« J’adore ses personnages de losers magnifiques »
La romancière Karine Tuil publie L’Insouciance. Un livre dans lequel on retrouve de nombreux thèmes chers à James Gray, son cinéaste préféré.
J« ’ai découvert l’oeuvre de James Gray avec La nuit nous appartient, sorti en 2007. J’ai tout de suite aimé ce film qui me rappelait ceux de .
Sidney Lumet Une histoire de gangsters, mais avec de l’émotion. J’ai été séduite par l’esthétique, le jeu sur les ombres et la lumière, les couleurs. Mais je dois avouer que j’aime aussi le cinéma de
pour de mauvaises raisons. James Gray En faisant des recherches sur lui – ce que je finis toujours par faire quand j’apprécie le travail d’un artiste – , j’ai trouvé beaucoup de similitudes avec ma propre expérience. C’est un fils d’immigrés juifs, qui ne vient pas d’une famille d’artistes, qui a dû s’imposer par lui-même. La question du déterminisme, des choix qui nous sont imposés, mais aussi l’idée de ne pas être à sa place, sont des thèmes très présents dans son oeuvre, en particulier dans La nuit nous appartient avec le personnage de
Joaquin , patron de Phoenix boîte de nuit, qui a pris ses distances avec sa famille de policiers. Ces obsessions imprègnent également mes livres. La confrontation des classes sociales se trouve au coeur de mon travail. Dans L’Insouciance, le personnage d’Osman, conseiller du président de la République, vient d’un milieu défavorisé ; Marion est une romancière issue d’une famille anarchiste et libertaire, mariée à un grand patron, François Vély, qui lui-même tente d’échapper à son destin identitaire mais se voit ramené à sa judéité.
L’univers de James Gray est intéressant pour un écrivain, car il fait une part importante à l’analyse psychologique. Dans ses films, il y a toujours une très forte dimension morale, quasi philosophique, un dilemme. Il s’est beaucoup inspiré de et des grands auteurs
Shakespeare russes. Et puis il y a la violence, palpable, physique. C’est aussi l’une de mes préoccupations principales depuis mon livre Douce France. La violence, celle de la guerre en Afghanistan, mais aussi celle des élites, irrigue L’Insouciance. Chez Gray, il peut s’agir des rapports de domination au sein de la famille, comme dans Two Lovers, où le héros doit choisir entre l’épouse que lui imposent ses parents et la femme qu’il aime, incarnée par
. Ce film m’a particuGwyneth Paltrow lièrement marquée. C’est une histoire de triangle amoureux assez classique, mais sans aucun manichéisme. L’amant torturé joué – encore – par Joaquin Phoenix m’a beaucoup inspirée pour celui de Samuel dans L’Invention de nos vies, mon précédent roman. J’adore ces personnages d’antihéros, de losers magnifiques. D’autant que James Gray sait préserver leur ambiguïté, une qualité trop rare au cinéma. Cela tient à sa façon de jouer avec les différents points de vue, ce que j’essaie de faire dans mes livres.
Enfin, c’est un réalisateur qui se nourrit beaucoup du travail d’autres artistes. Dans les entretiens, il cite fréquemment les peintres et Georges de La Tour Edward . Pour moi aussi, c’est détermiHopper nant. Des oeuvres d’art, comme les photos d’ ou de
Araki Mapplethorpe que j’évoque dans L’Insouciance, peuvent révéler et cristalliser les tensions d’une société. La littérature est aussi une affaire d’images. » —