Douces protest songs de Cat Power.
lus de dix ans ont passé depuis The Greatest, mais la voix de Chan Marshall est bien la même, belle et reconnaissable en dépit des caprices de la liaison téléphonique, en dépit des perturbations de la vie aussi. Sur Wanderer, son dixième album, l’icône la plus gracieuse de l’indie rock renoue avec l’essence du songwriting américain et la tradition de la protest song, mais en pratiquant l’art du contrepoint : c’est d’un timbre apaisé qu’elle chante ses textes abrasifs. Avez-vous toujours été une rer », « wande- comme ces troubadours folks auxquels vous faites référence ? C’est une prise de conscience. J’ai fréquenté treize écoles en dix ans pendant mon enfance, voyagé constamment dès mes 20 ans. Toute ma vie j’ai mené une quête de la beauté et de la vérité, comme tant d’artistes et d’êtres humains. Je ne sais pas si l’humanité connaîtra un jour véritablement quoi que ce soit ou si moi je trouverai ce que je recherche : ce son qui englobe tout. Sur cet album, j’ai souhaité être très précise dans la composition et me protéger en choisissant la simplicité. Vous chantez être « enfin libre ». Quinze ans après l’album You Are Free, en quoi l’êtes-vous plus aujourd’hui ? J’ai appris à être heureuse et en bonne santé, j’ai un emploi, un magnifique petit garçon, je suis reconnaissante. Dès que j’ai commencé à écrire de la poésie, la liberté et la haine qui ronge notre société m’ont inspirée. J’ai grandi à Atlanta, ma meilleure amie était afro- américaine. J’ignorais qu’il existait une différence entre nous avant ce premier jour d’école où des enfants de notre âge l’ont entourée et agressée. Ce fut un traumatisme. À plusieurs reprises, comme sur la chanson In Your Face, vous semblez adresser vos missives à Trump… Oui, comme à beaucoup de personnalités criminelles ou hideuses. L’humanité s’élève par l’information, la méditation, le savoir, mais jamais elle n’aura su se débarrasser de ses individus diaboliques. Toutefois, cet album n’est pas plus politique que les autres, j’ai toujours chanté ce qui me peine. Aux États-Unis, il a longtemps été impossible de débattre comme aujourd’hui sur notre société. C’est pourquoi mes premières compositions étaient si enragées, mais à l’époque on m’a souvent répliqué que j’étais folle. Sur le titre Woman, où vous invitez Lana Del Rey, vous chantez le pouvoir éman- cipateur de l’argent pour une femme… Cette chanson, c’est ce que je suis. Depuis mes 17 ans, j’ai toujours pris soin de moi et payé mes factures en étant fière, quel que soit mon travail. Je veux rester libre de n’appartenir à aucune entreprise et à aucun homme. Certains pensent que les femmes sont des objets qui doivent être absorbés, possédés, exhibés. On ne peut pas m’acheter. C’est pourquoi je chante « My money is my weapon ». Les tournées éreintent beaucoup de musiciens, sont- elles toujours une joie pour vous ? Après 25 ans passés sur la route, ce mode de vie est indissociable de mon existence. Au lycée, je voulais être journaliste de guerre pour expérimenter la vérité du monde. En étant musicienne, j’ai reçu tant d’informations, du langage à la nature, des comportements humains au goût de l’eau qui diffère selon les endroits... Tout me nourrit. J’aime aussi cette étrange transaction avec le public. C’est une énergie très puissante qui se dilate hors de la salle, de la ville, de la planète, comme si nous grandissions ensemble.
« Mes premiers morceaux étaient enragés, mais à l’époque, on m’a souvent répliqué que j’étais folle. »