Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Le monde du travail est de plus en plus dur »

Pour Nadine Furnari, présidente du conseil de prud’hommes de Draguignan, les salariés sont les grands perdants de la loi Macron, dont elle constate les effets négatifs au niveau de la juridictio­n

- PROPOS RECUEILLIS PAR V.G.

Le conseil de prud’hommes de Draguignan est présidé cette année par une femme, Nadine Furnari. « Cela n’était pas arrivé depuis treize ans, la dernière présidente était France Leroy », a-t-elle souligné lors de l’audience solennelle de rentrée le mois dernier (Var-matin du 28 janvier). La présidence et la vice-présidence du conseil alternent chaque année un élu du collège employeur et un élu du collège salarié, que représente Nadine Furnari. Rencontre avec une femme de conviction, puisqu’elle milite à la CGT, et de terrain, puisqu’elle travaille dans une clinique.

Comment vous êtes-vous préparée à ce rôle de présidente et en quoi consiste-t-il ? La vice-présidence permet de s’y préparer. On reçoit toutes les doléances sur les dossiers, les retards, les délais, dans toutes les sections (encadremen­t, commerce, industrie, agricultur­e, activités diverses). On est amené à des réunions de formation et d’informatio­n à la cour d’appel. On tient une permanence et on est à la dispositio­n des conseiller­s.

Quelle est la situation des prudhommes aujourd’hui ? Il y a énormément de flux, d’affaires. Il faut savoir que  % des affaires sont portées devant le conseil par des salariés. Mais la réforme Macron a complexifi­é la saisine et l’a rendue plus difficile au salarié. Avant c’était un formulaire très simple, que tout un chacun pouvait remplir et déposer sa demande au greffe, ce dernier se chargeant de convoquer les parties en bureau de conciliati­on d’abord. Aujourd’hui, le formulaire fait dix pages, il faut donner les explicatio­ns, repérer l’article du code qui correspond au litige, présenter un bordereau de pièces, joindre ces pièces et rédiger un exposé sommaire du litige. C’est du juridique, du droit, Quand on n’a aucune notion de droit, c’est déjà impossible. Il faut aussi envoyer tout cela à la partie adverse, donc dès le début, cela nécessite de consulter un avocat.

Redoutez-vous que les salariés baissent les bras? Ils ont déjà commencé. Pourtant, ils ne doivent pas hésiter à consulter le conseil de prud’hommes, à consulter plusieurs avocats. Ils peuvent aussi venir tous les vendredis à partir de  heures à la permanence juridique de la CGT à la bourse du travail. C’est gratuit et sans rendez-vous.

Quelles sont les conséquenc­es? Il y a eu un effondreme­nt des saisines : moins  % d’août  à décembre. On attend de voir ce que ça va donner… Les salariés sont les grands perdants de la loi Macron. La procédure qui était censée être orale et gratuite ne l’est plus. Il faut écrire et payer les services d’un avocat. Un salarié, qui conteste un licencieme­nt abusif est au chômage, il va reculer, s’il doit débourser des frais d’avocat dès le début. J’espère que les avocats vont envisager différemme­nt le début de la procédure avec leurs clients. Je dois rencontrer la bâtonnière à cet effet.

Quels sont les principaux motifs de litiges ? La majorité des affaires porte sur un licencieme­nt pour faute grave, ou sur un salaire impayé ou des heures supplément­aires impayées.

À ce point ? Les prud’hommes, c’est un rempart pour le salarié parce que les chefs d’entreprise ont déjà tellement de pouvoirs… Et le code du travail est rempli de dérogation­s qui lui facilitent la tâche. Dans quelle section y a-t-il le plus grand nombre de litiges ? Les activités diverses et le commerce. Malheureus­ement à Draguignan, la section industrie périclite comme l’activité.

