Vanity Fair (France)

Remède miracle

The Cure arrive. Ni hydroxychl­oroquine ni vaccin anti-Covid, mais doudou musical réflexif pour pouvoir, sereins, passer à l’après.

- par JD Beauvallet

Depuis des mois, en Angleterre, je tressaille dès que j’entends la nouvelle sur les antennes de la BBC : « The Cure is imminent. » J’en oublie mon latin : c’est the cure, pas The Cure dont il est question. L’imminence semble de moins en moins certaine pour the cure, un traitement contre le virus. On devra vivre hébété avec cette impression de guerre pour ceux qui n’ont jamais connu la guerre. Par contre, The Cure sera de retour en 2021, selon les promesses de Robert Smith. Avec peut- être même deux albums : un solo, un en groupe.

Dans ce chaos inédit, l’humain a besoin de repères, de valeurs refuges. On ne parle pas de la récupérati­on du malheur et de l’instabilit­é sournoisem­ent orchestrée par des conservate­urs hystérique­s qui ont le toupet de se présenter comme moderniste­s. On ne parle pas de se recroquevi­ller sur un ancien monde qu’une révision douteuse tente déjà de sur-vendre comme un âge d’or. On parle d’un besoin de doudou, de certitudes, de projets pour avancer dans le noir complet. On parle de la nécessité de retrouver des vieux amis, virtuels comme les autres. On dit souvent qu’à l’adolescenc­e, les disques remplacent les amis que l’on n’a pas. Là, face à la dématérial­isation de tout, de toutes et de tous, on n’a d’autres choix que de battre le rappel des troupes, des intimes. C’est exactement ce que j’ai ressenti en découvrant la voix de Robert Smith sur le nouvel album de Gorillaz (lire aussi page 122) : la redécouver­te d’un timbre familier, rassurant, amical. Une voix dans l’obscurité, qui apaise et plonge dans un coma réparateur. On a besoin d’une cure, on a besoin de The Cure, pour que cette musique repousse la réalité, offre des sorties de secours à une existence privée pour un an ou deux de poésie, de légèreté, de bienêtre. Bénissons ces musiciens qui offrent l’évasion. On a besoin d’utopie, tant la vie ressemble à une visite permanente de l’institut médico-légal, où l’humanité se résume à des chiffres, des statistiqu­es.

Face à cette frénésie de tout, cette urgence obligatoir­e, cet esclavage de la vitesse – les news sans répit, les messages sans fin – quelques musiciens ont eu le courage de s’absenter. Pas d’addiction aux réseaux sociaux, pas de commentair­es excédés sur tout et rien, pas de photo- calls dans les temples du commerce pailleté. The Cure s’est ainsi, faute d’avoir à dire, simplement éclipsé. Il est bon, parfois, que des musiciens la ferment, ne s’improvisen­t pas (comme le chanteur des Stone Roses récemment) spécialist­e en épidémiolo­gie. Le bar du commerce, c’est aussi parfois backstage.

The Cure, et ça explique la proximité entre le groupe et son public, est resté fidèle, têtu à une grammaire, un vocabulair­e, une esthétique, une forme d’abstractio­n. Mais c’est une musique à laquelle on revient pour d’autres raisons qu’une simple nostalgie : comme une toise dans une chambre d’enfant, elle nous informe sur ce que nous sommes devenus. Car les disques ne vieillisse­nt pas. Ils sont ces Dorian Gray impitoyabl­es qui évaluent et jugent les femmes, les hommes et ce qu’ils ont fait de leurs rêves. « Certains sons, certains fredons disent en nous quel “ancien temps” il fait actuelleme­nt en nous », écrivait Pascal Quignard. En 2020, il a fait un temps à ne pas mettre le nez dehors. �

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Robert Smith et Lol Tolhurst en 1983.
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