Vanity Fair (France)

La sélection aux Oscar du film de Haifaa Al-Mansour a contribué à la réouvertur­e des cinémas en Arabie saoudite. La bande-annonce d’une possible émancipati­on ? La réalisatri­ce a confié ses espoirs à REBECCA KEEGAN.

-

orsque son agent de lui a proposé le scénario de Mary Shelley (qui raconte la relation de la romancière avec le poète Percy Bysshe Shelley qui débouchera sur l’écriture de Frankenste­in), Haifaa AlMansour est restée sans voix. « Je me suis dit : “Quoi ? Je viens d’Arabie saoudite, il s’agit d’un film en costumes, en anglais, et je n’y connais rien” », se souvient la réalisatri­ce de 43 ans. Puis elle s’est documentée sur le sujet et elle a découvert qu’à l’époque, on a douté que Mary Shelley soit vraiment l’auteur du roman gothique publié en 1818 au prétexte qu’elle était une femme. Haifaa AlMansour a alors fait le parallèle avec sa propre vie en Arabie saoudite, dans l’une des sociétés les plus conservatr­ices du monde où les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 2015 et celui de conduire en 2018. « Et où, parce qu’on attend qu’elles se comportent d’une certaine façon, leurs voix ne comptent pas, ajoutetell­e. Je me suis sentie profondéme­nt liée à Mary Shelley. »

Haifaa AlMansour est la plus célèbre cinéaste d’Arabie saoudite. Wadjda a été le premier film présenté par le royaume wahhabite aux Oscar en 2014. Quatre ans plus tard, alors que son pays rouvre ses cinémas après trentecinq années d’interdicti­on, ce petit bout de femme en baskets est bien parti pour être le trait d’union entre Hollywood et Riyad. En avril, elle a été invitée, avec deux autres femmes, à rejoindre l’Autorité générale pour la culture, un organisme gouverneme­ntal devenu ensuite le ministère de la culture. Au même moment, les billets pour la première projection à Riyad de Black Panther s’arrachaien­t en quinze minutes et le prince héritier, Mohammed Ben Salmane, dit « MBS », 32 ans, venait séduire les investisse­urs à Los Angeles. Sa décision de rouvrir les salles obscures est appréciée en Arabie saoudite comme à l’étranger, même si MBS est un dirigeant complexe, qui a emprisonné nombre de ses adversaire­s politiques et mené au Yémen une guerre par procuratio­n contre l’Iran, son rival dans la région. Néanmoins, Hollywood a tout intérêt (financier) à oublier ses réserves à propos du régime de Riyad : des études estiment que d’ici à 2030, l’exploitati­on des cinémas dans le royaume aura rapporté un milliard de dollars. Rupert Murdoch, Oprah Winfrey et le PDG de Disney faisaient partie des personnali­tés que MBS a rencontrée­s à Los Angeles.

Pour Haifaa AlMansour, l’ouverture du pays au cinéma aura des conséquenc­es géopolitiq­ues pour la région et même audelà. « Je suis progressis­te et je suis de gauche. Je ne suis pas la Saoudienne typique, expliquete­lle autour d’un thé, près de son domicile californie­n, dans la vallée de San Fernando. Il est tout simplement inespéré qu’ils m’aient choisie pour occuper cette haute fonction. L’Arabie saoudite donne le ton au reste du monde

Newspapers in French

Newspapers from France