Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

La voix est libre

A Nice, sur le marché du cours Saleya, les vendeurs expriment leurs attentes

- YANN DELANOË

Alors que cette élection n’a jamais paru aussi indécise, Var-matin lance aujourd’hui une série de reportages, jusqu’au premier tour de la Présidenti­elle. Comment vivez-vous la campagne électorale ? Quelles sont vos véritables préoccupat­ions ?

A quelques semaines de l’élection présidenti­elle, nous plaçons les électeurs au coeur de la campagne. Chaque jour, un lecteur nous sert de guide dans son environnem­ent (quartier, immeuble, associatio­n, club, entreprise, commerce...) à la rencontre de ceux qui en sont acteurs. Ils commentent la campagne présidenti­elle, l’attitude des candidats, évoquent leurs conviction­s, leurs doutes, leurs attentes. Leurs coups de gueule aussi. Aujourd’hui, tour d’opinions sur le marché du cours Saleya à Nice.

Des couleurs, des odeurs, du soleil… La matinée commence bien, sur le marché du cours Saleya, à Nice. Ses marchands s’animent. Comme leurs discussion­s. C’est le cas sur le stand d’Humbert Avagnina, horticulte­ur producteur, présent sur ce célèbre marché niçois depuis 1978: «Une telle campagne? Je crois que c’est la première fois qu’on a ça depuis le début de notre République!» A ses côtés, son voisin de stand, Fernand Lecollier. Qui ironise: «Pour une fois que c’est bien! Plein de rebondisse­ments! On la vit avec passion, cette campagne. On ne sait même pas qui va se présenter, finalement.» Et Fernand d’insister: «Pour une fois, ce sera un bel exemple de démocratie. Parce que celui qui va passer va devoir composer sans large majorité à l’Assemblée nationale. Ça va obliger au dialogue, on ne pourra pas passer n’importe quelle loi comme ça!» Quant à l’entêtement du candidat Fillon? Airs railleurs. Soupirs d’exaspérati­on. «C’est mal barré pour Fillon! Enfin, vu le tableau général, c’est surtout mal barré pour nous!» s’exclame Humbert Avagnina, qui indique n’avoir «aucune conviction à ce stade». Ce qu’il attend? «Un miracle!» rit-il. «D’abord, que notre marché revive. Ensuite, l’améliorati­on de notre quotidien. Un système plus juste. Par exemple, les retraites. J’ai regardé: à 67 ans, j’aurai droit à 9000 euros brut par an… Certains qui ne cotisent pas ont droit à plus que ça…»

« Que la vie soit un peu moins chère »

Et de nous diriger vers un de ses collègues: «Dîtes, vous êtes allés voir notre mélenchonn­iste?» Pas de quartier autour des étals, où on a vite fait d’être catalogué. Mélenchonn­iste, Robert Pellegrino? Si tout le marché semble lui attribuer cette conviction politique, il ne le confirmera pas formelleme­nt. Lui qui est sur le cours Saleya depuis 1973 penche pour «un vote intelligen­t et réaliste». Avant d’évoquer «une campagne compliquée. Sur le marché, des gens qui se contentaie­nt de voter à droite voteront cette fois Marine Le Pen. Et en plus maintenant, on le proclame haut et fort. J’ai bien peur qu’elle fasse plus de 30%.» Quant aux affaires Fillon et Le Pen, «c’est comme ça depuis que le carriérism­e s’est emparé de la politique» estime-t-il. Ses attentes à lui? Elles sont d’abord locales. «J’aimerais qu’on enclenche une politique offensive par rapport au marché, qu’il ait une meilleure visibilité…» Un président de la République pourrait-il apporter quelque chose? «Le problème, c’est qu’on n’est plus assez nombreux. On ne représente plus grand-chose. Il y a 20 ans, il y avait une quarantain­e de revendeurs, ici. Maintenant, il n’y a plus que la moitié. Quant aux producteur­s, il y en avait une trentaine, et ils ne sont aujourd’hui que trois ou quatre. Nous étions une place mondiale de la fleur, il y avait 300 producteur­s d’oeillets dans le départemen­t. La fleur, on l’exportait. Aujourd’hui on l’importe de Hollande, d’Amérique du Sud…» Sur notre parcours, on tombe sur Léa Pradier, qui vend des épices sur le cours Saleya depuis un an. «C’est la belle vie ici, il y a du beau temps, du soleil, des gens sympas», dit-elle. Rien à changer, alors? «Si! Que la vie soit un peu moins chère, ce serait bien. Et que nos politiques soient un peu plus crédibles. Cette campagne, c’est comme d’habitude: on dirait une vieille élection de délégués de classe. Cette fois, moi, je voterai pour quelqu’un qui travaille

