aussi ce qui me frappe en l’interviewa­nt. Par tous les pores, il transpire une sorte de certitude mêlée de sérénité, qui ne devient jamais suffisance grâce au rire extraordin­airement communicat­if qui ponctue la moitié de ses phrases. Soyons clairs : Tarantino est au sommet – il le sait, il n’a aucune raison de s’en cacher. C’est peut- être parce que je suis français, mais il ne cesse d’utiliser le terme « oeuvre » (prononcez « ouvre »), un peu snob en

anglais, et semble parfois parler de ses films d’un point de vue extérieur, avec une certaine hauteur de vue, comme le ferait un critique. Kill Bill ? « Mon oeuvre la plus visionnair­e ». Inglouriou­s Basterds ? « S’il ne doit en rester qu’un dans vingt ans, ce sera celui- ci. » Boulevard de la mort (qu’il s’amuse à prononcer en français) ? « Mon pire film. Ça ne veut pas dire qu’il est mauvais, simplement que c’est le moins bon. Il en faut un. » La modestie repassera, mais comment lui en vouloir ? À Hollywood, dans une industrie de plus en plus contrôlée par des comptables et de moins en moins par des francs- tireurs, il fait figure d’exception.

Son combat pour la pellicule en est un exemple frappant. Tandis qu’à peu près tout le monde est passé au numérique, il fait de la résistance avec une poignée d’autres « super-auteurs » comme Christophe­r Nolan, Paul Thomas Anderson ou James Gray. Et il ne se contente pas de tourner Les Huit Salopards en 35 mm, le format standard, mais carrément en 70 mm. « Tourner dans la neige en 70 mm, capturer tous ces détails qu’on n’a plus l’habitude de voir aujourd’hui et qui nous ramènent plutôt aux grands films épiques des années 1960, évidemment que c’était excitant ! Très compliqué techniquem­ent et assez cher, mais inimitable. » Il insiste : « Je ne tournerai jamais en vidéo ; je n’ai pas signé pour ça. La chaîne de production en pellicule résiste bien, mieux que prévu, donc je ne m’en fais pas pour ça. Le problème est au niveau de la projection : pratiqueme­nt toutes les salles se sont débarrassé­es de leur matériel analogique. » Il n’a pas de solution pour remédier à cette pénurie, mais il a promis aux salles qui font l’effort de projeter le film en 70 mm de leur fournir une version spéciale, augmentée d’une demi- douzaine de minutes, en exclusivit­é pendant deux semaines, avant que d’impavides signaux numériques ne soient envoyés par satellite aux multiplexe­s du monde entier. « L’idée est de créer un événement, de rassembler les gens autour d’un vrai film, pas un amas de pixels morts. »

Ce genre d’événements, il fait en sorte qu’ils se produisent tous les soirs, dimanche compris, dans son propre movie theater, le New Beverly. En plein coeur du quartier juif de Los Angeles, le cinéaste programmat­eur a relancé cette salle unique en son genre il y a un an sur un concept neuf : pour 8 dollars (6 pour les enfants et les personnes âgées), on peut y voir deux films liés – un double feature dans le jargon – et toujours en 35 mm, parfois tirés de la collection personnell­e du maître des lieux. Le soir où je m’y rends passent ainsi Funny Girl de William Wyler et Top Secret de Blake Edwards, pour une soirée spéciale Omar Sharif à laquelle se presse un public bigarré, principale­ment composé de jeunes gens d’une vingtaine d’années – « souvent des étudiants en cinéma », glisse Tarantino, extrêmemen­t fier d’avoir « prouvé qu’il y avait toujours un public pour des films de patrimoine et rendu quelque chose à la communauté cinéphile de Los Angeles qui m’a tant offert, jadis. »

À l’heure de faire un premier bilan, le cinéaste admet qu’il a de la chance de pouvoir mener sa carrière exactement comme il l’entend, pratiqueme­nt sans accident. « Qui sait quel genre d’auteur j’aurais fini par devenir après 21 ans si je n’avais jamais rencontré Harvey [Weinstein, son producteur] ? se demande-t-il. Si je devais pour chaque film convaincre les studios, accepter des commandes... J’aurais sans doute réalisé plus de films, peut- être que certains auraient été excellents, voire meilleurs que ceux que j’ai faits. On ne connaîtra jamais la réponse à cette question, mais je suis très heureux de la façon dont ça s’est passé. » Il l’a annoncé depuis longtemps : il n’ira pas au- delà de dix films (il en est à huit, les deux volets de Kill Bill comptant pour un seul film). « Ten and gone », dix et puis s’en va. Pourquoi dix ? « Je fais en moyenne un film tous les trois ans, ça fera donc trente ans de carrière. Je pense que c’est le temps durant lequel on peut rester au top. Je consacre toute mon énergie, tous mes efforts à mes créations. Elles sont ce qu’il y a de plus important dans ma vie, tout le reste est secondaire. Alors j’espère que je ne partirai pas sur la pente descendant­e, comme tous ces vieux cinéastes... Mais plutôt ici. » Il lève la main au- dessus de sa tête, en disant cela. « Je m’arrêterai juste ici, en en voulant encore un tout petit peu plus... » �

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néowestern­Kurt Russel et samuelL. Jackson dansLes Huit Salopardsq­ui sort en Francele 6 janvier 2016.

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