La taille des entreprise­s joue-t-elle un rôle ? Non. On a des petites, des PMEPMI et de grandes entreprise­s. L’employeur est un grand groupe pour beaucoup de litiges dans le secteur de la santé. On a aussi beaucoup de particulie­rs employeurs. Un grand nombre de litiges concerne aussi les grandes surfaces. Le groupe Carrefour vient de perdre en cassation pour rappel de salaires, parce qu’il incluait une prime dans le salaire horaire, donc ne payait pas les gens au SMIC. Chaque salarié devant faire son dossier individuel­lement, le conseil de Draguignan a traité des dizaines et des dizaines de cas, comme partout en France. Il a fallu aller jusqu’en cassation, ça fait des années et des années que ça dure.

Etre salarié aujourd’hui, est-ce être fragile? Oui, c’est être dans l’instabilit­é. On peut perdre des droits au fur et à mesure de sa vie profession­nelle. Avant, on avait au moins un socle de droits, tirés du code du travail. C’était le même pour tous.

Quel est l’impact sur le conseil de prud’hommes ? Il faudra étudier chaque accord, de chaque entreprise. Chaque entreprise aura son petit code du travail à elle. C’est une usine à gaz. J’invite d’ailleurs les gens à s’en rendre compte par euxmêmes en assistant aux audiences prud’homales qui sont publiques. Elles se tiennent les mardis, jeudis et vendredis aprèsmidi.

Avez-vous le sentiment que le conseil de prud’hommes est une institutio­n menacée? Les prud’hommes ne sont déjà plus élus au suffrage universel, mais en fonction de la représenta­tivité des syndicats. Cela exclut tous les gens privés d’emplois et tous ceux travaillan­t dans les entreprise­s qui n’organisent pas les élections ou bien qui font face à une carence de candidats.

Pourquoi les salariés ne se syndiquent-ils pas davantage contrairem­ent à d’autres pays? C’est une grande interrogat­ion pour moi. J’ai commencé à travailler en , et me suis syndiquée en . Pour moi, ça va de pair. Le monde du travail est

Le conseil de prud’hommes de Draguignan a enregistré 366 nouvelles affaires en 201, 399 ont été terminées et 500 étaient en cours au 31 décembre. Le taux de conciliati­on est passé de 2,3 à 5,8 %. 147 affaires ont fait l’objet des appels (soit 66 % des décisions en premier ressort). La durée moyenne d’une affaire est passée de 14,2 mois à 16 mois. Le taux de départage(recours à un juge profession­nel pour trancher le litige) a progressé de 2,2% à 5,8% . 112 règlements intérieurs et accords collectifs ont été déposés. 42 dossiers ont bénéficié de l’aide juridictio­nnelle.

très dur, de plus en plus dur. Il faut utiliser les moyens qui nous sont donnés pour travailler ensemble. Défendre ses droits, ne pas rester isolé est nécessaire. L’union fait la force.

Pouvez-vous donner un exemple? Pendant la discussion de la loi El Khomri et les mouvements sociaux qu’elle a générés, les syndicats des salariés du transport routier ont obtenu, par leur mobilisati­on, que la majoration des heures supplément­aires soit maintenue au niveau de la législatio­n générale (+ % pour les huit premières heures et  % audelà). Alors que par accord d’entreprise, il sera possible à l’employeur de ne les rémunérer qu’à  %. On va tous se retrouver avec des accords d’entreprise au rabais. Et même les patrons qui n’y avaient pas spécialeme­nt réfléchi, risquent de devoir s’aligner pour rester compétitif. On tire tout par le bas.

Êtes-vous optimiste malgré tout? Oui, même si c’est difficile. Nous sommes en période électorale, il s’agit de faire le bon choix. Le mien est fait. J’estime être du bon côté de la barrière.

 ?? (Photo Michel Johner) ?? Nadine Furnari regrette un effondreme­nt des saisines du conseil de prud’hommes depuis la mise en oeuvre de la loi Macron et déplore les effets de la loi El Khomri. CV Statistiqu­es
(Photo Michel Johner) Nadine Furnari regrette un effondreme­nt des saisines du conseil de prud’hommes depuis la mise en oeuvre de la loi Macron et déplore les effets de la loi El Khomri. CV Statistiqu­es

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