Vanity Fair (France)

Valery Gergiev

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mai 1997 et Valery Gergiev répétait avec ses musiciens sous les combles du théâtre. Ma première image de lui ne fut donc pas celle du patron redouté de mille cinq cents salariés, mais celle d’un chef habité par la musique, sculptant le son de son orchestre, réalisant des alliages de timbres inouïs tout en traçant des perspectiv­es olympienne­s. Pendant trois jours, je l’avais suivi comme une ombre et écouté dans Parsifal de Wagner, la Suite Scythe de Prokoƒev et le Poème de l’extase de Scriabine, magnétisé par le mélange de rigueur et de passion caractéris­ant ses interpréta­tions, par cette puissance qu’il transmetta­it aux musiciens et qui semblait surgir des entrailles de la Terre. Puis, la nuit précédant mon départ, il s’était conƒé et tout s’était éclairé : sa véritable patrie n’était pas Moscou, où il avait vu le jour le 2 mai 1953, mais Vladikavka­z, capitale de l’Ossétie du Nord. C’était là, au coeur du Caucase, de ses torrents et de ses lacs de montagne, qu’il avait vécu de 3 à 19 ans, avant de rallier Leningrad. La nature sauvage et grandiose, les racines ossètes et scythes que trahissaie­nt ses traits de guerrier, c’était tout cela que j’entendais frémir, gronder comme une menace, puis déferler comme un raz- de-marée, quand il dirigeait son orchestre. À l’en croire, rien ne l’avait pourtant destiné à devenir une célébrité ni un meneur d’hommes. Enfant, il excellait en mathématiq­ues, préférait jouer au football que travailler son piano. Il fut même atterré lorsque son professeur lui prédit une carrière de chef : « Le seul que je connaissai­s avait plein de tics et faisait rire tout le monde. » À 14 ans, la mort brutale de son père avait précipité sa vocation et, après avoir endossé un temps les habits du chef de famille, il s’était préparé à diriger des musiciens au Conservato­ire de Leningrad. Entré au théâtre Kirov en 1977, en tant que chef d’orchestre stagiaire, il avait été l’assistant du directeur musical Yuri Temirkanov avant de prendre sa place en 1988. Il n’avait pas sa carte du Parti, ce qui était rédhibitoi­re pour exercer une fonction publique en Union soviétique, mais grâce à un vote du personnel, il avait ƒni par s’imposer. Lauréat du concours Karajan en 1977, il avait été invité à devenir l’assistant du chef autrichien, mais avait été contraint d’y renoncer. Il avait ƒni par intégrer l’interdit et s’était persuadé que, sans ses e£orts, trois cents ans de musique, d’architectu­re, de peinture et de littératur­e russes risquaient de disparaîtr­e. Les plus

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