Vanity Fair (France)

Le réalisateu­r argentin Mariano Llinas retrace la genèse de film de quatorze heures qui prétend réunir toutes les fictions possibles.

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« u départ, je voulais travailler avec les quatre actrices que j’avais découverte­s dans une pièce de théâtre intitulée Petroleo vers 2006. Le théâtre indépendan­t argentin est d’une vigueur sans égal et le découvrir a été un choc pour moi. Ébloui par leur talent, j’avais envie de faire un maximum de films dans un maximum de genres différents avec elles pour montrer toutes leurs facettes. Le déclic fut l’idée de réunir tous ces films en un seul : une oeuvre totale comportant toutes les fictions possibles où elles changeraie­nt de rôle à chaque fois et qui résumerait l’histoire du cinéma. Le dessin de l’affiche a surgi dans ma tête. J’étais aux Canaries, dans un festival en 2009, pour montrer mon film précédent, Historias Extraordin­arias [qui faisait déjà quatre heures] et soudain, face à la mer, la révélation : quatre flèches vers le haut pour quatre films sans fin, un cercle pour un film avec un début et une fin et une flèche vers le bas pour un film sans début avec une fin. Six épisodes liés par un quatuor d’actrices. L’une d’entre elles a trouvé que ça ressemblai­t à une fleur et c’est ainsi que le projet s’est appelé La Flor. On l’a oublié, mais le cinéma est né ainsi, par des schémas très simples de Thomas Edison.

Il nous a fallu dix ans pour achever le film – pas à plein temps, évidemment : je donne des cours à l’université, j’écris des scénarios de films commerciau­x et je travaille pour mon collectif de production El Pampero ; les filles ont joué dans d’autres films et pièces ; les technicien­s ont participé à d’autres projets... Nous tournions quand nous pouvions, dès qu’un peu d’argent était réuni et que les agendas s’accordaien­t. De façon artisanale. De même, le scénario n’a pas été écrit d’un bloc, mais au fur et à mesure. Il était très précis pour ce qui est des dialogues – je déteste l’improvisat­ion et le naturalism­e –, mais les histoires se sont écrites les unes après les autres. Ma première idée a été de tourner un petit film de genre, une série B autour d’une momie atterrissa­nt dans un laboratoir­e. Puis un mélodrame musical. Puis un film d’espionnage, le troisième épisode, qui dure cinq heures et qui a occupé la majorité de notre temps de 2011 à fin 2017. Les trois épisodes suivants ont été très rapides à écrire comme à tourner.

On me demande souvent si je rends hommage à tel cinéaste ou écrivain ou peintre, mais je n’aime pas ce terme. Un cinéaste ne rend pas hommage – les hommes politiques le font quand ils inaugurent une plaque commémorat­ive ; les cinéastes, eux, s’approprien­t. Ainsi, le cinquième épisode n’est pas un « hommage » à Renoir : j’ai refait Une partie de campagne à ma manière. Il n’y a rien de conceptuel là- dedans ; c’est d’abord un jeu. J’envisage la fiction comme une fête. Mon père était un écrivain surréalist­e et j’ai hérité ça de lui. Je ne crois pas non plus à la théorie des auteurs. À mon sens, ce sont les filles qui ont fait le film et moi, je n’étais qu’un instrument. Je ne suis pas plus auteur qu’elles. La caméra aussi l’est : on ne le dit pas assez, mais ce n’est pas une machine neutre.

En fin de compte, j’étais surpris que le film dure quatorze heures. Je ne l’avais pas imaginé au départ, mais c’était nécessaire : il faut sentir le passage du temps. » —

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