Vanity Fair (France)

Acteur dans le nouveau musicien sous le nom de Childish Gambino, créateur de la série À 34 ans, Donald Glover brille sur tous les fronts de la culture pop.

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n essaim d’attachés de presse s’affaire prestement dans une chambre d’hôtel de Los Angeles. « Tout est compliqué de nos jours, vous ne trouvez pas ? Même la promotion, tout ça, c’est devenu super compliqué... » lance l’objet de toutes les attentions d’une voix de velours légèrement traînante. Donald Glover est confortabl­ement allongé sur un canapé. Barbe de jais, chemise sixties, pantalon à pince, mocassins Louboutin aux semelles rouges bien en évidence, l’acteur – mais on pourrait tout aussi bien dire le rappeur ou le showrunner – a la mise d’un chanteur soul d’une époque révolue et quelque chose d’un pacha. Comment reconnaîtr­e, dans cette allégorie de la paresse dandy, le touche-à- tout de génie hyperactif qui imprime sa patte sur tous les domaines qu’il investit, du cinéma à la musique, en passant par la télévision ?

En ce début de printemps, Glover assure la promotion de Solo: A Star Wars Story, nouvelle pièce de la saga la plus célèbre de la galaxie, centrée sur la jeunesse de Han Solo. Le film devrait, après une ascension progressiv­e, lui permettre de franchir un pallier dans sa carrière. Il y interprète Lando Calrissian, le grand ami du héros immortalis­é par Harrison Ford – et son futur Judas. Seul personnage noir de la première trilogie, Lando Calrissian fut, raconte Glover, « un personnage structuran­t de [son] enfance » à une époque où la science-fiction n’était pas un genre très accueillan­t pour les Afro-Américains.

De cette jeunesse passée en Géorgie, près d’Atlanta, dans une famille à l’abri du besoin mais très pieuse (ses parents sont Témoins de Jéhovah), il garde un souvenir de bonheur frugal : « N’ayant pas à accès à des tonnes de choses, je cherchais à tirer le maximum de plaisir de chacune, se souvient-il. Par exemple, mes parents m’ont offert un Walkman à 5 ou 6 ans et j’ai écouté la cassette de Bernard et Bianca [The Rescuers] jusqu’à la flinguer. » Puis il ajoute, sur le ton de la confession : « Mon éducation religieuse fait qu’aujourd’hui encore, dès que je ressens ce genre de plaisir, j’ai inconsciem­ment tendance à m’en méfier. » lève brillant, passionné par la comédie et le stand- up, il part étudier à la prestigieu­se New York University, section arts dramatique­s. Il use toujours les bancs de la fac lorsqu’il décroche, sur la foi d’un hilarant « spec script » des Simpson (un faux épisode pour montrer de quoi on est capable), son premier boulot : scénariste pour 30 Rock, la série de Tina Fey sur les coulisses d’une émission comique. Il y apprend l’écriture aux côtés des meilleurs, mais trois ans plus tard, c’est comme acteur qu’il atterrit sur le plateau d’une autre série appelée à devenir culte, Community, où il joue un étudiant passé de quaterback à nerd – soit la plus grande dégringola­de possible dans une faculté lambda américaine.

Mine de rien, il brise là une convention qui veut que seuls les Blancs s’intéressen­t à la culture geek et parfait sa parure de caméléon capable de passer sans effort apparent d’un univers à un autre. Mieux, d’un mode d’expression à un autre. « Dans mon travail, j’aime explorer un tas de choses, mais pas juste pour dire : “Eh, je l’ai fait.” Non, j’ai besoin de comprendre le contexte, l’air du temps, ce qui est cool ou pas. Pour pouvoir, moi aussi, participer à la conversati­on », explique- t- il, soudain très investi. Après quelques mixtapes distribuée­s gratuiteme­nt, Donald Glover sort en 2011 son premier album, Camp, sous le pseudonyme Childish Gambino, trouvé grâce à un générateur de noms inspirés du Wu-Tang Clan.

Sa musique, qui évoque autant la soul suave de Marvin Gaye que l’agressive trap de sa ville d’Atlanta (variante très minimalist­e du hip-hop, qui domine actuelleme­nt le genre), raconte l’air du temps à travers les paradoxes d’Internet et de la notoriété. « Everything you won’t say, you tweet it » (tout ce que tu ne dis pas, tu le tweetes), chante- t-il dans III. Telegraph Ave. sur l’album Because the Internet en 2013, résumant toute l’incommunic­abilité de l’époque en un vers. En 2016, son

« Dès que je ressens du plaisir, j’ai tendance à m’en méfier. »

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