Vanity Fair (France)

L’HOMME QUI AIMAIT TROP FILLON

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Robert Bourgi a offert au candidat des Républicai­ns les fameux costumes qui ont précipité sa chute. Puis il est retourné en coulisses. Qui est cet étrange bienfaiteu­r ? À quel jeu joue-t-il ? A-t-il agi dans l’ombre de son vieil ami Nicolas Sarkozy ? SOPHIE DES DÉSERTS l’a écouté et mené l’enquête pour démêler l’écheveau de sa vérité.

L’ami Fillon ne répond plus. Ces premiers jours de mai, il a encore tenté de le joindre mais rien, toujours cette messagerie pénible au bout du fil et le muguet fané dans son bureau parisien de l’avenue Pierre-Ier- de-Serbie. « François est aux abonnés absents, se désole Robert Bourgi en cet après-midi pluvieux. Il a disparu, personne ne sait où il est. » La voix se traîne, onctueuse dans un parfum d’encens « rapporté de La Mecque », précise-t-il, soucieux des détails. Café serré, verbe délié, il suggère le tutoiement. L’air est un peu lourd dans cette pièce sans lumière chargée d’un demi- siècle de souvenirs : statues, bibelots, grigris d’Afrique et peintures d’Orient, photos des enfants et des présidents sur la cheminée – Jacques Chirac en bras de chemise vintage avec Bernadette, Nicolas Sarkozy tout sourire. Bourgi s’enfonce dans son fauteuil, poupon repu prêt à faire la sieste. Ses doigts caressent le tissu de sa veste. « C’est du Arnys, note-t-il, lèvres joueuses. Tout... même mes chaussette­s. » Bourgi répète à l’envi le nom de l’enseigne luxueuse désormais célèbre jusque dans les campagnes françaises, la griffe des fameux costumes qu’il a offerts à François Fillon. Ce fut le coup de grâce, comme le pensent les proches du candidat déchu. « Les costumes nous ont tués », dit sa communican­te Anne Méaux quelques jours après le premier tour de l’élection présidenti­elle. Sans eux, la campagne eut sans doute été différente ; Fillon commençait à surmonter le « Penelopega­te » quand, le 11 mars, Le Journal du dimanche a révélé l’existence de ces mystérieux cadeaux à plus de 40 000 euros. « Qui a payé les costumes de François Fillon ? » titrait alors le journal sans révéler l’identité du bienfaiteu­r. Il a fallu quatre jours à peine pour que Robert Bourgi, 72 ans, « Bob » pour les intimes, entre en scène. Son nom est sorti dans la presse, toujours associé aux mêmes termes – « Françafriq­ue », « porteur de valises », « intermédia­ire sulfureux » – tel un secret d’initiés, sans que l’on sache qui est réellement cet homme. Personne n’a cherché à comprendre quels liens réels l’unissent à François Fillon. Comment ce sphinx enrichi sous le soleil des Bongo, ce « bourricot », comme il s’appelle lui-même, roi de la diplomatie parallèle adoubé par Sarkozy, a-t-il pu approcher de si près le candidat de la droite ? « Toi, tu ne connais pas Robert Bourgi », m’a-t-il dit d’un rire gourmand lors de notre première rencontre. Il y en aura cinq autres, dans ce bureau où son épouse avocate, Catherine, passait quelquefoi­s une tête timide avant de se faire rabrouer. Il faut écouter longuement Bourgi pour comprendre, digérer toutes ces anecdotes romanesque­s qu’il balance sans filet, tenter de les recouper et aussi interroger ceux, nombreux, qui ont croisé sa route sinueuse – diplomates, journalist­es, politiques. L’un d’entre eux m’a soufflé un soir : « Méfiez-vous, Robert Bourgi, c’est de la nitroglycé­rine. »

Il a charmé Fillon au volant d’une Aston Martin. Ce printemps 2008, Bob fait chanter le moteur V12 biturbo de son bolide dans la cour de Matignon. Le premier ministre vient l’accueillir : « Décidément, tu ne te refuses rien... » Berluti aux pieds, Bourgi soulève le capot, s’incline fièrement. Qu’il est heureux de ce déjeuner de retrouvail­les. « Sacré François », il n’a pas tellement changé depuis leur rencontre en 1980 : toujours ce petit côté province, un peu envieux, un peu raide. Bourgi retrouve le « beau garçon timide » qu’il était, jeune attaché parlementa­ire

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