Vanity Fair (France)

Le Paradis retrouvé de ChristoPhe

Le chanteur, qui vient de sortir Les Vestiges du chaos, a fait de Tanger son refuge. CLÉMENTINE GOLDSZAL l’y a rejoint pour une balade poétique et lunaire.

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C’est un restaurant de plage au sud- ouest de Tanger. Un chemin de terre, un parking sommaire, une porte surplombée de l’inscriptio­n « Chez Abdou, Paella del Campo ». Comme à la Closerie des Lilas, la mythique brasserie du boulevard Montparnas­se où Christophe a ses quartiers, il y a des plateaux de fruits de mer chez Abdou. Et un piano aussi. Celui- ci est écaillé et désaccordé, mais pas besoin que ça brille pour que ça ait une âme. Au coin du feu, dans l’un des salons encombrés d’une décoration de bric et de broc, des photos du roi Mohammed VI aux murs, Christophe nous attend devant une assiette de calamars grillés et une autre, plus petite, où tiédissent des frites certifiées « meilleures qu’en Belgique ». Il sirote un thé à la menthe, son blouson à imprimé militaire jeté sur une épaule. La lumière, un clair- obscur enveloppé de mystère ; la pose, un trois- quart gracieux, le bras gauche nonchalamm­ent posé sur le dos de la chaise... Le chanteur a soigné son apparition pour notre première rencontre. La mise en scène est parfaite, digne d’un artiste qui, en cinquante- trois ans de carrière (depuis son tout premier 45- tours), a eu le temps d’étudier son meilleur profil. Abdou, le maître des lieux, 94 ans, la barbe blanche impeccable­ment taillée, fait visiter l’endroit où Mick Jagger a ses habitudes. Il a ouvert son restaurant, alors une modeste guinguette de plage, l’année où Christophe Bevilacqua apparaissa­it pour la première fois au public, en 1963. Quelques années auparavant, Jack Kerouac évoquait Tanger, « ville charmante, fraîche, délicieuse » ; William Burroughs y écrivait Le Festin nu, croisait Paul Bowles et Allen Ginsberg. Les Beatles y passèrent, Yves Saint Laurent s’y retira, Bob Dylan l’évoqua même en ouverture du mélancoliq­ue If You See Her, Say Hello, l’un des joyaux de son album Blood on the Tracks, paru en 1975. La bohème n’est plus ce qu’elle était, mais Christophe est de ceux qui peuvent converser avec les fantômes de folles nuits passées. À Paris, il hante le quartier de Montparnas­se, bien que dépossédé de son aura mythique ; depuis deux ans et demi, il a fait de Tanger sa deuxième maison. « J’y suis venu car je voulais me remettre à la peinture, se souvient-il. Je ne croyais pas que l’on pouvait tomber amoureux d’une ville. Et puis voilà. » En début d’après-midi, souvent seul, il se pose chez Abdou, face à la mer, pour prendre son petit déjeuner et somnoler sur la plage déserte. Sur le vieux piano dissonant, il joue en passant les premières mesures du prélude en do majeur de Bach. Son chauffeur, Sohayb, faux air de Freddie Mercury, blouson en cuir qui crisse, l’attend à deux pas, prêt à reprendre sa place au volant de sa vieille Mercedes 260 crème, avec ceintures de sécurité hors service et photo laminée du chanteur sur le tableau de bord. Rencontré « par hasard » il y a un peu plus de deux ans, Sohayb est ici le Sancho Panza (en plus loquace) de

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Christophe sur le toit du Salon Bleu, son QG pour le petit déjeuner.

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