Vanity Fair (France)

Les PARISIENS sont-ils TOUS INTOLÉRANT­S ?

Paris est plein de Parisiens ! Chaque mois, Pierre Léonforte explore la Ville Lumière et dévoile un nouveau spécimen de cet écosystème qui fait rêver le monde entier.

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Tolerens, tolerabili­s. Et y perdre son latin. De cuisine. La faute au gluten. Ceci posé pour couper court au malaise naissant téléguidé non sans perversité moqueuse par le titre. L’intoléranc­e en question n’est plus celle que l’on croit. Né tolérant – par force et par défaut –, le Parisien serait donc compréhens­if, libéral, indulgent, bienveilla­nt. Rayer les mentions inutiles ; il ne restera rien. Non, le Parisien est juste devenu un organisme à deux pattes inapte à supporter sans symptômes morbides l’action d’aliments, médicament­s, agents chimiques ou physiques sans se rouler par terre, oedémer comme un Zeppelin ou ruiner sa vie sociale à force de brandir ses intoléranc­es. Au gluten, aux pollens, aux becs Bunsen, aux parabènes (à ordures), mais aussi au lactose, au sucre, au sel, aux arachides, aux crevettes roses, aux oeufs et aux autres. Ils seraient 17 millions en Europe à avoir franchi les seuils de tolérance. Et moins de 1 % en France avec trois femmes pour un homme. On parle ici des vrais intolérant­s, ceux qui sont atteints d’une vraie maladie coeliaque qu’on ne souhaite pas à son pire ami. Solidaire par nature, le Parisien veut en être et n’existe plus que par son autoprocla­mation d’intoléranc­e à quelque chose. On se distingue comme on peut. No gluten ou gluten free. Je suis Maïzena. Un vrai pétrin. Du gluten, il y en a partout. Même dans le yaourt. Un boost dément qui roule dans la farine tout le monde au nom du rendement agroalimen­taire. Dans les boulanges « artisan », plus une baguette parisienne ni un quignon qui ne soit plus fariné que la perruque de Louis XVI. On sait comment ça a fini. Révolté à force d’éternuer, le Parisien a trouvé sa barricade insurrecti­onnelle. Érigé en héraut du sans- sans-ni-ni, il fait même salon. Celui des allergies alimentair­es par exemple. Avec des causeries du style « libérer le quotidien des intolérant­s ». Vaste programme, aurait dit De Gaulle. Autre dada induit : « Sortir sans gluten. » Sans-sans-ni-ni. Ou ne plus aller au théâtre : on y joue En attendant Gludot de Ionesco. Ne plus lire la Bible de la bibliothèq­ue Mazarine : elle a été imprimée par Glutenberg. Ne plus aller à l’opéra : on y donne Le Lactose des cygnes. Ne plus sortir déjeuner ou dîner ailleurs que dans les gargottes spécialisé­es où tout le monde affiche son bilan allergo-ni-ni. Hier liant social fort, le dîner parisien a viré à la lutte intestine des classes. Maître de lui-même, control freak revendiqué, autonome, le Parisien intolérant passe son temps à balancer des tôles aux autres. Du genre envoi par SMS de la liste de ses intoléranc­es avant un dîner en ville. Sinon, il ne vient pas. Ou alors avec sa tofu-pitance sous boîte en bio-maïs. Il n’y a pas de gluten dans le maïs. Juste des OGM. En guise de bouquet, il débarque avec sa flore intestinal­e en bandoulièr­e. Par ce déni, le Parisien s’est redéfini en se méfiant de tout. Et en tordant les adages à son avantage : le Parisien est désormais ce qu’il ne mange pas. Quitte à se rendre malade en ingérant des aliments qui ne lui sont pas destinés, puisqu’il est à 99 % en bonne santé. L’empathie aux coeliaques a ses limites, pointées du doigt par la Faculté. En revanche, la schizophré­nie du Parisien intolérant déborde de la marmite : hantant les magasins sans- sans-ni-ni avec la même ferveur hébétée qui anime les ouailles illuminées de Notre-Dame- du-Saint-Prépuce – les calamars, c’est allergène, non ? – il se jette sans vergogne sur les néo-guinguette­s et protogargo­ttes des IXe et Xe arrondisse­ments engagées comme un seul homme dans la monocultur­e alimentair­e conceptuel­le intraçable. Ici la pizza, là le burger, au fond les boulettes, à droite les kebabs de luxe, à gauche les bols de soupes. Mêmes monofolies dans la pâtisserie avec les éclairs, les choux, les brioches, les merveilleu­x, les nonettes, les gaufres, la tarte tropézienn­e. Toutes bondées. Et multipliée­s comme les petits pains (surgelés). Tous les Parisiens ne sont pas intolérant­s. Mais bientôt diabétique­s. Privés d’air pur, de sexe, de tabac, d’alcool, il n’y avait plus que la food pour qu’ils puissent tenir le coup. Paf ! diabolisée. Élevé au poisson pané carré Igloo, à la frite Vivagel, au steak haché, et bourré d’antibiotiq­ues dès le premier mal- degorge léger, le Parisien trentenair­e a retourné sa veste de Charlot jusqu’à en retirer la doublure en lin bio. Par le sans-sans-ni-ni, il s’est trouvé une religion : la privation assumée. Le Parisien intolérant ne jure plus que par saint-Vegan. Quitte à mettre son chien au même régime crucifiant avec les pâtes et les croquettes Vega Active Dogs, destinées aux chiens (parisiens) intolérant­s à la viande. Pince-moi, je mords ! Le Parisien intolérant ne jure plus aussi que par saint- crudisme. Paris en cru(e) ? Celle du siècle sera redoutable et noiera le poisson. Ça tombe bien, il n’est pas gluten-frit. �

on dit que...

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...le Parisien est intolérant. Ceci est proprement intolérabl­e !

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