pour sa patrie. Ce qui est sûr, c’est que je vais essayer autre chose. Tous les autres ont été des déceptions…» Plus loin, on croise Sophie Chenais, présidente de l’associatio­n des artistes du cours Saleya. Elle se dit chanceuse : «Je vis de mon art depuis 18 ans…» Mais pour elle, cette campagne se passe bien loin des préoccupat­ions du quotidien des Français: «Ce que j’aimerais par exemple, c’est qu’il y ait un véritable encadremen­t des loyers, surtout ici où ils sont très chers…» Elle nous parle de son fils de 23 ans qui gagne 1300 euros par mois, mais qui n’a pas la possibilit­é de se loger ailleurs que chez elle. «Il travaille depuis quatre ans et ne peut pas prendre son indépendan­ce. Et pour un logement social, il y a 10 ans d’attente!»

« Quelqu’un de rassurant »

Elle nous parle aussi de sa condition d’artiste: «Être artiste n’est pas considéré comme un métier à part entière. C’est un loisir, aux yeux d’une majorité de gens. Je n’ai pas de fiche de paie, les banques ne me font pas confiance, je suis condamnée à être locataire toute ma vie…» Sa conviction? «Je sais pour qui je ne vais pas voter!»

Mais elle trouve que «chacun a quelque chose de bon dans son programme. Il faudrait juste prendre ces choses pour les réunir. On a besoin de quelqu’un de rassurant, qui s’adresse à tous. Il faut aider les jeunes, les vieux, ceux qui travaillen­t…» Elle tient à nuancer: «Je crois que nous avons beaucoup plus à attendre de nos élus locaux. En matière de culture nous sommes assez bien lotis, le maire nous permet de travailler sur le cours en occupant gratuiteme­nt les emplacemen­ts des marchands qui sont absents…» Tout en triant ses salades, Christiane Luciano regarde tout cela avec recul. «C’est trop! Tout ça ne me donne pas envie d’aller voter. Ils ne savent même pas comment on vit. Moi j’ai fait le marché pendant 30 ans. C’est mon fils qui a pris la relève, depuis 11 ans. Il a une double activité d’exploitant agricole et de revendeur. C’est beaucoup de travail, 15 heures par jour. Il faut qu’il soit présent dans sa campagne pour s’en occuper mais aussi au MIN ou encore au marché du cours Saleya. Il en vit, mais ce n’est pas facile. Il faudrait au moins que nos politiques travaillen­t un peu plus pour nous…»

Des gens qui votaient à droite voteront Le Pen ” Qu’ils travaillen­t plus pour nous ”

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 ?? (Photos F. F.) ?? Sophie Chenais, Fernand Lecollier, Christiane Luciano, Léa Pradier et Robert Pellegrino.
(Photos F. F.) Sophie Chenais, Fernand Lecollier, Christiane Luciano, Léa Pradier et Robert Pellegrino.
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 ?? (Photos Franck Fernandes) ?? Le marché du cours Saleya.
(Photos Franck Fernandes) Le marché du cours Saleya.

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