PROMOUVOIR
Selon Emmanuel Pierrat, Promouvoir est déjà dépassée : « les modes de censure et de moralisation ne sont plus les mêmes. Lorsqu’on est choqué par un propos ou une image, on lance une pétition sur change.org, on s’exprime sur Twitter ou sur Facebook. Face à l’émoi général, les gens reculent et s’excusent. Plus personne ne saisit la justice ; l’agit-prop portée par les réseaux sociaux est bien plus ecace. Or, Bonnet a commencé avant Internet et a poursuivi sur sa ligne tandis qu’autour de lui le monde changeait, à la fois dans la diusion des images qui lui posent problème et dans le mode d’action pour s’y opposer. » Pierrat vient de publier Nouvelles Morales, nouvelles Censures chez Gallimard, un essai dans lequel il décrit ces inquiétantes ligues de vertu qui contournent le droit pour mieux faire condamner l’oeuvre ou l’artiste au « tribunal du tweet ». Après avoir été piraté, Promouvoir n’a pas jugé important de se reconstruire un site web. Elle n’a jamais monté de rassemblements ou tenté d’occuper des cinémas. Même sur Internet, personne n’a pu mesurer ce que représente l’association. Elle revendique 350 à 400 membres. Le chire est invériable et pour certains, l’avocat varois serait plus isolé qu’il ne l’arme.
Ainsi, là-bas, dans la tête d’André Bonnet, le monde s’écroule. Face à cela, en une vingtaine d’années, il aura réussi à faire annuler des visas de cinéma : « Concrètement, qu’en reste- t-il ? Sur le plan personnel, il est clair que cela m’a coûté une bonne partie de ma carrière. On m’a retardé dans mes promotions ou écarté purement et simplement de certaines fonctions importantes. Je me dis parfois que le prix à payer a été bien lourd en regard du résultat, qui n’est toujours pas décisif à ce jour, même si l’action de l’association a eu de vrais eets, dans la durée », veut-il croire encore. Puis il ajoute vaguement mélancolique : « Il est vrai que Promouvoir n’avait pas d’autre vocation que de faire naître une jurisprudence de qualité. Peut- être ai-je pensé, quelque peu “déformé” par ma formation, que la justice pouvait avoir plus d’impact qu’elle n’en a. Quelles que puissent être les décisions obtenues en justice, elles ne peuvent sure si les mesures nécessaires ne sont pas prises à la tête de l’État. Or elles ne le sont toujours pas. » Le plus étonnant dans cette invraisemblable saga, c’est qu’au bout de deux décennies, Promouvoir continue de croire que la décadence germe dans des lms d’Abdellatif Kechiche ou de Lars von Trier et s’entête à lutter contre une commission de classication, tandis qu’un ¨euve hardcore se déverse sans aucune digue à travers la bre. « Internet sera la prochaine étape. J’espère qu’un autre avocat s’en chargera, cone le juriste, qui admet une certaine fatigue. Mais avant cela, il faut aller au bout de la question de la classication au cinéma. »
Avant de me quitter, André Bonnet promet : « Il y aura certainement d’autres actions de Promouvoir. Oui, il y aura d’autres actions. » Je le regarde s’éloigner dans la lumière du midi. Hier, il m’a envoyé par mail l’un de ses poèmes intitulé Notre vie est un rêve, mort aussitôt que né. Il date de janvier 2016 et se termine ainsi : « Fasse le ciel qu’avant de parvenir au bout,/ Je puisse voir enn, dans les souvenirs d’hier,/ La promesse cachée, et pourquoi être er/ De n’avoir pas failli, d’être resté debout. »
Depuis 1801, le tribunal de grande instance de Carpentras occupe l’ancien palais épiscopal. Sur la place Charlesde-Gaulle, sa façade embrasse la cathédrale et son fronton, frappé de la devise « liberté, égalité, fraternité ». Il me semble qu’André Bonnet est précisément né là. Dans un maelström français où se mêlent le passé et le présent, l’art, la justice et la foi. La robe de l’avocat, m’a appris Emmanuel Pierrat, est un héritage des soutanes. Ses trente- trois boutons symbolisent l’âge du Christ à sa mort. Au pied du tribunal, un panneau relate une anecdote : le 23 août 1694, Mgr Buti écrit au pape Innocent XII pour se plaindre des jeunes gens qui jouent au ballon sur la place. Il s’indigne que les religieuses puissent « non seulement entendre les paroles licencieuses, obscènes et sacrilèges des joueurs, mais en outre les voir jouer presque entièrement dépouillés de vêtements ». Le vice-légat nit par interdire le jeu de ballon sous peine d’une amende de 100 écus. C’était il y a plus de trois siècles. ¸