Vanity Fair (France)

DE TOUTE URGENCE

Le Grand vertige, le très attendu nouveau livre de Pierre Ducrozet, tient sa promesse : à mi- chemin entre roman d’espionnage haletant et pamphlet anthropocè­ne.

- Texte John Jefferson Selve

Prix de Flore 2017 pour L’Invention des corps, roman critique sur le transhuman­isme californie­n, Pierre Ducrozet revient avec Le Grand Vertige, épopée anthropocè­ne foisonnant­e. Et rarement livre aura porté si bien son titre : il y a un effet de tournis à la lecture de sa cavalcade échevelée. Pierre Ducrozet saute de constats écologique­s en corps amoureux, d’exploratio­n de la faune et de la flore mondiale en analyse politique. Sa seule volonté : dire la métropolis­ation des esprits. Cela pourrait ne pas fonctionne­r mais voilà : plus son écriture foisonne, s’agite, et mieux nous respirons. Comme vivifiés, irrigués par les méandres du monde. Gilles Deleuze affirmait autrefois : « Sur les lignes de fuite, il ne peut plus y avoir qu’une chose, l’expériment­ation-vie. » C’est exactement ce que va appliquer le personnage du Grand Vertige, Adam Tobias, pionnier de la pensée écologique, à toute une équipe de jeunes gens hors norme. Il va les envoyer sur ce que l’on nomme en écologie « la zone critique », cette peau du monde que l’on ne sait toujours pas décrypter.

À la tête d’une commission internatio­nale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel, il catapulte ses jeunes disciples sur toute la planète, de l’Europe à la jungle birmane, de l’Amazonie à Shanghai. Toute la puissance du roman tient alors dans la façon dont Ducrozet va faire entrer en combustion les feux existentie­ls de notre époque avec la géopolitiq­ue contempora­ine. Sans aucun idéalisme mais avec la volonté de penser d’autres liens qui nous rattachera­ient au monde. Une pensée du vivant qui n’ignorerait ni les animaux ni le biotope végétal.

L’auteur a le talent de la descriptio­n pour nommer ce que l’on ne sait plus voir, qu’il s’agisse de dire la disparitio­n du monde en cours ou sa splendeur. Les enjeux du livre sont nombreux. Ils passent parfois trop vite (ainsi le passage à l’acte du réseau Télémaque, ce groupuscul­e d’action que monte Tobias, un peu expédié). Mais cette précipitat­ion participe de l’urgence du livre à arpenter cette longue ligne de crête qui nous sépare (mais pour combien de temps ?) de la catastroph­e définitive.

Le Grand Vertige de Pierre Ducrozet (Actes Sud).

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