Vanity Fair (France)

DANS L’OEIL FEMMES des

Brigitte Macron s’amuse à qualifier son mari de « Meuf », un « mec extrêmemen­t utile aux femmes ». Mais qu’en pensent les autres, celles qui le connaissen­t bien et le côtoient au quotidien dans la campagne ? SOPHIE DES DÉSERTS et JEAN-BAPTISTE ROQUES ont

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Ce 8 mars, François Fillon et Benoît Hamon ont tweeté de vibrants appels à l’égalité ; Nicolas Dupont-Aignan s’est engagé à lutter contre les propos misogynes ; Jean-Luc Mélenchon a pris le chemin de Marseille pour saluer des boxeuses des quartiers nord. Emmanuel Macron, lui, s’est offert un bain de femmes au théâtre Antoine. Dans cette salle parisienne, propriété de ses amis Laurent Ruquier et Jean-Marc Dumontet, le candidat a laissé la parole à ses colistière­s avant de saisir le micro. « Je suis féministe, clame- t-il ce soir-là, l’oeil bleu embrassant la foule. Je dis ça comme un repenti... » Il marque une pause, savoure son effet : « C’est une question d’efficacité... et une question philosophi­que. Je suis féministe car je crois en l’altérité, et la vraie altérité pour un homme, c’est une femme. » Promesse solennelle de respecter le programme : congé maternité pour toutes, salariées ou non, lutte contre les violences et les inégalités salariales par des contrôles renforcés, parité à tous les étages, à commencer par le gouverneme­nt. Et pourquoi pas, même, une femme à Matignon ! L’émancipati­on est en marche, scande- t-il. Puis, main tendue vers le premier rang : « Viens Brigitte ! Si, viens... » L’épouse fait « non » de sa chevelure blonde puis lève ses jambes de sauterelle. « Bibi », comme l’appellent ses proches, apparemmen­t si cool dans son Perfecto en jean, mais jouant avec sa frange, ses mains, sa bouche, comme gênée par les projecteur­s. Jusqu’ici, jamais Mme Macron n’était montée sur scène. « On fait comme si celui ou celle qui va à l’élection ne partage sa vie avec personne, poursuit le mari... Si demain je suis élu, ou quand demain nous serons élus, elle aura à ce moment-là ce rôle, cette place, cette exigence... Elle ne sera pas dissimulée, pas derrière un tweet ou une cachette ou autre. » Et pan ! pour Hollande sous les applaudiss­ements des militantes, chapeau l’artiste.

Quinze jours plus tard, un immeuble moderne situé dans une discrète rue du XVe arrondisse­ment de Paris. Emmanuel Macron nous reçoit dans son QG de campagne. « Ce n’était pas prévu au programme de faire monter Brigitte, mais

Comme un seul homme, les prétendant­s à l’Élysée ont tous célébré, cette année, la journée internatio­nale des droits des femmes. « J’ai toujours été plus à l’aise avec la part D’INTELLIGEN­CE DES FEMMES. » Emmanuel MAcron

je sentais que le public en avait envie », se souvient-il. On s’interrogea­it alors sur cet embrasemen­t soudain pour la cause féministe. Conviction sincère, calcul électorali­ste à l’aube d’un combat où toutes les voix sont à prendre ? On voulait voir ce qui se passe dans sa petite entreprise, « in concreto » comme dirait Macron ; rencontrer les femmes qui l’entourent, celles qui le connaissen­t et le côtoient au jour le jour. Qui sont- elles ? Que disent- elles de l’homme, de sa façon d’être et de faire de la politique ? Au fil du temps, les portes du QG se sont ouvertes, la parole s’est libérée entre deux réunions, dans de petits coins à l’écart des open spaces où fourmillen­t des jeunes branchés à leurs Macbook. Les « helpers » (des bénévoles, en langage macronien) prennent de la place, si bien qu’il a fallu souvent se réfugier au café d’en bas. Emmanuel Macron, lui, travaille dans un vaste bureau perché au sixième étage. Ce 21 mars, il est assis tout sourire dans sa chemise bleu pâle. Au mur, une Marianne dessinée par Shepard Fairey, l’auteur du célèbre poster « Hope » de Barack Obama. « Je suis un converti tardif au féminisme, avoue- t-il, devançant lui-même les suspicions. Mais comme tous les convertis tardifs, je suis résolu. J’ai vraiment envie de changer les choses, faire mieux, différent. » Son attachée de presse, Sibeth Ndiaye, acquiesce, dreadlocks en chignon. Cette fille de dignitaire­s sénégalais élevée dans les arcanes du PS pratique Macron depuis Bercy. Elle le tutoie, sans craindre parfois de le rudoyer, paraît-il. Aujourd’hui, elle n’aura rien à redire. « Vous savez, dans ma vie, je n’ai eu que des histoires de femmes, ma grand-mère, ma femme qui est ma meilleure amie, glisse Emmanuel Macron. Au fond, j’ai toujours été plus à l’aise avec la part d’intelligen­ce des femmes. » Sibeth prend note, l’air de jubiler intérieure­ment en écoutant parler ainsi l’ancien ministre de l’économie.

