Vanity Fair (France)

SquAttEuRS ?

Paris est plein de Parisiens ! Chaque mois, Pierre Léonforte explore la Ville Lumière et dévoile un nouveau spécimen de cet écosystème qui fait rêver le monde entier.

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Le Parisien est comme Martine. Capable de tout comme de partir en vacances et à la plage. Ayant passé l’année à voyager pour ses affaires, ses petites affaires et quelques breaks réclamés par un stress fonçant vers le burn out, le Parisien aborde la saison estivale en clamant haut et fort qu’il ne prendra pas de vacances. Non, il se mettra au vert. Il s’évadera dix-jours-pas-plusparce- qu’il- est- tout- seul- àl’agence- et- qu’il- croule- sousle-taf. Le Parisien n’ira pas loin non plus, prétextant la proximité en cas d’urgence, le taf, et tout le toutim. Chaque année, les gazettes bien intentionn­ées le culpabilis­ent en publiant les chiffres de ceux qui ne partiront pas – jeunes, vieux, pauvres, chômeurs, malades, grabataire­s, mineurs de fond, damnés de la terre, lumpenprol­étariat, cégétistes à moustache... heu, non, eux partiront pour célébrer les congés payés. Le Parisien n’en a cure. Pas concerné puisqu’il ne prend pas de vacances. Pour ses breaks au vert, il n’a rien réservé. Pas un hôtel, pas un dortoir, pas une tente de camping, rien, nada. Non qu’il enfourche son tandem et roule ma poule comme en 36, en short et sandalette­s. Non, le Parisien ne réserve rien, car il squatte. Chez des amis, des parents, des cousins, des relations. C’est bien connu : il n’aime rien tant qu’être reçu chez les autres. Cela va de la cousine antiboise à marraine-la-fée via la vague connaissan­ce bordelaise ayant pignon sur sable au Cap Ferret. Tout est bon, pourvu qu’il y ait une maison.

Si possible, le Parisien squatte au sud, sous la ligne de démarcatio­n courant de Menton aux Sables- d’Olonne, avec préférence pour la Corse, les environs d’Uzès ou de Montmirail. Ces amis, cette famille, il les aura ignorés pendant dix mois. À peine un SMS pour la bonne année, le même pour tout le monde. C’est en mai que le Parisien se souvient qu’ils existent. Les ponts, d’abord, puis le beau temps. Cette année, tintin ! Du coup, en bon poisson pilote, le Parisien a zappé les piqûres de rappel et s’est trouvé fort dépourvu au seuil de l’été. Malin, fourbe, il a bravement battu le rappel en invitant tout le monde à Paris pour les matchs de l’Euro, en faisant miroiter son pauvre pass VIP pour la fan zone. Polis, les amis, les cousins, les parents l’ont remercié. Monter à Paris avec tout ce foin, les grèves, les poubelles, les inondation­s, les embouteill­ages, Anne Hidalgo ? Merci bien, tu parles d’un cadeau. Mais, dis donc le Parisien, pourquoi tu ne viendrais pas chez nous voir les matchs sur écran plat 55 pouces avec cubi de rosé à la clé ?

Bingo ! Yesss ! Le Parisien est déjà dans le train. Une fois encore, il s’en sort. Ce qu’il ne sait pas, c’est que les amis, les cousins, les parents l’ont invité pour se payer sa fiole. Lui coller la misère, lui faire lécher les crampons, le priver de wi-fi. L’accueil déjà. Plus personne ne vient chercher un Parisien à la gare Saint-Charles de Marseille. Le logis ensuite. Au choix : la chambre d’enfant sans moustiquai­re mais intégrale de la maison de Barbie ou la studette médicalisé­e du papy qui a cassé sa pipe en février et qui est restée en l’état. Salle de bains à l’étage et baraque pleine d’ados hurlants à qui, bac avec mention oblige, on ne peut rien dire. Après le gîte, le couvert : au Parisien le pot commun. Et les courses à l’hyper – non, il n’y a pas de marché de Provence, on n’est pas encore tombé Front national. Idem pour la tambouille et la ratatouill­e. Plus la corvée de baby-sitting – on va chez nos amis, tu les connais pas, ils vont te raser. À ce régime-là, le Parisien squatteur aura déguerpi au bout de trois jours. L’agence, le taf, blabla. Feu de joie chez les amis, les cousins, etc.

Nonobstant, il existe un Parisien squatteur autrement plus vicieux, impossible à déloger une fois sur zone : le Parivincia­l. Soit le provincial monté à Paris pour travailler, brandissan­t en priorité absolue son droit du sol pour se ressourcer. Les temps étant ce qu’ils sont, l’attrait économique de la maison de famille devient un rite obligé. Quand bien même il n’a jamais payé une tuile ou la réparation du cumulus, et qu’il faut la partager avec frères, soeurs et toute la smala. C’est tellement important ce ressourcem­ent, tu sais. Cette baraque, d’ailleurs, je l’ai baptisée La Ressourcer­ie. Là, le Parivincia­l devient au mieux une aimable attraction locale, au pire une plaie. Plus il est au sud ou à l’ouest, plus il reprend un accent qu’il n’a jamais eu. Chaque matin, il se pique d’aller au café – c’est pour la connexion gratuite – pour y lire la presse locale, voir qui est mort et engager la conversati­on. Cuistre en diable, il en augmentera la portée sociable d’une dimension foncière quasi notariale. Et Bidule, il n’a toujours pas vendu ? Et Bitajnou, toujours en indivi ? Sinon, y aurait pas quelque chose à vendre dans les parages, du facile à vivre, calme, avec du charme et un jardin ? Si : la chapelle. Au cimetière. �

mise au Vert

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