Vanity Fair (France)

INVENTAIRE de LA GRÂCE

Le 6 mars, Christie’s met en vente la collection des meubles et objets Diego Giacometti appartenan­t à Hubert de Givenchy. Retour sur un certain passé.

- VIRGINIE MOUZAT

L’ un, issu de la montagne du canton des Grisons, ne lâchait jamais sa clope et arborait un chapeau constellé, comme ses mains, de taches de plâtre. L’autre, géant parisien épris d’élégance, incarnait un chic envié par les femmes d’un certain monde. Entre

Diego et Giacometti Hubert de

, la grâce faisait Givenchy trait d’union. Et la soie aussi. C’est

, desGustav Zumsteg sinateur des soies Abraham – puis leur propriétai­re – fournissan­t alors toutes les maisons les plus cotées dont Chanel, Balenciaga, Yves Saint Laurent et Givenchy, qui a oeuvré au rapprochem­ent entre l’artiste des Grisons et le dandy de l’avenue George-V. Car Zumsteg n’était pas qu’un marchand de tissus. Il vécut au contact des géants. Ses parents Hulda et Gottlieb, en ouvrant à Zurich le restaurant Kronenhall­e, offrirent d’abord refuge aux artistes fuyant le nazisme : Braque, Picasso, Chagall, Miró, Tàpies, Matisse, Chillida, Léger ou les frères Giacometti s’y retrouvère­nt. À l’instar de la Colombe d’or à Saint-Paul de Vence, le lieu était décoré d’oeuvres mais en 1966, Gustav Zumsteg, déjà à la tête du restaurant parental depuis quelques années, décide de renouveler le décor et commande à Diego Giacometti lampes, poignées de portes et guéridons. C’est après avoir offert à Hubert de Givenchy un de ses guéridons de Zurich – qui pourrait accomplir un tel geste aujourd’hui ? – que le couturier demande à Zumsteg de lui présenter Diego. De là, les commandes s’enchaînent. Directemen­t issues de l’atelier parisien de Diego pour la plupart d’entre elles, elles composent la vingtaine de meubles et objets vendus aux enchères chez Christie’s le 6 mars. Pour

, son président, « rien François de Ricqlès n’est plus intéressan­t de travailler sur une collection qui est également l’histoire d’une vie. Cela a été le cas avec les ventes d’Yves Saint Laurent, d’Hélène Rochas et maintenant celle d’Hubert de Givenchy. Ils ont marqué leur époque d’une sophistica­tion parisienne qui a fait date et qui possède aujourd’hui une valeur inestimabl­e. » En effet, cette vente événement conjugue une provenance sans taches (atout majeur car toutes les pièces Giacometti ne sont pas signées), un propriétai­re dont le pedigree n’est plus à prouver et la résonance avec un lifestyle crépuscula­ire que seuls quelques heureux du monde invoquent avec nostalgie.

, compaPhili­ppe Venet gnon depuis près de cinquante ans d’Hubert de Givenchy, me confiait récemment : « Vous savez, à cette époque, on habillait les femmes avec des tenues faites pour s’harmoniser avec leur salon. » Au début des années 1970, Hubert et Philippe acquièrent le château du Jonchet. Les travaux sont énormes. Le résultat oscille entre ascèse élégante de la pierre calcaire nue dans les grands salons ivoire et chambres bonbonnièr­es entièremen­t tendues de tissu Braquenié ou salle à manger tapissée de chinoiseri­es XVIIIe siècle. Ici, même le heurtoir de la porte d’entrée a été façonné par Diego Giacometti. Les chenets, photophore­s, tables basses, grandes tables octogonale­s, consoles, lanternes, sculptures...

également. Hubert, en accord avec Diego, y a fait percher des cariatides mais aussi des cerfs, des chiens, des oiseaux, en équilibre fragile sur les montants des meubles. Une extraordin­aire délicatess­e associée au bronze battu. Dans le parc, même les tombes de génération­s de chiens adorés par le couple Givenchy-Venet sont ornées de petites sculptures de Diego.

Hubert James Marcel Taffin de Givenchy vient de fêter ses 90 ans (le 20 février). Cette vente en annonce- t- elle d’autres, une dispersion de son patrimoine, une mise en ordre de ses affaires ? Peut- être. La vente aux enchères des collection­s de la milliardai­re américaine ,

Bunny Mellon grande amie du couturier, morte à 103 ans en mars 2014, elle-même grande collection­neuse de Giacometti, sonnait elle aussi le glas d’une certaine façon de vivre. Et ce temps-là vaut de l’or aujourd’hui. —

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