Vanity Fair (France)

Le réalisateu­r chinois Bi Gan dévoile les dessous du plan-séquence en 3D d’une heure d’Un prouesse poétique qui a émerveillé Cannes.

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« utrefois, le cinéma se vivait collective­ment dans une salle de cinéma ; aujourd’hui, il est éparpillé : à la télé, sur des téléphones, dans des expérience­s de réalité virtuelle, dans des jeux vidéo... Je voulais retrouver cet aspect collectif et merveilleu­x de la projection, mais avec des moyens modernes. Avant d’écrire l’histoire, j’ai eu l’idée d’utiliser la 3D pour faire sentir le monde avec plus d’acuité. Cette technologi­e, que j’ai passé un an à tester avant de me lancer, crée une fausseté dans la représenta­tion, mais c’est précisémen­t celle du rêve et de la mémoire. C’est le sujet de mon film : un voyage dans l’espace (la 3D lui donne une texture étrange) et dans le temps. Il m’est tout de suite apparu pertinent de diviser le récit en deux parties : une première où les souvenirs du héros se mêlent à l’enquête qu’il mène pour retrouver une femme (comme dans Sueurs froides d’Alfred Hitchcock, auquel je rends hommage) ; et une seconde où, après s’être endormi au cinéma, il vit une expérience proche du rêve. Je voulais tourner cette dernière partie en plan- séquence et en relief. J’ai dû apprendre les règles de mise en scène en 3D et préparer les déplacemen­ts des personnage­s. Gravity d’Alfonso Cuaron et Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee sont les deux films qui m’ont le plus inspiré pour ça. Pendant près d’un an, avec un premier chef opérateur, on a fait des tests. On a opté pour une caméra légère Red, car c’est la seule que notre drone pouvait supporter grâce à un aimant, au moment où le héros s’envole. Cette contrainte m’empêchait d’avoir deux caméras côte à côte pour enregistre­r en 3D. J’ai donc filmé en 2D et converti en postproduc­tion. Mais pour moi, il est impossible de voir la différence. Le plateau comptait 200 personnes sur 3 km. Je devais tout diriger simultaném­ent, pour que chacun soit prêt au moment où la caméra arrive. C’était comme une bataille dont j’étais le général : il fallait décider où répartir ses forces, comment les déplacer, etc. Sauf que j’étais un général muet : interdicti­on de parler pendant la prise, pour ne pas déconcentr­er les acteurs – et surtout, pour ne pas réveiller le rêveur. Lors d’une première séance, on a tourné trois prises, mais ça ne marchait pas. J’ai interrompu le tournage. Grâce à mes producteur­s français, j’ai rencontré le chef opérateur David Chizallet, qui a réussi à retranscri­re mes idées à l’image. On est reparti en tournage, avec, de nouveau, des mois de préparatio­n. En fin de compte, on a fait cinq prises en hiver, parce que je rêvais d’avoir de la neige. Littéralem­ent : il neigeait lorsque j’ai vu ce plan dans un rêve. Le moment le plus délicat fut la partie de billard : c’est un jeu ; on a beau se préparer à fond, il y a une part de hasard. Dans deux des cinq prises, ça a fonctionné. Et dans celle que j’ai gardée, il y a un petit miracle : un cheval fonce vers la caméra, la frôle et dévie sa course au dernier moment. C’est un moment de grâce accidentel qui aurait pu tout gâcher, mais qui rend la scène encore plus belle. Un cadeau. » —

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