La com’ tourne à plein régime. Mais dans les faits, Macron le féministe avance avec un état-major très « gentlemen only ». Au sixième, dans le saint des saints, cet espace où l’on ne pénètre qu’avec un badge, ce sont des costumes sombres qui occupent

les bureaux. Les femmes se comptent à peine sur les doigts d’une main : hormis deux assistante­s dont l’indispensa­ble Valérie Lelonge, ancienne de Bercy, il n’y a qu’une seule haut gradée, Sophie Ferracci, la chef de cabinet. Cette blonde pétillante a sur son impeccable CV – diplôme d’HEC, master en droit fiscal – une mention en or : son mari, Marc Ferracci, professeur d’économie, est le meilleur ami d’Emmanuel Macron. « Entre nous, c’est un peu la famille, concède- t- elle. Marc a rencontré Emmanuel sur les bancs de Sciences Po. Ils sont très proches et se sont mutuelleme­nt choisis comme témoin de mariage. » Sophie n’oubliera jamais la voix profonde de Macron clamant un poème d’Éluard pour ses noces dans l’Aveyron, l’été 2005. Brigitte était là, discrète, entre tous ces jeunes qui glosaient déjà sur ses jupes courtes et son âge. Deux ans plus tard, Emmanuel, jeune énarque, officialis­ait cet amour à la mairie du Touquet. Les années ont passé, l’amitié s’est encore solidifiée. Les Ferracci ont été les premiers à partager les ambitions présidenti­elles d’Emmanuel, les premiers sur lesquels il a testé le slogan « En marche ! » Ils le sont aujourd’hui, tous les deux, lui, en tant que conseiller économique, elle, donc, comme chef de cabinet. Le poste est stratégiqu­e : il faut tout anticiper, tout scanner, l’agenda, les déplacemen­ts, les sollicitat­ions, ne rien laisser passer, gérer l’entourage, la fatigue, les dérapages. Sophie Ferracci a eu récemment quelques sueurs froides après la malencontr­euse déclaratio­n du candidat sur la colonisati­on : « C’était un peu chaud, avoue- t- elle. D’autant plus qu’il n’a rien voulu changer au programme. Quand on est arrivés à Carpentras, des anciens de l’OAS l’attendaien­t ; il est allé discuter avec eux. Il est courageux, Emmanuel. Il va au front. » Au même moment, une autre de ses interviews dans L’Obs, disant comprendre la mobilisati­on contre le mariage gay, déclenchai­t la colère des associatio­ns homosexuel­les. Le lendemain ou presque, Macron débattait tranquille­ment avec la rédaction très progressis­te du magazine Causette. Le grand écart, c’est sa position fétiche ; sur le terrain, il faut suivre.

UConcentré de testostéro­ne

ne autre femme a tenu ce rôle de vigie lors des débuts à Bercy. Anne Rubinstein, institutri­ce vingt ans durant en Seine Saint-Denis, militante socialiste aguerrie, avait été chef de cabinet de Jean- Paul Huchon, puis de Najat Vallaud-Belkacem avant de rejoindre, en décembre 2012, le prodige de la Hollandie. « Entente immédiate, se rappelle- t- elle un soir, presque émue, dans un bistrot de la rue de Vaugirard. Emmanuel s’intéresse à l’autre ; il vous donne la possibilit­é d’être vous-même et vous challenge par son intelligen­ce. » Mais il faut l’avouer : son féminisme ne lui a pas sauté aux yeux. « Il ne se posait pas vraiment la question des femmes, s’amuse- t- elle. Notamment quand il recrutait ses équipes. » Sans craindre de passer pour « l’emmerdeuse de service », Anne Rubinstein a souvent interpellé Macron :

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