Vanity Fair (France)

HENRI LECLERC

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(Suite de lapage 61 « On se plie en quatre pour toi. On mobilise le ban et l’arrière-ban de la gauche intellectu­elle, jusqu’à Montand et Signoret, et tu nous refais un hold-up de merde ! » Seul son confrère Lévy est resté. Lui et Knobelspie­ss sont morts à trois semaines d’intervalle début 2017. « J’ai l’impression de durer entre les fantômes », écrit Leclerc.

En attendant, il donne un seul conseil aux jeunes avocats : « Faites comme vous sentez. Moi, avant de plaider, j’écris un plan, jamais de phrases entières. Le plan est un chemin pour la démonstrat­ion. Mais la parole reste libre. Au fil du temps, je me suis rendu compte que moins j’avais de notes, meilleur j’étais. Cela tombe bien puisqu’aujourd’hui, ma vue baisse. » Sa mémoire, en revanche, fonctionne aussi bien qu’à l’âge de 20 ans, même s’il ne peut renouveler devant moi la prouesse qu’il a réalisé, en 1982, à Aix- en-Provence. Au beau milieu de sa plaidoirie pour un Arménien qui a tenté d’assassiner un diplomate turc, il déclame tout d’un coup, sans omettre un seul vers, un poème de Victor Hugo, fort à propos, appris dans son enfance. « Le soir même, me dit-il, je l’avais oublié. C’est la tension de l’instant qui l’avait fait ressurgir. » L’ange, encore.

L’avocat est un comédien. Il a le droit de feindre. Henri Leclerc a défendu des violeurs, des salauds, des « monstres ». « Quand je ne suis pas convaincu de l’innocence, précise-t-il malgré tout, je plaide le doute. » Il se fait parfois avoir quand il croit aux dénégation­s de son client. « S’il est condamné, je rentre au cabinet, défait. “Mais enfin, Henri, disent mes associés, tu ne vas pas nous dire que tu le croyais innocent ?” Eh bien, oui, je l’ai cru. Au moins le temps de ma plaidoirie. » Mieux vaut absoudre mille coupables que condamner un innocent. Toute sa vie d’avocat est résumée là. Avec ses victoires, mais aussi ses illusions ou ses erreurs, sur lesquelles il ne s’étend pas : « Je les ai effacées. Souvent, de jeunes confrères m’appellent en sanglotant au téléphone – depuis que je suis vieux, je suis devenu le bureau des pleurs. Et puis huit jours plus tard, ils ont oublié leur échec et leur chagrin, comme nous tous avant eux. » Comme tous ceux qu’il croise de plus en plus souvent aux enterremen­ts. « C’est pour moi l’heure du couchant », me dit-il en citant Chateaubri­and.

Qu’a-t-il laissé derrière lui ? La vanité ? « Je n’ai accepté la légion d’honneur qu’après le procès Roman, sur l’instance de mon bâtonnier. » L’argent ? « Je n’en ai jamais manqué mais je n’ai pas fait fortune. » Une maison de campagne en Provence et un pavillon de banlieue (à Fresnes, connue pour sa maison d’arrêt) où il vit toujours avec la mère de ses deux filles. Le pouvoir ? « Si j’avais voulu, j’aurais pu y accéder sous Rocard. » La gloire ? Tout récemment, il s’est occupé d’un dossier de viol dont personne n’a entendu parler. Alors quoi ? « Toute ma vie, écrit-il à la dernière page de ses Mémoires, j’ai couru pour trouver une réponse à une seule question : c’est quoi, la justice ? ». « Cette quête ne peut avoir de fin », lui dis-je lorsqu’il me raccompagn­e à la porte. « Justement, l’idée d’arrêter m’est insupporta­ble », me répond-il en éclatant de rire. Et dans ce rire, il y avait, je le jure, un bruissemen­t d’ailes. �

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