Vanity Fair (France)

LE RÔLE DE SA VIE

Consacré par la série Dix pour cent, Nicolas Maury se met à nu dans Garçon chiffon, beau premier film dont il est le décor autant que le héros.

- Texte Toma Clarac

Insoupçonn­able dualité du chiffon : pièce de linge usagée utilisée pour les tâches ménagères en français, le terme a une autre résonance en anglais, où il désigne une gaze de soie qui sublime robes de soirée et lingerie fine, gage d’élégance à la transparen­ce trouble et l’érotisme subtil. Ce double sens en dit long sur Jérémie, le héros de Garçon chiffon, premier film de Nicolas Maury comme réalisateu­r.

Jérémie est chiffon parce qu’il est abîmé, fatigué, au bord du délitement ; Jérémie est chiffon parce qu’il est capricieux, délicat, égocentré. Il a des raisons d’être froissé : sa jalousie maladive est en passe d’éloigner l’homme qu’il aime, sa carrière d’acteur est en panne sèche et son père s’est suicidé. « Motif classique de personnage au bord du gouffre et donc en position idéale pour reprendre goût à la vie », pense-t- on d’abord, avant que le rythme singulier du film n’enraye la mécanique trop huilée du genre et balaie nos certitudes. « Je ne voulais pas faire une fiction sarkozyste sur un type dans la galère qui remonte la pente et triomphe, explique l’acteur, attablé près du canal Saint-Martin à Paris un matin de juillet. Ou pire : recycler le motif étouffe- chrétien de la rédemption. »

La voix de Nicolas Maury, incroyable­ment douce, doit s’accommoder des assauts répétés du jazz suspect qui s’échappe du café voisin. Garçon chiffon est un projet ancien qu’il a eu le temps de mûrir longuement pour cause de défections de producteur­s autant que de rôles abondants – la série Dix pour cent notamment, qui en a fait un visage familier du public.

Trois saisons déjà (la quatrième est prévue cet automne) qu’il creuse le personnage d’Hervé, assistant d’agent de cinéma drôle et inquiet devenu une icône gay de la télé. « Ce qui est beau avec une série, confie- t-il, c’est qu’au bout d’un moment, il n’y a que l’acteur qui connaît véritablem­ent son personnage. On devient en quelque sorte l’auteur du rôle qui nous a été écrit. » Est- ce comparable avec l’écriture d’un film ? « Non. Dans le cas d’Hervé, je réponds à une commande. C’est un personnage que j’ai composé, que je me suis amusé à dessiner avec de gros traits. Il y a beaucoup de technique. On est presque dans une logique de virtuosité. Avec Jérémie, je voulais un personnage très nu, comme on pourrait le dire d’un paysage, et c’est d’ailleurs comme un paysage que je le filme. En même temps, sous ce dépouillem­ent, il est très construit. J’en ai une vision précise même si je suis peut- être le seul. Je crois que c’est le rôle dont je suis le plus fier. » Se rendant compte de ce qu’il vient de dire, il sourit : « Je tiens bien entendu à remercier le réalisateu­r. »

La beauté de Garçon chiffon réside pour beaucoup dans cet écart de perception. Nicolas Maury dit qu’il connaît celui qu’il filme, mais on a le sentiment autrement plus excitant qu’il cherche et qu’il n’est pas près de trouver. L’errance existentie­lle du film prend ainsi une tournure policière. Entre Paris et le Limousin – « zone mate, secrète » dont Nicolas Maury est originaire –, Jérémie enquête sur lui-même pendant que le réalisateu­r enquête sur son film : « Je voulais créer un temps qui me soit propre. J’aime les films de Hong Sang-soo et de Judd Apatow, la manière dont la vie entre un peu par effraction dans leur monde, même s’ils évoluent dans des registres et des économies très différents. » Dans Garçon chiffon, la vie prend, entre autres, la forme avantageus­e d’un jeune homme bien fait, mais rien n’indique qu’une romance adviendra passé l’apparition. Après tout, c’est le lot de quantité d’enquêtes que de demeurer irrésolues.

Garçon chiffon de Nicolas Maury. Sortie le 28 octobre.

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