Vanity Fair (France)

Le fils des Méric est mort, assassiné par un néonazi. Celui des Bernanos est en prison, condamné pour l’incendie d’une voiture de police. CLAUDE ASKOLOVITC­H a rencontré ces familles que le destin de leurs enfants a bouleversé­es puis rapprochée­s.

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n nous raconte que nos enfants nous seront fidèles et prendront notre relève. Parfois, les adultes n’ont pas d’autre choix que de poursuivre leurs enfants et de mener leurs combats en leur absence. Agnès Méric m’a confié ceci : quand avec ses amis, défenseurs des sans-papiers dans le Gers, elle procure des documents à un de ces migrants dont la France ne veut guère, elle dédie cette victoire à Clément, son fils qu’un skinhead néonazi a tué le 5 juin 2013 à Paris. Je lui ai demandé si elle parlait toujours à Clément, cinq ans plus tard, et si c’était pour lui qu’elle militait désormais. Sa voix s’est perdue un instant, puis elle s’est reprise : elle ne voulait pas me complaire en anecdotes. Elle m’a parlé alors d’une amie italienne dont le fils s’appelait Carlo Giuliani : un carabinier l’a exécuté, à bout portant, dans des émeutes altermondi­alistes à Gênes le 20 juillet 2001. Carlo, comme Clément, voulait radicaleme­nt changer le monde et, comme lui, il en est mort. « Haidi Giuliani a dit qu’elle se battait pour les idéaux de son fils et que seul le combat méritait que l’on parle, que la tristesse et le deuil ne relevaient que de l’intime », m’a dit Agnès. Ai-je bien compris ? Ce qui suit est donc une histoire politique ; elle n’en est que plus humaine.

J’ai rencontré Agnès et Paul-Henri Méric dans leur maison près d’Auch, où les réclames nous invitent au foie gras. Dans une rémission de l’hiver, nous étions quatre adultes à déjeuner, renversant du vin et savourant du canard que n’aurait pas goûté Clément – il était vegan. Il y avait les Méric et aussi Geneviève Bernanos, dont le fils Antonin est en prison, condamné à l’automne 2017 à trois ans de détention ferme pour une agression de policiers au printemps 2016. Nous parlions politique. Ils préparaien­t des textes, un appel européen de mères de « victimes du fascisme et de la répression ». Les mères voudraient le lancer à la fin du mois de mai. Je leur disais que leur texte était sec, un véritable tract. Ils en convenaien­t, mais justement, il ne s’agissait pas de faire du style. Ils m’invitaient à leur amitié de parents éprouvés et me demandaien­t de la comprendre. J’aurais pu m’étonner de trouver ensemble la mère d’un condamné et les parents d’une victime ? Antonin Bernanos, pour la justice, avait provoqué l’incendie d’une voiture de police et cette image avait tétanisé le pays. Il était l’incarnatio­n de la nouvelle menace, les radicaux masqués, casseurs, ennemis de l’État et de ses défenseurs. Clément, à sa mort, avait lui ranimé un vieux réflexe de nos démocratie­s, effarées de voir que le fascisme – un nazillon de 20 ans – pouvait encore tuer un étudiant rieur. C’était il y a cinq ans, un autre monde déjà. L’ennemi et le martyr ? Foutaises !

Clément et Antonin étaient amis et frères dans la vie, dans un groupe militant, l’Action antifascis­te Paris-banlieue, « l’AFA », en tête dans les contestati­ons radicales. Clément et Antonin

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