Vanity Fair (France)

« AVANT, JE NE JURAIS QUE PAR BACH, BEETHOVEN ET LES BEATLES »

Le pionnier de la musique électroniq­ue, mélodiste hors pair et auteur de BO à succès évoque sa découverte, à l’adolescenc­e, de Claude Debussy, mort il y a cent ans.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE MENU

Quand j’étais enfant, un de mes oncles avait aménagé chez lui une pièce consacrée à sa collection de vinyles. Dès l’âge de 3 ans, j’y passais des heures. Vers 12 ou 13 ans, je suis tombé sur le Quatuor à cordes en sol mineur d’un certain Debussy, joué par le Quatuor de Budapest. J’ai été bouleversé. Qu’est- ce que c’était que cette musique ? Ça n’avait rien à voir avec tout ce que j’avais pu entendre jusque-là. J’étudiais déjà au conservato­ire : je ne jurais que par Bach, Beethoven et les Beatles. Mais Debussy a été un choc sans précédent pour moi.

C’est la dimension féminine de sa musique qui m’a parlé si profondéme­nt et qui me nourrit encore aujourd’hui. Il n’a jamais composé en fortissimo, il se situait à l’opposé de la virilité déchaînée d’un Beethoven. C’était cette manière de penser par couleurs, par lumières, en laissant des espaces, du silence, en suggérant une sorte de paix ou, du moins, un apaisement. C’est un lieu commun de le dire, mais il a été à la musique ce que Monet a été à la peinture : un impression­niste.

On prétend qu’il a nourri les BO du Hollywood de l’âge d’or et on peut deviner, notamment dans les scènes romantique­s de films des années 1930 ou 1940, quelque chose de coloré et de soyeux, des sons en sourdine, qui sonnent un peu comme du Debussy. Mais ayant moi-même souvent écrit pour le cinéma, je dirais que c’est plutôt Ravel, dont la musique est plus universell­e, plus facile à adapter avec une bonne technique, qu’ont imité les compositeu­rs hollywoodi­ens de cette époque. Pour la simple raison que l’écriture debussyste est quasi impossible à reproduire avec précision. J’ai souvent essayé et ça a toujours donné de mauvaises copies. Chez lui, rien n’est strictemen­t dérivé d’autre chose – même s’il empruntait à d’autres, forcément. Par ailleurs, je pense que, même s’il avait vécu assez longtemps pour travailler pour le cinéma, son ego était trop démesuré pour accepter que sa musique soit instrument­alisée dans un film ! Les “emprunts” de Debussy sont, selon moi, des relectures très personnell­es, jamais des citations littérales. C’était un grand curieux de nature, porté vers les cultures et les musiques indonésien­ne, chinoise ou japonaise que l’Europe découvrait à la fin du XIXe siècle. Dans certaines de ses pièces pour piano, on sent l’imprégnati­on de la musique pour gamelans, ces percussion­s javanaises que Debussy avait découverte­s lors de l’Exposition universell­e de Paris en 1889 – une expérience dont on dit qu’elle a fondé toute la musique du XXe siècle. Il collection­nait aussi l’art japonais et on sait que les travaux de peintres comme Hokusai ont influencé son écriture. En particulie­r celle de La Mer, son oeuvre peut- être la plus riche, écrite pour orchestre.

J’ai retenu de Debussy la quiétude que j’essaie d’instaurer dans mes compositio­ns, l’espace que j’aime ménager entre les notes. Ce sont des valeurs que l’on peut aussi trouver, d’une autre façon, dans la musique traditionn­elle japonaise. J’ai été sensible à ce Français qui est allé voir vers l’Asie comme j’ai moi-même été attiré par la France. L’ombre, le flux, les couleurs, c’est tout cela qu’il m’a apporté. Si on m’obligeait à choisir ma pièce préférée de Debussy, ce serait peut- être sa toute dernière, pour piano, Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon. Et aussi le deuxième mouvement de La Mer. » — Dis · play de Ryûichi Sakamoto. Le 4 mars au centre Pompidou (Metz), les 7 et 8 à la Maison du Japon (Paris), les 10 et 11 au festival Variations (Nantes).

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